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Algérie - PARC NATIONAL DE GOURAYA (BÉJAÏA): Une perle qui s’abîme


Algérie - PARC NATIONAL DE GOURAYA (BÉJAÏA): Une perle qui s’abîme


Le Parc national de Gouraya déploie ses trésors de paysages à l’infini pour le grand bonheur du visiteur. Mais toutes ces richesses naturelles, en faune et en flore, sont aujourd’hui mises en danger par des comportements humains irresponsables.

Une plaque d’orientation, sise au pied de l’école primaire des 13-Martyrs à Taassast, invite le visiteur à escalader le mont de Gouraya par son côté occidental. C’est le côté privilégié en effet par les Béjaouis pour éviter d'affronter la montée raide du côté de la porte de Gouraya, le flanc oriental. Bienvenue au Parc national de Gouraya (PNG), qui figure parmi les 10 parcs nationaux créés par la France coloniale en 1924 dans l’Algérie de Ferhat Abbas.

La superficie d’alors était de 535 ha; celle-ci a atteint aujourd’hui 2.080 ha sur le continent (terre) et 7.842 ha en mer. Sur place, on ne peut s'empêcher de s'engouffrer dans cette forêt, qui est là devant nous, encore humide de la pluie tombée en trombe la veille.

On respire profondément, notamment l’odeur de ces pins maritimes (Pinus pinaster) et autres espèces d’arbres, encore humidifiés. Le calme qui y règne fait oublier les tracas de la vie et le brouhaha qui s’élève depuis la plaine par la foule et les centaines de bus et milliers de voitures en circulation.

Quelques mètres dans cette forêt, on rencontre la première aire de détente, mais curieusement vide de monde. On tombe juste après sur un immense château d’eau, qui alimente depuis des décennies les quartiers périphériques, les Bâtiments, Taassast et, plus bas, Lacifa, Houma Vazine et Lakhmis, la plaine. En poussant un peu plus, on tombe sur le secteur occidental du PNG. Hormis le gardien, tous les éléments – quatre en tout – sont sur le terrain.

Et pour cause: du boulot, ce n’est pas ce qui manque. Les journées sont pleines et harassantes. Plus singulièrement en été. Béjaïa ou Bgayet reçoit des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de visiteurs. Et ils visitent ses principaux sites, lesquels sont tous situés dans le périmètre du PNG, qui est lui-même situé entièrement dans la commune de Béjaïa.

Pour le directeur du parc, Moussa Haddad, qui nous a reçu dans le secteur oriental où se trouve la direction, “il y a précisément dix-sept sites historiques à visiter” (le Fort Gouraya, la muraille Hammadite, les mausolées, Sidi Touati, Sidi Aïssa, Sidi Yahia et Yemma Gouraya, la grotte d’Ali Bacha, l’aqueduc de Toudja, l’île des Pisans) et neuf “sites pittoresques” (cap Carbon, le pic des Singes, la baie des Aiguades, la pointe des Salines (Tamelaht), la Pointe noire, etc.

L’administration du PNG a été érigée sur la route de Gouraya. Les éléments, engagés dans la protection et la sensibilisation, apprécient quotidiennement le nombre de visiteurs, qui montent au mont Gouraya. Le va-et-vient des véhicules immatriculés dans toutes les wilayas y est incessant.

En plus de ceux qui choisissent de s’y rendre à bord de petits fourgons sur une route sinueuse et particulièrement dangereuse. Certains visiteurs, les plus jeunes notamment, choisissent de monter à pied. Ils optent pour des raccourcis mais le chemin est escarpé.

“Et comme nous ne pouvons pas être partout, a expliqué M. Haddad, on fait dans la sensibilisation de tout ce beau monde. Mais cela n’est pas évident tous les jours, car la visite du mont Gouraya, ce n’est pas seulement en été, mais toute l’année.”

Le PNG, a poursuivi M. Haddad, “est un parc mixte”. Il renferme les unités écologiques suivantes. Une unité terrestre, représentée, explique-t-il, par les 2.080 ha: “Elle constitue l’aire naturelle par excellence du singe magot et certains mammifères.”

Occasion pour Mme Bourad Nabila, conservatrice divisionnaire des forêts, de déclarer avec insistance que “le singe magot, censé vivre à l’état sauvage, reçoit de la nourriture de la part des visiteurs du parc, soit directement, soit en y jetant leur nourriture dans la nature, laquelle est ensuite récupérée par ces primates”. Pis, ils ont appris à mendier le long de la journée, et ce, toute l’année, explique-t-on dans un prospectus de sensibilisation. Comme le mont Gouraya est visité durant les quatre saisons, le singe délaisse, déplore-t-on, son alimentation naturelle pour une autre composée de pain, de biscuits, etc

. Les ravages des singes

Conséquences, dénonce-t-on: “Certaines colonies de singes ont fini par quitter leur territoire pour investir les quartiers les plus proches du parc à la recherche de nourriture.” Mais ces expéditions ne sont pas sans dégâts. “Ils saccagent de ce fait les jardins et les potagers et fouillent les poubelles”, regrette-t-on. Saccage à l’origine, parfois, de “bagarres” avec les propriétaires qui voient ainsi leurs récoltes détruites.

Pour y remédier, nous faisons dans la sensibilisation. “On demande aux visiteurs, soit directement quand cela est possible, soit par des écriteaux visibles ou des prospectus de ne pas détruire les plantes, de ne pas nourrir le singe, de ne pas capturer de chardonnerets, de ne pas perturber les animaux et de ne pas polluer l’eau de source, consommée par les animaux. Mais aussi de ne pas jeter les déchets dans la nature, des poubelles sont placées un peu partout dans les aires de détente. Et de ne pas allumer de feu dans la forêt et de préserver les zones humides”, souligne Mme Bourad. Les forestiers déplorent que le citoyen ne fasse pas trop attention. Il jette ses déchets un peu partout.

“Vous avez certainement remarqué les vides des bouteilles, qui y sont jetés tout au long de la route mais aussi des aires de détente. Les forestiers n’ont pas à faire de nettoyage. Chacun doit récupérer son déchet. Et je peux vous assurer que chaque jour on nettoie, en plus des volontariats et des programmes de mobilisation de la wilaya. D’ailleurs, on réserve des petites sommes sur notre budget afin de faire face à ces opérations”, a confié M. Haddad.

. Incivisme

Les déchets sont aussi une violence visuelle. On vient respirer l’air pur et découvrir la nature. “On est choqué devant des détritus, voire des décharges. Les animaux viennent ensuite manger dedans”, a témoigné Hakim, un habitant des Bâtiments, qui ne reconnaît plus son environnement.

On parle aussi de violence sonore, allusion à ces automobilistes qui ouvrent à fond la musique ou s'adonnent à jouer de la derbouka alors qu’ils sont dans une aire protégée. Les gens viennent ici pour se reposer. Heureusement que la loi forestière est en révision, a affirmé M. Haddad.

“Il va y avoir des changements, des amendes y sont prévues. Tout sera revu. Les gens devront faire plus attention et respecter la quiétude qui règne dans ces lieux que la nature nous a laissé.”

Un nouveau phénomène vient de voir le jour sur le territoire du parc, en témoignent des photos publiées sur le compte facebook de la cellule de communication du PNG: “Les visiteurs se sont mis, depuis quelque temps, à uriner dans des bouteilles en plastique. Celles-ci sont ensuite jetées dans la forêt”, a dénoncé le directeur du PNG.

Rachid, retraité et militant écologique, révèle que le phénomène n’est pas nouveau. “On a commencé à l’observer dans certains quartiers de la ville de Béjaïa.”

Il a gagné la montagne. Explication. “Les locataires louent des locaux sans commodités, les WC en l’occurrence”, a ajouté Rachid. “Ils se sont mis à vider le contenu de leur vessie dans des bouteilles, qu’ils s’empressent ensuite de jeter dans des poubelles ou à même le sol, sans même prendre la peine de les mettre dans des sacs adéquats, obligeant ainsi les pauvres éboueurs à les ramasser.”

Rachid dit que l’État gagnerait à obliger les bailleurs, qui louent à coups de millions leurs locaux, à réaliser des WC. Avant d’évoquer les autres contraintes auxquelles est confronté le Parc national de Gouraya, M. Haddad a tenu à saluer la particularité des Béjaouis. “Dès qu’il y a un départ de feu, un début d’incendie, il est immédiatement signalé. On nous appelle. Personnellement, je suis en poste depuis une année, les gens m’appellent directement ou sur le fixe. C’est un point positif. Les gens sont conscients. C’est la raison pour laquelle peu d’incendies ont été déclarés sur le territoire du parc.” L’alerte est suivie d’une intervention rapide, soit des équipes du PNG, soit de la Protection civile mais aussi des citoyens.

Par ailleurs, il a souligné que l’unité terrestre est aussi considérée comme un véritable “sanctuaire ornithologique favorable aux oiseaux sédentaires ou migrateurs”. Il a précisé que le PNG renferme ouest 12 villages – relevant en majorité du douar Aït Timessyet, arch d’Imezayen, “dont l’intégration est l’une des principales missions du parc”. Il y a en outre une unité marine.

On apprend qu’une étude de cette partie marine du parc, lancée par l’Institut des sciences de la mer et de l’aménagement du littoral, “montre l’existence d’une flore et d’une faune remarquables par sa diversité”. Il y a, ajoutera M. Haddad, l’unité lacustre, en l’occurrence le lac Mezaïa, qui s’étend sur une superficie d’environ 3 ha ayant des profondeurs allant de 0,5 à 18 m, ce qui a favorisé, a-t-il indiqué, “la croissance d’une végétation variée et abondante indispensable aux oiseaux d’eau”.

Aussi, si les habitants originels, les autochtones, “ont préservé cet environnement et nous l’ont légué, on se doit, nous aussi, de le protéger afin de le laisser aux générations futures, affirmé M. Haddad, c’est la raison pour laquelle nous travaillons en étroite collaboration avec les associations, notamment écologiques, pour réussir dans cette tâche”.

Il citera l’exemple de l’association Ardh (terre), présidée par Karim Khima. Et c’est avec ces partenaires que sont menées les opérations de nettoyage, les campagnes de sensibilisation, notamment à l’attention des plus jeunes.

Par ailleurs, le PNG est confronté à de sérieuses contraintes, certaines d’entre elles y sont héritées. À titre d’exemple, a ajouté M. Haddad, “la carrière d’agrégats d’Adrar Oufarnou était là avant la création du PNG en 1984. L’affaire est en justice. Idem de la décharge publique de Boulimat. La station d’enrobé a cessé son activité il y a huit ans”, a-t-il rappelé.

Une autre carrière appartenant à l’ETR (Entreprise des travaux routiers) a cessé son activité aussi. “Il reste la carrière d’agrégats d’Adrar Oufarnou. L’affaire est à la Cour suprême. Et on attend l’ouverture d’une décharge contrôlée”, a-t-il souligné.



Photo: © Liberté

Reportage réalisé par : Moussa OUYOUGOUTE
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