Algérie

Algérie - Pr Nadji Khaoua . Enseignant Chercheur et Consultant international: «Aucune peine d’emprisonnement et de confiscation de biens mal acquis ne serait suffisante»



Algérie - Pr Nadji Khaoua . Enseignant Chercheur et Consultant international: «Aucune peine d’emprisonnement et de confiscation de biens mal acquis ne serait suffisante»


Dans cet entretien, le Pr Khaoua laisse transparaître une colère qu’il a peine à contenir: «Dirigeant le pays à travers ses principales institutions, ces pseudos élites se sont conduites comme si elles ne ressentaient aucune appartenance avec ce pays, comme si elles étaient les dépositaires d’un territoire vacant, auquel rien ne les lie, sauf la prédation continue et l’accaparement du maximum de ses ressources».

L’économiste est catégorique: l’Algérie est «l’un des rares et même des très rares pays du Sud, à avoir un grand nombre de ses responsables anciens et actuels propriétaires à travers des sociétés écrans de biens immobiliers et de diverses richesses (capitaux, entreprises, etc.) dans la plupart des pays des cinq continents et dans la plupart des paradis fiscaux de la planète».

- Actionnée depuis septembre dernier, la machine anticorruption n’a pas, et c’est clair, réussi à freiner l’élan populaire et à ébranler l’ardeur du hirak à aller jusqu’au bout de ses revendications. Malheureusement, plus grand est l’espoir, plus forte s’avère la désillusion. Cette dernière serait-elle une fatalité?

Depuis les manifestations populaires de rejet du système politique, déclenchées à Kherrata, suivies à Khenchela et généralisées au pays dès le 22 février 2019, toujours en cours, la population, ses femmes et ses étudiants, continue d’espérer et de pousser vers le changement politique et social.

Les manifestants exigent l’entrée de leur pays dans la modernité politique, une nouvelle ère où domineront la participation démocratique, l’application équitable de la loi, le partage équitable des ressources publiques.

- Depuis déjà plus de dix mois, ces manifestations populaires pacifiques, tout en étant intransigeantes, ont conduit au départ définitif, souvent à l’emprisonnement, d’un nombre impressionnant des «élites» dites «politiques», qui se sont tellement et pendant si longtemps joué de l’Etat et de toutes ses lois. Ces dites «élites politiques» l’étaient-elles vraiment?

Ou bien ne s’agit-il pas de fonctionnaires communs arrivés par un concours hasardeux de circonstances à accaparer si longtemps de hautes fonctions politiques, au-delà de toute mesure, en l’absence de contre-pouvoirs dans la société? Ils se sont accaparés indûment de ses ressources publiques. Ils en ont joué des années durant, sinon des décennies. Les données documentées, qui de plus en plus émergent, ne font que confirmer ce qui était ressenti et subodoré par l’opinion depuis si longtemps.

Leur liste est longue et reste à ce jour ouverte. Il y a très peu de possibilités de se tromper en avançant que l’Algérie est l’un des rares et même des très rares pays du Sud à avoir un grand nombre de ses responsables anciens et actuels propriétaires à travers des sociétés écrans de biens immobiliers et de diverses richesses (capitaux, entreprises, etc.) dans la plupart des pays des cinq continents et dans la plupart des paradis fiscaux de la planète.

Ces gens, ayant usurpé les pouvoirs au sein des institutions et souvent à la tête de ces dernières, manipulant toutes les lois et règlements, étaient intouchables et hier encore inamovibles dans leurs fonctions qui duraient, pour la plupart, depuis plus d’une décennie et pour certains plusieurs décennies.

Dirigeant le pays à travers ses principales institutions, ces gens se sont conduits comme s’ils ne ressentaient aucune appartenance avec ce pays, comme s’ils étaient les dépositaires d’un territoire vacant, auquel rien ne les lie, sauf la prédation continue et l’accaparement du maximum de ses ressources. C’est pour cela que plus une once de crédibilité n’est plus accordée aux membres de ce système.

C’est pour cela aussi que les manifestations populaires durent, car beaucoup des membres et d’exécutants du système sont encore en place et tentent par tous les moyens de le pérenniser à travers leur présence dans des fonctions politiques, administratives, économiques et de gestion universitaire.

- Vos premières impressions sur le procès des plus influents parmi les «membres et exécutants du système» dites-vous, son déroulement et les décisions qui en sont sorties…

Permettez-moi de vous répondre par d’autres questions qui, à mon humble avis, s’imposent. Pour ceux d’entre ces gens qui ont squatté les hautes fonctions politiques à la tête des gouvernements et des ministères, peut-on un jour les condamner réellement pour les méfaits qu’ils ont volontairement commis? Une peine d’emprisonnement, aussi longue soit-elle, serait-elle à la mesure de leurs méfaits néfastes accomplis pendant leurs fonctions politiques?

Quand une haute autorité gouvernementale est condamnée pour corruption et accaparement indu de ressources publiques, la question qu’il s’agit de poser est: cette autorité, ce membre de «l’élite» politique a-t-il seulement détourné ou volé des ressources publiques? Ou bien a-t-il, en tant que responsable politique, accompli une forfaiture plus grande, dont les effets sociaux seraient si prégnants qu’ils dépassent, et de loin, les sommes d’argent volées?

C’est en ce sens que, qu’elles que soient les condamnations prononcées contre ces ex-responsables, dont la culpabilité aura été démontrée, elles seront toujours partielles et tellement insuffisantes en comparaison des crimes commis que la justice aura prouvés. Car ces gens auront, du fait des fonctions politiques qu’ils exerçaient au moment de leurs forfaitures, trahi la confiance placée en eux, les espoirs qu’ils ont représentés pour un peuple et son pays.

Aucune peine d’emprisonnement et de confiscation de biens mal acquis ne serait jamais suffisante pour sanctionner leurs forfaitures. Dévalorisant «l’élite politique» et «l’élite» tout court aux yeux de la population d’un pays en construction et dont les attentes sociales sont si profondes, ces fausses élites politiques, en dévalorisant le politique, dévalorisent l’Etat dans sa pérennité.

Un des premiers impacts sociaux immédiats de leurs forfaitures est ce courant qui ne tarira pas de sitôt de migrants informels dits «harraga» parmi toutes les couches sociales, particulièrement les jeunes universitaires dont les horizons immédiats sont bouchés en Algérie.

La disparition en mer chaque semaine de plusieurs d’entre eux restera sur la conscience de ces gens, ex-politiques véreux et faillis. Mais, il aurait fallu que ces ex-élites politiques, si véreuses et si insatiables, aient une conscience. Ce que, manifestement, elles n’ont jamais eu.


Entretien par Naima Benouaret


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