La féerique station climatique de Tikjda, qui culmine sur plus de 1.400 m d’altitude, au nord-est de la wilaya de Bouira, n’a pas échappé à la «règle de la pollution». Nous avons accompagné plusieurs agences de voyage qui ont organisé une campagne de nettoyage.
. Reportage.
Tikjda accueille des dizaines milliers de visiteurs de toutes les régions du pays et même de l’étranger. Elle leur offre bien-être, air pur, calme, des vues panoramiques qui changent à chaque saison, de l’eau douce qui ruisselle à longueur d’année, etc.
Et en guise de récompense, l’homme salit les lieux avec ses déchets, détruit les plantes sur son passage, dérange la faune avec son brouhaha et sa musique à dose multipliée qui agresse les tympans. Aussi avec la mauvaise habitude de donner à manger aux singes de l’espèce du magot. Ce qui risque de nuire à la santé de l’animal et changer ses habitudes alimentaires le rendant dépendant de l’homme.
Même les rochers ne sont pas épargnés par la main destructrice. On les peint avec différentes inscriptions, souvent des noms de personnes ou de régions. Bref, la nature est asphyxiée. En outre, les efforts des agents du Parc national du Djurdjura (PND) pour préserver le site de toutes les agressions n’est pas une mission facile, car sa superficie totale s’étend sur 18.550 hectares répartie entre les deux wilayas de Bouira et Tizi Ouzou.
En revanche, le parc ne dispose pas d’assez d’élément pour couvrir ses 5 secteurs qui sont: Tikjda, Tala Tana, Tirourda, Tala Guilef et Ath Ouavane. A titre d’exemple, l’important secteur de Tikjda fonctionne avec 13 éléments seulement. Les pouvoirs publics sont donc interpellés à renforcer l’effectif du PND et le doter en matériel nécessaire pour qu’il puisse sauvegarder les joyaux du Djurdjura.
. Les agences de voyages s’engagent
Tout grand projet commence par une idée. Une idée qu’on désire concrétiser. Quant à la manière, celle-ci diffère d’une personne à une autre. Zane Sofiane, chef de l’agence de voyages, Nadjah Travel, basée à Bouira, a pensé à l’organisation d’une grande campagne de nettoyage au niveau de Tikjda en concertation avec les responsables du PND. Accord eut, il fallait diffuser le message.
A l’ère d’internet, quoi de mieux que les réseaux sociaux pour annoncer la nouvelle. Chose faite, Sofiane ne s’attendait pas à un tel engouement. «Nous avons lancé un appel sur facebook à nos ami(e)s des agences de voyages à travers le territoire national. Les réactions étaient hautement positives. Près de 250 agences issues d’une vingtaine de wilayas ont répondu favorables.Au total, nous avons reçu près de 500 participants. Le principal objectif du volontariat est le nettoyage du site et en même temps la sensibilisation de nos camarades des agences de voyages qui envoient leurs groupes à Tikjda ou ailleurs, sur le devoir de respecter la nature», dira l’initiateur du bénévolat.
La journée du 10 octobre a été choisie pour le lancement de l’opération baptisée Djbelinair, tous pour un tourisme responsable. Commence alors de longs préparatifs pour réussir l’événement. Hébergement, logistique, restauration…tout a été prévu.
Le jour J, vers 10h, tout le beau monde est arrivé à Tikjda, plus exactement au féerique site de Tighzert.
Une belle journée ensoleillée idéale pour la pratique du sport en montagne, pour la détente, pour le pique-nique, mais pour les centaines de bénévoles, c’est l’heure des choses sérieuses qui commence. La chasse aux déchets est ouverte. Sur une large table sont étalés des kits de petits sacs à dos contenant une bouteille d’eau, un sac-poubelle et une paire de gants.
Des pelles et des râteaux étaient aussi disponibles. Une fois tout le matériel distribué, les participants ont été scindés en plusieurs groupes et chaque groupe à sa tête un agent du PND, connaisseur des lieux.
«Notre corporation est la première en Algérie à mener un volontariat de cette envergure pour le nettoyage d’un site naturel, pourtant la corporation des voyagistes est durement touchée par la pandémie Covid-19. Notre secteur es sinistré. Il faut savoir qu’il y a 25.000 employés dans le secteur qui sont en chômage depuis le mois de mars. Malgré les multiples difficultés auxquelles on fait face, nous comptons organiser d’autres actions similaires dans les prochains jours à travers d’autres sites», se félicite Grama Saber, responsable au niveau de l’agence de voyages Vianostra.
Pour Amina, de l’agence Numidia de la wilaya de Constantine, on ne peut plus refuser une telle invitation. «Vu que nous sommes intéressés par le tourisme durable et écologique, toute l’équipe de notre agence est présente ici à Tikjda pour participer à cette louable initiative. En conjuguant nos efforts, nous pouvons redorer l’image de Tikjda et d’autres sites naturels en Algérie. Nous comptons organiser une campagne du même genre à Constantine pour nettoyer le Rhummel», a-t-elle fait savoir.
Mis à part le côté organisationnel, la direction du PND a aussi participé à la campagne de nettoyage. «Nous avons mobilisé tous nos agents des secteurs du PND pour participer au volontariat. En parallèle, nous avons organisé une exposition au niveau du chalet du Kef sur l’écodéveloppement, l’écotourisme et le patrimoine du Djurdjura à travers des animaux empaillés, quelques posters, etc. Nous avons aussi prévu un pique-nique à l’air libre pour les participants», explique Toumi Ahmed, chef du secteur de Tikjda au PND.
. Une journée de nettoyage ne suffit pas
La mauvaise surprise des bénévoles était grande. Une énorme quantité de déchets a été collectée en moins d’une demi-heure. Les larges sacs-poubelles commencent déjà à se remplir de toutes sortes de déchets.
Bouteilles en verre, canettes de bière, plats jetables en plastique, gobelets, sachets, morceaux de métaux, papier, etc. Dans chaque recoin, un déchet se cache. Dans les cavités des rochers, autour et sur les arbres, dans les cours d’eau, aucun endroit n’a été épargné par la pollution.
Lydia, une représentante de l’agence Kherdja, déplore l’état des lieux : «Je suis choquée par le tas d’ordure qu’on a découvert. C’est à l’entrée de Tikjda même que j’ai fait ce constat. Chaque année, ce joyau du Djurdjura se dégrade de plus en plus. Malheureusement, nous n’avons pas une culture de tourisme en Algérie. Nous devons travailler davantage sur le volet de la sensibilisation de nos concitoyens.» Et d’ajouter que ce volontariat est une occasion pour donner une autre image aux agences de voyages qui sont souvent mal vues.
Le même avis est partagé par Ramzi Chernine, directeur commercial de Chernine Travel, de la wilaya de Skikda: «Nous n’avons pas imaginé que le site de Tikjda soit aussi sale. Une journée de nettoyage ne suffit pas pour collecter le tas d’ordures éparpillées un peu partout. Il faut obliger les personnes qui y viennent à ramener des sacs-poubelles avec eux. C’est inconcevable qu’un visiteur fasse des achats dépassant les 5.000 DA pour faire un pique-nique, ne pense à acheter un sac-poubelle à 10 DA pour y mettre les déchets qu’il génère! Néanmoins, cet événement nous a permis de nous retrouver après 7 mois de confinement.»
En revanche, pour d’autres, tels que Lahouamed Fouad, chef de l’agence Bledvoyages basée à Alger, la responsabilité est collective. La protection de la nature est une affaire qui nous concerne tous. «Nous avons rempli deux camions avec des ordures que nous avons ramassées sur un périmètre d’environ 200 m2. C’est énorme! Certes, le visiteur est à blâmer s’il jette ses déchets en pleine nature, cependant, les autorités locales ou les pouvoirs publics doivent aussi assumer leurs responsabilités. Ils doivent au moins mettre à la disposition du visiteur des bacs à ordures. Le site de Tikjda ainsi que tous les autres au niveau national sont le patrimoine de tous les Algériens. Si nous ne veillons pas à leur protection, personne ne le fera à notre place.»
. Une charte nationale pour un tourisme responsable
Vers 14h, la foule des bénévoles s’est regroupée au chalet du Kef pour marquer une pause et prendre un déjeuner dans une atmosphère conviviale au milieu de la forêt de pin noir.
Le directeur du PND, Dahmouche Ahmed, supervisant l’opération de nettoyage, estime que le temps est venu pour asseoir une approche globale avec l’implication de tous les acteurs intervenant dans des espaces tels que les parcs naturels, culturels, etc. «Cet événement nous a permis de tisser des liens avec les agents et agences de voyage et ouvrir un dialogue avec eux, parce que nous partageons les mêmes espaces. Nous devons travailler ensemble, exposer les différents problèmes que rencontre chaque partie afin d’établir une feuille de route, et pourquoi pas proposer une charte nationale pour la promotion du tourisme responsable. Nous devons mettre un terme à cette anarchie et incivisme régnant et définir les activités qui seront permises à l’intérieur des aires protégées», suggère-t-il.
Photo: En un court laps de temps, les bénévoles remplissent un sac poubelle de déchets
Par Omar Arbane
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Posté Le : 15/10/2020
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Omar Arbane
Source : elwatan.com du jeudi 15 octobre 2020