Jamal Selka, la soixantaine à peine entamée, est guide dans le désert depuis plus d’une quarantaine d’années. Il se souvient du tourisme saharien qui se vivait durant les années 1970-1980, en longueur d’année. Suite à ces années prometteuses, il a pensé à créer sa propre agence de voyages pour étendre ses activités et programmes touristiques. Mais la bureaucratie a eu raison de sa volonté. Il a vite renoncé, préférant rester au contact des gens et s’éloigner de toute gestion de ce métier pouvant remettre en question le plaisir qu’il prend à recevoir des touristes, leur faire découvrir sa région, sa culture et sa philosophie du désert.
Rencontre avec un doyen du désert… Il est né un soir d’été sur une terrasse à Timimoun.
“À la belle étoile et c’était une nuit de sboua”, précise Jamal Selka, comme pour suggérer que tout s’était déjà joué à ce moment miraculeux, au milieu de dunes s’étendant à perte de vue, sous la voie lactée fondant le ciel en deux.
Jamal Selka, 63 ans, est guide dans le désert depuis plus d’une quarantaine d’années. Il y a consacré sa vie et en parle avec beaucoup d’esprit et de jeux de mots.
“Plus sérieusement, le moment déterminant, ce n’était pas ce soir d’été sur une terrasse, confie-t-il dans un sourire, mais bien plus tard.”
Volubile et élégant, Jamal Selka aime jouer avec les mots et flatter l’intelligence de son auditoire. Passant d’une langue à une autre, il peut créer des moments solennels autant que d’instants de détente, convoquant anecdotes et récits pour faire voyager d’un lieu à un autre.
“J’avais 13 ans, j’étais interne au collège de Béchar. Nous avons reçu la visite du secrétaire général de la mairie de Timimoun, M. Jubau, qui a rassemblé trois élèves de chaque classe et nous a emmenés en sortie touristique. Il nous a fait découvrir le circuit de la sebkha, c’était un moment édifiant”, se souvient Jamal qui est persuadé que c’est à ce moment précis qu’est née en lui cette envie de découvrir son pays et de le faire découvrir à son tour.
Quelques années plus tard, en quittant le lycée polyvalent de Béchar pour revenir à Timimoun, Jamal Selka a su précisément ce qu’il voulait faire de sa vie.
“J’avais 18 ans quand je suis revenu à Timimoun après quelques années d’internat. Il se trouve que notre maison familiale se trouvait à quelques pas de l’ancien hôtel de la place de la ville, l’Oasis rouge.”
Spontanément, tous les matins au réveil, Jamal s’installait au pied du mausolée à cette période où de nombreux Français voulaient découvrir la ville.
“En ces débuts des années 1970, il y avait de nombreux coopérants dans la région”, raconte-t-il spontanément.
Pour ces groupes d’étrangers en quête de découverte et d’exotisme, Jamal fera le guide et apprendra les rouages d’un métier qui réclame de l’adresse et de l’aisance.
“J’aime être dans l’échange, parler de l’Algérie et faire découvrir les détails de notre culture en visitant des lieux qui nous font parler.”
Depuis, Jamal n’a jamais changé de cap. Plus de 40 ans plus tard, il poursuit ce même plaisir, il n’hésitera pas durant cette longue carrière à étendre son expertise à d’autres régions du désert, parfois même au-delà des frontières algériennes, vers le Mali et le Niger, sans oublier de revenir toujours à sa ville natale.
. Un choix de vie
Au lendemain de l’indépendance, les Algériens redécouvrent leur pays. Jamal, tout jeune, réalise, comme toute une génération, un pays qui regorge d’atouts touristiques.
“J’ai connu un tourisme saharien qui se vivait en longueur d’années et non pas comme à présent à certaines périodes de l’année.”
Il s’y consacre et s’épanouit à des années où tous les rêves sont possibles.
“L’État a fait beaucoup d’efforts après l’indépendance, le tourisme dans le sud du pays a vécu un essor exceptionnel qui s’est étendu jusqu’aux années 80. Nous recevions énormément d’étrangers. Et nous ressentions un plaisir intense à faire découvrir une Algérie nouvelle, que nous découvrions nous-mêmes autrement après l’indépendance.”
Plongé dans un secteur jusque-là prometteur, Jamal décide d’ouvrir sa propre agence de voyages pour étendre ses activités et programmes touristiques. Mais la bureaucratie en pleine période de la décennie noire aura eu raison de sa volonté.
“J’ai abandonné et j’ai préféré rester au contact des gens et m’éloigner de toute gestion de ce métier pouvant remettre en question le plaisir que je prends à le faire.”
Jamal se souvient de ces périodes prolifiques pour le tourisme saharien. Il en parle avec une pointe de nostalgie mais sans amertume.
“Certes, les choses ont bien changé mais on est content, là on vient de sortir des trois plus beaux mois de l’année en matière de tourisme : septembre, octobre et novembre. Il faisait tellement beau et bon, nous avons cette année encore vécu de superbes moments de partage avec les touristes reçus à Timimoun.”
. Des rencontres improbables
Durant toutes ces années, que ce soit en soirée à la belle étoile ou en visite durant la journée, l’homme s’est nourrit d’échanges interculturels dont il se souvient dans le moindre détail.
“C’est un métier qui permet d’être constamment en échange, de faire découvrir notre pays mais aussi d’apprendre au contact des autres.”
Jamal a également eu l’occasion de nouer des liens et des amitiés précieuses. Sans quitter le sable, le guide s’ouvre sur le monde et brave les frontières. Il cite des noms de personnes de diverses nationalités qui l’ont marqué et qu’il a reçues. Parmi ces rencontres, il se souvient de Théodore Monod, un scientifique et un explorateur spécialiste du Sahara auquel il a consacré de nombreuses publications de référence.
“C’est un érudit et un grand humaniste”, précise-t-il.
Jamal se souvient l’avoir non seulement reçu à Timimoun mais aussi être allé le voir quelques années plus tard en France. D’autres noms fusent.
“Jean-Pierre Chevènement, Patrick Poivre d’Arvor…”, énumère-t-il avant de souligner que les contacts avec “des diplomates, personnalités publiques et hommes politiques sont l’un des privilèges du métier”.
Ces dernières années, la fréquentation des touristes étrangers a considérablement baissé. Jamal s’est adapté aux nouvelles formes de tourisme.
“Ces dernières années, la donne a changé et le tourisme dans le Sud en a payé le prix. Comme la fréquentation est intense sur de courtes durées, on retrouve par exemple souvent des bouteilles vides et des canettes traînant sur les dunes. En rentrant chez moi, je ramasse les bouteilles et les dépose dans mon 4x4”, raconte-t-il sèchement dans un rictus.
Mais son sourire ne tarde pas à revenir.
“Évidemment, ça me vaut les remontrances de ma femme qui s’étonne et qui n’est pas contente de découvrir des bouteilles vides dans ma voiture”, lâche-t-il dans un rire mesuré, qui en dit plus que ces mots, tant il semble avoir appris à l’adapter, au fil des ans.
Fella Bouredji
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Posté Le : 21/12/2018
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Fella Bouredji
Source : liberte-algerie.com du jeudi 20 décembre 2018