Algérie

Algérie - Mourad Ahmim. Enseignant- chercheur en science de la nature et de vie: «Des axes de recherche sur la faune après incendies sont à encourager»



Algérie - Mourad Ahmim. Enseignant- chercheur en science de la nature et de vie: «Des axes de recherche sur la faune après incendies sont à encourager»


Mourad Ahmim était aussi un forestier qui a quitté le secteur pour rallier l’université avec le grade de conservateur principal. Il était même un formateur forestier. Il fréquentait les forêts dès son jeune âge et a travaillé en tant que saisonnier dans le domaine de la protection des forêts.

- Quels sont les animaux les plus menacés ou ceux qui sont les plus touchés à ce jour?

La forêt est un écosystème où vivent des espèces animales et végétales très diversifiées et variées allant de la plus rare à la plus répandue. Concernant les animaux, on retrouve de tout : de l’insecte au grand mammifère et surtout les oiseaux. Durant les incendies de ces dernières années, il y a eu mortalité de différentes espèces dont on a retrouvé les cadavres ; on citera entre autres des tortues des loups d’Afrique, des singes, des porcs-épics, des hérissons, des lapins et les lièvres… Je dirai que toutes les espèces qui vivent en forêt sont menacées directement ou indirectement.

Sachant que les oiseaux peuvent fuir rapidement dès le début d’un incendie, ils perdent leur habitat car leurs nids sont brulés et ils perdent aussi leur couvée. Je vous cite un exemple très concret des effets indirects des incendies sur la faune: il y avait chez nous une espèce de truite qu’on appelle «la truite de Oued zhor» «Salmo trutta macrostigma», c’est un poisson endémique strict à l’Algérie. Cette espèce qu’on recherche toujours a disparu suite aux incendies des années 90, car il y a eu un grand incendie qui a généré énormément de cendre qui s’est abattue sur la rivière d’où le manque d’oxygène pour ce poisson et aussi l’eau est devenue très chaude. Ce qui a fait qu’il y a eu mortalité pratiquement des quelques individus de cette espèce importante.

Rappelons-nous des incendies de fin 2019-2020 en Australie où il y a eu 3 milliards d’animaux exterminés par le feu. C’est vrai que nous n’avons pas le même couvert forestier en Algérie, mais nous avons des pertes en patrimoine faunistique à chaque incendie. Malheureusement, nous n’avons pas de travaux réalisés sur cet aspect pour pouvoir quantifier et estimer quelles sont les pertes et avoir une idée sur les espèces qui sont les plus menacées.

- Quels moyens ou solutions proposez-vous pour la prise en charge?

Pour la prise en charge de la faune forestière, il faut prendre en charge la forêt d’une manière à ce qu’elle ne soit pas incendiée. Il faut reconnaître que la décennie noire a empêché les forestiers et les scientifiques de faire leur travail convenablement car je me rappelle qu’avant cette période, il y avait des postes de vigie, les forestiers étaient dotés de matériel de communication et ils avaient un accès direct en forêt dès le départ du feu. La prise en charge de la forêt passe par les travaux sylvicoles et d’entretien, le renforcement des pistes forestières, la création de points d’eau pour une double utilisation, à savoir leur utilisation lors de la déclaration d’un incendie et leur utilisation par les animaux pour s’abreuver et aussi une bonne surveillance durant la période estivale par le recrutement de saisonniers, comme cela se faisait avant et bien sûr renforcer les prérogatives du forestier en termes de lutte contre toute forme de criminalité forestière. A titre d’exemple, cet été, il y a eu des forestiers qui ont été agressés par des délinquants en plein forêt et on leur a même saccagé leur véhicule de terrain! En parlant de délinquant, je veux dire des personnes qui brûlent la forêt qui font des coupes illicites, qui défrichent qui démasclent illégalement le liège…

- Y avait-il des scénarios dramatiques dans le passé à éviter aujourd’hui?

Il y a eu des scénarios dramatiques tels que la mortalité d’hommes et de femmes qui ont été entourés par les incendies, mortalité de cheptel et des villages qui ont été atteints par le feu. Pour éviter que de telles situations se répètent, il faut renforcer les prérogatives des forestiers et surtout rappeler à la population que allumer un incendie est un crime puni par la loi et donc prévoir des mesures strictes toute personne qui allume un incendie doit payer et doit être puni. Ces derniers temps, ce sont surtout les défrichements qui posent problème ; tout le monde veut avoir un verger en forêt ou construire en forêt. Cette situation a tendance à s’aggraver de plus en plus et on voit notre patrimoine forestier s’amenuiser au fur et à mesure.

- Pourquoi on ne parle que rarement des animaux morts lors des incendies?

On parle rarement des animaux morts lors des incendies car il n’y a pas de travaux qui se font en ce sens, soit par les chercheurs et aussi par les forestiers. Il faut aussi se rendre à l’évidence que ce n’est pas facile de sillonner une forêt calcinée à la recherche de cadavres d’animaux car tout est couvert par les cendres. Un travail de fond doit être effectué en ce sens et des axes de recherche sur la faune après incendies sont à encourager.

- Nous avons l’impression que la sensibilisation donne peu de résultats…

Les forestiers font de la sensibilisation depuis l’indépendance par la création et l’installation de panneaux dans les forêts par l’organisation de portes ouvertes et d’expositions… Ils ont été rejoints il y a des dizaines d’années par les scientifiques et les écologistes qui font aussi de la sensibilisation à outrance. Des résultats ? A mon avis très peu. Prenons l’exemple des panneaux de non nourrissage des singes dans certains parcs nationaux. Ils sont visibles par tout le monde mais presque tous nourrissent les singes à se demander des fois s’ils ne le font pas exprès. Donc, à mon avis, il faut vraiment penser à adopter une autre méthode de sensibilisation où il faut prendre des dispositions qui permettront d’arrêter cette situation qui perdure et qui est vraiment menaçante pour l’avenir de la forêt et de la faune forestière.



Entretien réalisé par Nassima Oulebsir


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