Algérie

Algérie - Pr Mahi Tabet-Aoul. Membre du groupe intergouvernemental du changement climatique et chercheur associé au CRAS: Il faut déclarer l’état d’urgence de la planète



Algérie - Pr Mahi Tabet-Aoul. Membre du groupe intergouvernemental du changement climatique et chercheur associé au CRAS: Il faut déclarer l’état d’urgence de la planète


Le 12 décembre, à l’initiative des Nations-unies, du Royaume-Uni et de la France, 75 chefs d’Etat et de gouvernement ont été invités à s’exprimer en visioconférence sur leurs engagements à réduire leurs émissions dans l’atmosphère. Chaque année à la même date se tient la Conférence des parties contractantes (COP) de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), celle de 2020 qui devait se tenir à Glasgow (Royaume-Uni) a été reporté à 2021 pour cause de pandémie.

Selon les commentaires de la presse, la rencontre n’a pas été à la mesure des attentes des organisateurs qui cherchaient aussi à marquer les 5 ans de l’accord de Paris. En effet, beaucoup d’intervenants ont déclaré que c’est «le plus grand défi de notre temps» et le SG des Nations unies a appelé à «déclarer l’état d’urgence planétaire». Les plus grands pollueurs ont fait de nouvelles promesses alors que le monde se dirige vers une hausse de 3,4°C à 4°C, alors que l’accord de Paris devait le maintenir à moins de 2°C avant 2100. Seuls les pays qui ont pris des nouveaux engagements ont eu droit à la parole. Les demandes de parole de l’Australie, de la Russie, de la Turquie et de l’Arabie Saoudite ont été rejetées. Les mouvements citoyens et les ONGs sont dans l’expectative et cherchent de nouvelles voies de pour contraindre les gouvernements à respecter leurs engagements nationaux et internationaux. Nous avons donné à cette occasion la parole au Pr Mahi Tabet-Aoul (*).


Entretien réalisé par Slim Sadki

- La COP 26 de Glasgow prévue en 2020 est décalée en 2021 en raison de la pandémie de la Covid. A la place, samedi, les Nations unies, le Royaume-Uni et la France ont organisé une rencontre virtuelle porteuse d’espoirs avec le très probable retour des USA dans l’accord de Paris de 2015 et les annonces des pays gros pollueurs qui s’engagent à atteindre la neutralité carbone en 2050. Avec les résultats mitigés des précédentes COP, faut-il encore attendre un consensus sur la question climatique?

Rappelons que le changement climatique est provoqué par les émissions des gaz à effet de serre (GES) produites par les activités humaines. Elles absorbent le rayonnement infrarouge émis par le sol. Il faut y ajouter celles du gaz carbonique (CO2) dues aux feux de forêt à grande échelle comme celles d’Amazonie, 11.000 km2 en 2019. Ce qui réchauffe la biosphère où se déroule la vie et accroît la température d’équilibre de notre planète (15°C). La hausse constatée depuis l’ère préindustrielle (150 ans) est de l’ordre de 1,2°C comme l’a souligné l’ONU. Parmi les effets de cette hausse, il y a les catastrophes naturelles qui menacent l’humanité entière, comme les inondations, les sécheresses, les canicules, le relèvement du niveau des océans, la fonte des glaces polaires, etc. L’action concrète de la communauté internationale a commencé en 1995 avec l’organisation de la première Conférence des parties (COP1) à Berlin.

Depuis, une nouvelle COP se tient chaque année et on compte 25 COP jusqu’à 2019 et la COP 26 de 2020 a été reportée en 2021 à cause du Covid-19. La COP21 de 2015 avait débouché sur l’Accord de Paris dont l’objectif essentiel est de maintenir la hausse de température de la planète à moins de 2°C à l’horizon 2100 par rapport au niveau préindustriel. C’est le premier accord mondial de nature contraignante qui fait obligation à chaque pays de présenter, au secrétariat de la Convention Cadre des Nations unies du changement climatique (CCNUCC), un rapport sur ses «Contributions déterminées au niveau national» (CDN). Les CDN doivent être officialisées en 2020. Le premier rapport des Etats sur la mise en œuvre des CDN doit intervenir en 2023 pour permettre au secrétariat de la (CCNUCC) de dresser le bilan mondial des émissions des gaz à effet de serre et de prendre de nouveaux objectifs en 2025 pour atteindre l’objectif de 2°C. Devant la prise de conscience mondiale et les manifestations dans le monde depuis 2015 pour obliger les Etats à prendre des mesures concrètes, de nouvelles dispositions ont été prises à la veille de la tenue de la conférence mondiale sur le changement climatique du 11 décembre 2020. L’ONU demande de réaliser la neutralité carbone à l’horizon 2050 avec une réduction mondiale des émissions des GES de 45% par rapport à 2010 à l’horizon 2030.

Cette neutralité signifie un équilibre entre les émissions de carbone et l’absorption du carbone de l’atmosphère par les puits de carbone (océans, forêts, végétation). Ainsi les engagements suivants ont été pris:

. Les 27 pays de l’Union européenne ont décidé de réduire de 55% leurs émissions à l’horizon 2030 par rapport à celles de 1990 pour atteindre la neutralité carbone en 2050

. La Grande-Bretagne a décidé de réduire de 60% ses émissions à l’horizon 2030 pour réaliser la neutralité carbone en 2050

. La Chine a décidé de réduire de 60% ses émissions d’ici à 2060 pour réaliser la neutralité carbone

. Les Etats-Unis avec J. Biden ont affirmé qu’ils réaliseront la neutralité carbone en 2050.

Cependant deux contraintes majeures sont à considérer:

. La mise en phase sur une même échelle de temps en termes de niveaux d’émission et de calendrier des engagements pris pour permettre au secrétariat de la CCNUCC de fixer des échéanciers cohérents et de procéder à l’élaboration des procédures en matière d’évaluation et de contrôle de ces engagements.

. Le refus de certains pays qui subordonnent les mesures de réduction des émissions à leur contexte socioéconomique comme le Brésil qui autorisent l’incendie à grande échelle des forêts d’Amazonie. Chaque année, des records concernant les surfaces incendiées ont été atteints avec 11.000 km2 en 2019 par rapport aux 7.500 km2 de 2016 lors de l’arrivée de J. Bolsonario.

- Un fonds de 100 milliards de dollars par an devait être constitué par les pays riches, premiers responsables des émissions des gaz à effet de serre, pour aider les pays vulnérables à faire face aux effets du changement climatique et pour financer la transition énergétique dans les pays en voie de développement. Qu’en est-il et il semble que ce sera sous forme de prêts et non pas des dons?

En 2009, la conférence de Copenhague (COP15) avait proclamé l’importance d’une réduction contraignante des émissions de gaz à effet de serre (GES), tant dans les pays en développement que dans les pays développés et avait souligné l’importance de mettre en œuvre des mécanismes de financement pour soutenir les efforts des pays en développement contre les dérèglements climatiques. Les pays industrialisés s’étaient fixés l’objectif de mobiliser 100 milliards de dollars par an entre 2009 et 2020 pour soutenir les activités d’atténuation et d’adaptation au changement climatique dans les pays en développement. Selon, le rapport 2020 d’Oxfam’s Climate Financert 2020, les donateurs ont affirmé avoir accordé près de 59,5 milliards de dollars par an en 2017 et 2018, mais la valeur réelle se situe entre 19 et 22,5 milliards par an. Le reste concerne le remboursement des prêts octroyés, les intérêts de la dette, etc. Actuellement, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) tente de parvenir à un fonds d’aide de 100 milliards. Le Fonds vert pour l’adaptation au changement climatique a été mis en place en 2011 lors de la COP17 à Durban, doté de 10 milliards de dollars, doit financer dans les pays en développement des projets d’adaptation au changement climatique et des projets de transition énergétique afin d’atténuer les émissions de GES. Il faut rappeler qu’en 2008, la Banque mondiale avait alloué un fonds d’aide de 6,1 milliards de dollars aux pays les plus menacés par le changement climatique.

- Le dernier plan d’action climat de l’Algérie (2019) accorde une large place aux énergies renouvelables, mais là encore, à voir les multiples recadrages, il semble que les choses ne soient pas tout à fait claires et qu’on a misé sur le secteur privé qui ne serait qu’embryonnaire et le public comme l’ENIE moribond. Qu’en pensez-vous?

Il y a deux types d’intervention à considérer pour atténuer les effets du changement climatique: le premier concerne la production propre de l’énergie à la source à travers le développement de l’énergie renouvelable et le second concerne la mise à niveau des autres secteurs économiques et particulièrement le secteur industriel. En ce qui concerne l’énergie renouvelable, c’est tout d’abord un choix stratégique et une question d’échelle en matière d’investissements qui, vu le contexte actuel, est hors de portée du secteur privé comme du secteur public. Il faut se diriger vers des investissements de type «joint-venture» avec des sociétés étrangères. On peut mettre à profit la découverture par un de nos laboratoires universitaires (labo de physique des solides de l’USTO d’Oran) d’une cellule solaire à bon rendement à titre de projet de joint-venture).

Quant au deuxième type concernant la mise à niveau, en rapport avec le climat, 30 projets de réduction des émissions des gaz à effet de serre ont été élaborés avec l’ensemble des ministères. Il reste à trouver les financements pour les mettre en œuvre. Les fonds d’aide internationaux (Fonds annuel de 100 milliards de dollars de l’Accord de Paris). Compte tenu du contexte mondial actuel de l’aide au titre de la coopération préférentielle des Etats, l’Algérie peut drainer l’aide des pays amis ou des pays neutres. En conclusion, l’Algérie, contrairement à d’autres pays, dispose d’un instrument stratégique à savoir le PNC (Plan National Climat) qui porte sur 61 projets d’investissement bien définis. Ils émanent des secteurs d’activité qui se sont investis entre 2017 et 2019 pour réaliser le PNC. Les projets déjà ficelés attendent uniquement les sources de financement pour leur mise en œuvre. L’opportunité liée à la mise en œuvre de l’Accord de Paris doit permettre de disposer d’une partie des fonds nécessaires pour peu que l’on soit en mesure de bien ficeler les dossiers des requêtes à adresser aux organes internationaux concernés pour obtenir le financement.

Comme argument stratégique, il faut avancer l’ampleur de l’impact du changement climatique sur l’Algérie. Une étude que nous avons publiée en 2008, montre que la hausse de température au cours du XXe siècle a été deux fois plus importante en Algérie qu’au niveau planétaire et que la baisse des précipitations dépassait les 15%. Ces différences d’ordre scientifique doivent mobiliser les pays du Sud et servir comme argument au niveau de la table de négociation de l’Accord de Paris pour exiger les compensations financières au titre de cette injustice climatique.



(*) Bio express

Le Pr Mahi Tabet-Aoul est diplômé des universités de Strasbourg et de Paris-Sorbonne. Il est spécialisé dans le domaine de l’atmosphère (universités de Fort Collins et Miami USA). Il a été le promoteur de l’Institut Hydrométéorologique de formation et de recherche (IHFR Oran). Il a participé à de nombreuses COP climat. Il est membre du GIEC et chercheur au CRASC, fondateur de l’Association pour la recherche sur le climat et l’environnement (ARCE). Auteur de plusieurs ouvrages, il a coordonné la revue Société, environnement et santé.


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