Ils sont près de 15 000 ces Marocains en situation irrégulière, notamment des artisans dans le bâtiment et la boulangerie qui contribuent, discrètement, à l’édification d’un pays : l’Algérie.
Discrètement, car ces ouvriers qualifiés travaillent dans la clandestinité. Enfin presque, puisque, ironie du sort, des infrastructures étatiques, telles que la cour du nouveau tribunal et l’aéroport de Tlemcen, entre autres, portent les empreintes de ces mains expertes dans l’art du plâtre et de la mosaïque.
Dans ce magma de paradoxes, les relations politiques entre l’Algérie et le Maroc sont des plus exécrables au point où, pour cadenasser davantage la barrière, les autorités algériennes ont creusé, sur le tracé frontalier, des tranchées de sept mètres de profondeur et trois mètres de largeur. Leurs homologues marocaines, pour riposter à cet affront, ont parallèlement érigé un grillage de deux mètres cinquante de hauteur.
Mais, situation ubuesque, ni les fossés et encore mois le mur en fer n’ont dissuadé les artisans chérifiens à braver le danger pour aller chez leurs «frère»s algériens contribuer à une économie basée sur le système rentier. Des artisans qui ont la côte, dans le sens où ils sont sollicités par de grandes entreprises privées et publiques, de toutes les wilayas du pays.
C’est un secret de Polichinelle... Episodiquement, des rafles sont menées par les services de sécurité pour arrêter et déférer devant le parquet de Maghnia ces Marocains «en situation irrégulière», puis les refoulés dans leur pays par le poste frontalier de Akid Lotfi, fermé depuis 1994. Abderrahmane, peintre professionnel originaire de la ville chérifienne de Fès, est dépité : «Nous sommes très demandés par nos frères algériens.
Avant le creusement des tranchées et l’érection du grillage sur le tracé frontalier, on n’avait aucune difficulté pour traverser, moyennant une contribution financière sur les lieux. Aujourd’hui, on prend l’avion de Casablanca à Alger pour travailler chez des privés et dans des entreprises qui ont pignon sur rue. Tout le monde est au courant de notre présence ici, le problème, c’est qu’on continue de tolérer cette présence, mais souvent, on se fait arrêter et refouler, c’est hypocrite !»
Tolérance
Beaucoup d’artisans marocains, à l’image de Jamal, plâtrier de renom, empruntent toujours l’itinéraire interdit, malgré les obstacles. «Rien n’a changé pour moi, sauf que je paie plus qu’avant sur les lieux. La moitié du prix d’avion, je le donne à ceux qui sont censés surveiller la frontière. Une frontière passoire, en vérité.» Fortement embarrassé, il s’interroge : «Pourquoi ne pas nous régulariser et nous permettre de travailler dans les règles ?
C’est incompréhensible, notre savoir-faire est très demandé ici et l’Algérie manque cruellement de main-d’œuvre…» La réalité est bien là : en Algérie, il est difficile de trouver un maçon, un plâtrier, un plombier, un soudeur et même de simples manœuvres.
Ces secteurs ont été abandonnés par les jeunes parce que l’Etat leur a offert des dispositifs d’emploi où tout le monde est devenu chef d’entreprise improductive. Une façon d’occuper ces jeunes, de les éloigner de toute idée subversive. Curieusement, les Chinois ont toute la latitude de travailler… sans véritable contrôle des responsables.
On a même l’impression que des instructions ont été données aux inspecteurs du travail de ne pas les déranger. «Pourquoi faire appel aux Chinois, alors que nous sommes tout près ? Logiquement, nous sommes plus habilités à travailler en Algérie, au vu de la proximité, de la langue et des traditions...» jugent, sidérés, ces mains d’or marocaines.
Et même si des accords ont été signés entre l’Algérie et le Maroc concernant le travail de leurs ressortissants dans leurs pays respectifs, en réalité, il n’y a aucune collaboration dans ce sens. Concrètement, pour obtenir un permis de travail, le ressortissant marocain est soumis à de rudes épreuves.
Autant dire que c’est quasiment du domaine de l’impossible au vu du dossier à fournir. «Beaucoup parmi nous ont constitué des dossiers en bonne et due forme pour obtenir le fameux sésame, le permis de travail, mais la procédure n’aboutit jamais. C’est une manière de nous dire que nous ne sommes pas les bienvenus ici. Bizarrement, ceux qui nous refusent administrativement, les responsables, font appel à nous pour construire leurs villas... mais dans la clandestinité», témoigne Hamza, carreleur.
En attendant une entente bénéfique pour l’économie des deux pays frères, ces précieux «travailleurs au noir» continuent de gagner leur pain dans des conditions pénibles. En pleine guerre froide, ces mains d’or demandent un statut légal «Au nom du Grand Maghreb, régularisez-nous !» revendiquent Abdallah, Jamal, Hamza et consorts…
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Posté Le : 19/05/2018
Posté par : tlemcen2011
Ecrit par : Chahredine Berriah
Source : El Watan