Rachid S. a bien voulu se prêter au jeu des questions-réponses. Dans cet entretien, il nous explique pourquoi aujourd’hui certaines personnes qui ont tourné le dos à la montagne la découvre, s’en émerveillent et arrivent à la troquer contre la grande bleue, surtout en pleine période estivale.
- Soirmagazine : A votre avis qu’est-ce qui motive certaines personnes à passer leurs vacances en montagne durant la saison estivale, la préférant plutôt à la fraîcheur de la mer?
Rachid S. : D’abord, c’est une question de sensibilité. Il se trouve qu’il existe des personnes qui sont portées sur les grands espaces. Souvent la montagne est découverte fortuitement, à l’occasion par exemple de sorties en groupes.
Certes, on privilégie en été une consommation plutôt maritime, du fait que les infrastructures sont de loin beaucoup plus disponibles et importantes qu’en montagne.
De plus, en cette période, on est souvent en quête de fraîcheur, mais on oublie que l’air frais, on peut le trouver aussi à la montagne.
En fait, il faut distinguer globalement deux types de personnes qui sont attirées par les monts. Il y a celles dont les parents sont originaires des villages d’altitude ou des vallées dominées par ces reliefs. Les visites de ces milieux des ancêtres provoquent souvent le déclic. Et il y a celles qui en font leur hobby à travers la randonnée, l’escalade, le bivouac, la spéléologie, l’écologie. Entre les deux se nichent les aventuriers d’un jour, les passagers. La plupart de ces personnes ont un point commun : la recherche de la sérénité, du calme, de la quiétude et la diversité des massifs.
Chréa n’est pas le Djurdjura, les Aurès n’ont rien à voir avec la chaîne des Babors, les Traras ou l’Atakor. Il faut dire aussi que la télé ces dernière années, avec ses images vend bien les montagnes du monde.
- Après une décennie noire, aujourd’hui, quelle est l’image qu’on se fait de la montagne?
On ne connaît pas nos montagnes. Les gens ont peur de l’inconnu. Quand on s’approche de ceux qui y vivent comme les bergers ou les passionnés des sports de montagne, cette crainte se dissipe. Il y a quelques semaines, nous avons abordé un canyon au Djurdjura. Le groupe était composé de personnes dont l’âge variait de 6 à 65 ans. On se frayait notre chemin tard la nuit, à l’aide de torches à travers la forêt et la rivière dans la joie et la bonne humeur. Le retour sur Alger s’est fait à 22h. C’est dire comment les mentalités ont évolué.
- Vous êtes un passionné des altitudes et des entrailles de la terre, que peut apporter la montagne à ceux qui en sont amoureux?
Le plaisir des yeux avant tout. La sensation, surtout lorsqu’on évolue en solitaire ou en groupe très restreint, de retrouver sa place en tant qu’un des éléments de la nature, comme la pierre, l’arbre ou encore le rapace.
Ce retour, ne serait-ce que momentané, à notre milieu originel suscite en nous maintes questions, philosophiques et spirituelles: le haut nous tire vers le bas et nous ouvre les chemins de l’introspection qui sont aussi vastes que le relief lui-même. Et là parfois on se sent minable. Au-delà des éléments, le contact avec les villageois, leur culture et la découverte de l’immensité de notre pays (car chaque région visitée en appelle une autre), nous apporte force, richesse, assurance et nous sort de notre ignorance.
- Peut-on dire que les Algériens ont une culture du tourisme de montagne?
Cette culture est en train de s’édifier petit à petit. Elle est à ses premiers balbutiements. Et pourtant! nos grands-parents étaient de grands voyageurs pédestres. Ils traversaient des montagnes pour travailler en tant que saisonniers dans les vignobles. Ils partaient, tirant leurs mulets chargés, du centre de la Kabylie jusqu’à Annaba pour faire du troc, se rassemblaient par centaines et milliers dans les ziaras des cimes, passaient en famille toute une saison en transhumance à la recherche de la bonne herbe aux environs de mille à deux mille mètres d’altitude. Bien sûr, à cette époque, il y a quelques décennies seulement, la majorité des Algériens vivaient dans les montagnes. Aujourd’hui ils les ont fuies, comme la plupart des pays du monde.
- Pensez-vous que si on mettait à la disposition des touristes de montagne les infrastructures adéquates, il y aurait le même rush que sur nos stations balnéaires?
Si les infrastructures sont conçues avec intelligence et respect du milieu, oui, le rush sera vite atteint. Hélas, c’est un vœu pieux, on mettra des décennies pour qu’il soit exaucé. Entre-temps, tous les projets, ou presque, sont une répétition de ce qui a été fait et continue de se faire sur notre littoral. Il n’y a qu’à compter le nombre de carrières qui se multiplient à une vitesse vertigineuse, ces dernières années et qui portent gravement atteinte au patrimoine, naturel, culturel, scientifique et paysager : un massacre de la nature.
L’absence de levier démocratique a laissé le champ ouvert à la force de l’argent et à la corruption. Il n’y qu’à voir aussi ce qui se passe et ce qui est programmé dans le peu de parcs nationaux qui existent chez nous. Cependant une lueur d’espoir se dessine chez les fervents défenseurs de la montagne. Même s’ils sont peu nombreux, ils pourraient renverser la vapeur s’ils arrivent à se décarcasser.
- «L’esprit montagne» s’apprend, se cultive. Pensez-vous que nos enfants sont préparés à aimer la montagne?
A l’école, on initie l’élève à aimer la nature, à la respecter. Dans les manuels scolaires il y a des chapitres consacrés à cet effet. Mais la nature ne s’apprend pas dans les livres, même si ces derniers ne doivent pas être négligés. L’enfant doit regarder, toucher, sentir la nature, s’imprégner de ses parfums. Mais combien de professeurs ont accompagné leurs élèves dans une randonnée pédestre? Je n’en connais pas. Tous les écoliers sont pourtant sensibles à la montagne et à la nature, avant bien sûr de connaître le monde des adultes. Le thème de la nature, même si formellement on en parle, ne constitue pas pour l’heure la préoccupation de nos éducateurs.
Les valeurs sont inversées. Mêmes ceux qui n’ont pas quitté leurs monts, surtout ceux qui font partie de la nouvelle génération ne connaissent pas dans leur majorité les noms des montagnes, des lieux, leur histoire, leurs us et culture.
Paraboles et supérettes implantés dans les coins les plus reculés les ont supplantés. Et pourtant, dans un avenir proche, les villageois de ces contrées sont appelés à se préparer à ouvrir leur maison pour accueillir les touristes : c’est la tendance du logement chez l’habitant. Les atouts existent quand on sait que des universitaires de ces bourgs sont nombreux, certains sont doués pour les langues, et de ce fait peuvent constituer un potentiel non négligeable, prêts à entamer une carrière de guide ou accompagnateur (accompagnatrice) de montagne.
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Posté Le : 17/08/2014
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Entretien par Naïma Yachir
Source : LeSoirdAlgerie.com du samedi 16 août 2014