Algérie

Algérie. Rapport d'HRW. Extraits.



Extraits du rapport annuel d'Human Rights Watch.
15 janvier 2020.
https://www.hrw.org/fr/world-report/2020/country-chapters/336707
L'Algérie a été en 2019 le théâtre des manifestations anti-gouvernementales les plus généralisées et les plus persistantes qu'elle ait connues depuis son indépendance en 1962. À partir du 22 février, les Algériens sont descendus en masse dans les rues tous les vendredis à Alger, la capitale, et dans d'autres villes, tout d'abord pour protester contre la tentative de leur président, Abdelaziz Bouteflika, d'obtenir un cinquième mandat à la tête de l'Etat, alors qu'il n'apparaissait que rarement en public depuis qu'il avait souffert en 2013 d'une grave attaque cérébrale; puis, après sa démission le 2 avril, pour réclamer une transition vers un mode de gouvernement plus démocratique.
Après la démission de Bouteflika, le président du Sénat, Abdelkader Bensalah, est devenu chef de l'Etat par intérim tandis que le général Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée de terre et ministre adjoint de la Défense, détenait la réalité du pouvoir. Gaïd Salah a fixé au 4 juillet la date de la prochaine élection présidentielle, avant de la repousser au 12 décembre.
En réponse à la poursuite des manifestations, les autorités ont dispersé des manifestations pacifiques, arrêté arbitrairement des participants, empêché la tenue de réunions prévues par des organisations politiques ou de défense des droits humains, et emprisonné des détracteurs du gouvernement.
Alors que de vastes manifestations anti-gouvernementales se déroulaient dans les rues toutes les semaines, les forces de police ont été déployées massivement dans les rues et sur les places du centre de la capitale, ainsi qu'à des points de contrôle, avec pour effet de limiter le nombre de personnes parvenant à se joindre aux marches, puis elles ont exercé un contrôle étroit sur celles qui arrivaient à s'y rendre. Les autorités ont arrêté des centaines de manifestants pacifiques, remettant la plupart d'entre eux en liberté sans chef d'accusation au bout de quelques heures, mais engageant des poursuites contre des dizaines d'autres et les emprisonnant.
Les autorités ont arrêté et inculpé 86 personnes entre juin et octobre, selon le Comité national pour la libération des détenus. Toutes ces personnes ont été accusées d'« atteinte à l'intégrité du territoire national », notamment pour avoir déployé un drapeau symbole d'appartenance à la communauté kabyle, ou berbère, du pays. Ce chef d'accusation peut mener à une peine de prison pouvant aller jusqu'à 10 ans, en vertu de l'article 79 du code pénal. À la fin octobre, six de ces personnes avaient été jugées et acquittées, une était en liberté dans l'attente de son procès et 79 demeuraient en détention préventive avant leur procès.
Le 7 février, un activiste des droits humains, Hadj Ghermoul, âgé de 37 ans, a été condamné à six mois de prison pour « offense à l'égard d'une institution nationale » après avoir affiché une photo de lui-même brandissant une pancarte près de la ville de Mascara, dans le nord-ouest du pays, sur laquelle il exprimait son opposition à un cinquième mandat pour le président Bouteflika. Les autorités locales ont affirmé qu'il avait été arrêté alors qu'il était en état d'ébriété et insultait les forces de police.
Le 9 juillet, près d'Alger, un Tribunal de première instance a condamné Mouaffak Serdouk, un homme de 40 ans supporter de l'équipe algérienne de football, à un an de prison pour avoir « exposé au regard du public des tracts, bulletins ou papillons de nature à nuire à l'intérêt national. » Il s'était tenu à proximité d'un stade du Caire où l'équipe algérienne jouait un match de football, muni d'une pancarte appelant au départ des détenteurs du pouvoir en Algérie, avant d'être expulsé vers l'Algérie, où il a été poursuivi en justice et condamné.
Le 30 juin, la police a arrêté un homme de 87 ans, Lakhdar Bouregaa, ancien combattant connu de la guerre d'indépendance algérienne, à son domicile d'Alger. Cette arrestation a eu lieu quatre jours après qu'il avait déclaré, lors d'une réunion publique, par la suite diffusée sur YouTube, que l'armée algérienne était composée de « milices. » Un juge d'instruction a ouvert une enquête pour « atteinte au moral de l'armée », ce qui est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à 10 ans de prison.
Le 11 septembre, les autorités ont arrêté Karim Tabbou, porte-parole de l'Union démocratique et sociale (UDS), un parti d'opposition, devant son domicile à Douira, et l'ont inculpé de « participation à une entreprise de démoralisation de l'armée » après qu'il eut critiqué publiquement Gaïd Salah. Les autorités ont remis Tabbou en liberté le 25 septembre, avant de l'arrêter de nouveau le lendemain matin. Le 2 octobre, un juge d'instruction d'Alger a ouvert une enquête à son sujet, sur une présomption d'« incitation à la violence » et d'« atteinte à l'unité nationale par la publication de déclarations et de vidéos sur les réseaux sociaux. » S'il est déclaré coupable, il sera passible de prison et d'une déchéance de ses droits civiques, y compris du droit d'être candidat à des fonctions électives.
Le 25 septembre, un tribunal militaire de Blida a condamné Louisa Hanoune, dirigeante du parti Travailliste, à 15 ans de prison pour « atteinte à l'autorité de l'armée » et « complot contre l'autorité de l'Etat. » Elle a été poursuivie aux côtés de Saïd Bouteflika, frère de l'ancien président, et du général Mohamed « Tewfik » Mediene, ancien chef du plus puissant service de renseignement algérien. Les normes internationales en matière de droits humains interdisent de juger des civils devant des tribunaux militaires.
Les autorités ont inculpé Salah Dabouz, un ancien président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH), d'« outrage » à la magistrature pour des affichages sur Facebook dans lesquels il critiquait les poursuites en justice engagées contre des membres de la communauté ethnique des Mozabites. Dabouz a été remis en liberté provisoire le 7 avril mais avec l'obligation de se présenter trois fois par semaine devant les autorités de Ghardaïa, à 600 kilomètres de son domicile d'Alger. Les autorités ont levé cette obligation le 24 juillet. Au moment de la rédaction de ce rapport, il était dans l'attente de son procès. Le 9 septembre, un homme non identifié armé d'un couteau l'a attaqué à Ghardaïa, le blessant aux deux bras.
Kamaleddine Fekhar, un activiste connu des droits de la minorité mozabite en Algérie, est mort le 28 mai au bout d'une longue grève de la faim en prison. Les autorités l'avaient arrêté le 30 mars et l'avait placé en détention préventive pour avoir « contesté l'autorité » des institutions nationales. Fekhar avait purgé une condamnation précédente pour des chefs d'accusation incluant des actes de violence à l'encontre de représentants de l'Etat, incitation à la violence, à la haine et à la discrimination, distribution de matériel de nature à nuire à l'intérêt national et atteinte à la réputation des institutions de l'Etat, à la suite d'affrontements ethniques entre Mozabites et Arabes à Ghardaïa et aux alentours de cette ville, entre 2013 et 2015.


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