Economiste de formation, Mourad Kezzar est membre de l’Association francophone des experts et scientifiques du tourisme. Il fut membre du conseil d’administration de l’Association mondiale pour la formation hôtelière et touristique. Il est aussi journaliste, consultant–formateur en PME–PMI et auteur de deux ouvrages sur le tourisme.
- Comment expliquez-vous l’attrait que suscite la formule du séjour chez l’habitant comme option de vacances dans la wilaya de Skikda?
La formule de l’hébergement chez l’habitant a toujours existé en Algérie et dans la wilaya de Skikda en particulier. Les décennies 1970-1980 furent les meilleures années du tourisme interne avec le balnéaire comme première destination. La Tunisie n’était pas encore ancrée dans les mœurs et la proportion des excursionnistes était faible par rapport à celle des visiteurs en résidentiel. A l’époque, si nous prenons la wilaya de Skikda, il y avait moins de 700 lits d’hôtels de tourisme et moins de 5 campings en offre.
Malgré cela, la région recevait des milliers de touristes avec un délai moyen de séjour supérieur à 10 jours. Actuellement, selon certaines estimations, la région reçoit moins avec un délai de séjour moyen inférieur à 7 jours.
Et c’est grâce, entre autres, à la formule de l’hébergement chez l’habitant que la région avait réussi à capter cette forte demande nationale, faisant du tourisme la première source de financement de l’économie locale, après la pêche, pour la région ouest de la wilaya. Ainsi, en 2016, nous sommes toujours dans la même dynamique, mais avec de nouveaux apports liés aussi bien aux mutations des attentes des touristes que de l’environnement politique, économique, social et technologique du pays.
- Jugez-vous que cette formule témoigne en fait du manque d’infrastructures d’accueil dans la wilaya de Skikda?
Oui et non à la fois. Oui, car nous sommes en face d’un déficit en lits, si l’on prend le nombre limité de lits d’hôtellerie dans une région à vocation touristique. Non, car à ce jour, personne ne peut dire réellement à combien se mesure le déficit en lits pour cette hôtellerie. Pour dire qu’il y a manque, on a besoin de connaître les besoins et les comparer à l’existant. Or, à ma connaissance, toutes les études réalisées à ce jour et à l’échelle nationale sont de la pure littérature et du copier- coller, juste on change le nom de la ville et les données géographiques.
Je m’explique: le Ramadhan ne coïncide plus avec les deux mois de juillet – août. Malgré cela, le 20 juillet dernier, les trois importants hôtels de la wilaya n’étaient pas à 80% de taux d’occupation. Alors, y a-t-il un déficit?
- En cette dernière semaine de juillet, le mois d’août n’est toujours pas en over-booking dans tous les hôtels de la wilaya. Peut-on encore parler de déficit?
Donc, je préfère dire que la formule de l’hébergement chez l’habitant bénéficie toujours d’une grande part de marché. Elle a sa clientèle qui est plus importante que celle de la clientèle de l’hôtellerie de tourisme et qui exprime chaque saison de nouvelles exigences en matière de qualité.
- Légalement, comment peut-on considérer le recours des propriétaires de logements à cette pratique? Et ne pensez-vous pas que l’Etat doit s’impliquer pour régulariser et réguler cette option?
Cela va de soi que nous sommes dans l’illégal. Nous sommes en infraction aux règles de l’hôtellerie, celles régissant les agences immobilières, aux règles sur la concurrence et à celles des impôts. Il est attendu que l’Etat, habitué à dépenser plus qu’à gérer et réguler, agisse avec pédagogie, mette des procédures efficientes au lieu de laisser faire en préférant les discours et le débit de statistiques souvent mensongères comme celles relatives au nombre de touristes. Le touriste en tant que consommateur n’est pas protégé et l’économie locale ne profite pas d’un marché traditionnel qui évolue de saison en saison.
Mais il existe bien une réglementation relative à la formule hébergement chez l’habitant ?
Effectivement, sauf qu’on a l’impression que ceux qui l’ont adoptée, ont démarré de l’idée selon laquelle ils allaient créer un nouveau concept devenant pionniers dans le domaine. Or, quitte à me répéter, il s’agit d’un couple «produit- marché», bien développé dans le monde et dont l’activité existe, en Algérie, depuis au moins les années 1960. Si je me réfère aux travaux de l’économise le Dr Salah Mouhoub, c’est le premier type d’hébergement dans le monde. Juste, chez nous, il a besoin d’être régulé, faute de quoi, à un texte inadapté, un échec est annoncé. Depuis 2013, date d’entrée en vigueur de ce texte, aucun cas d’hébergement chez l’habitant n’a été signalé aux communes et on continue, malgré cela de citer la formule comme étant l’une des mesures phares de développement du tourisme!
Le tourisme doit rester une source de financement des économies et non devenir une autre occasion pour l’évasion fiscale. Heureusement, que cette formule, à l’algérienne, n’est pas appliquée sur le terrain, car ce serait la légalisation de la plus grande évasion fiscale dans le secteur du tourisme dans le monde. Qui va empêcher des appartements-hôtels de s’inscrire dans cette formule et ne pas payer la TVA, cet impôt qu’on a tendance à oublier, ici en Algérie, qui ne s’applique pas au commerçant mais à l’activité même?
Quand il s’agit de location de particulier à particulier, on peut fermer l’œil pour encourager l’économie solidaire et sur une période transitoire, mais quand des villes entières sont inondées d’affichettes portant les mêmes numéros de téléphone et proposant des hébergements chez l’habitant, là aucune administration n’a le droit de se taire, car l’argent qui va manquer au Trésor n’est pas le sien, il appartient à la collectivité!
Entretien par Khider Ouahab
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Posté Le : 11/08/2016
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: El Watan ; texte: Entretien par Khider Ouahab
Source : elwatan.com du jeudi 11 août 2016