«Personne n'est capable de vous dire si cela va se faire ou quand ça va
se faire», répond l'un des hommes d'affaires les plus puissants en Oranie, à l'ouest de l'Algérie. La question ? C'était celle
sur les rumeurs d'une imminente réouverture des frontières entre l'Algérie et
le Maroc. Une vieille bulle spéculative algérienne qui mêle politique, affaires,
contrebandes, Union du Maghreb en berne et guerre des sables tardive. Au Maroc,
dans les rues de Casa, on y croit ferme : «c'est le 02 juillet».
Depuis quelques semaines, c'est la première rumeur au top Ten des rumeurs algériennes : la frontière ouest va être
rouverte. On avance même des dates : «Le 02 juillet» à la veille de la 49ème
fête de l'indépendance et d'un discours présidentiel encore attendu. Les
raisons ? Un peu de tout : l'instabilité de la frontière est avec une Tunisie
en révolution permanente et la
Libye en guerre de sécession, le besoin du gouvernement
algérien de faire alliance avec l'unique rescapé régional du printemps arabe, à
savoir la monarchie longtemps décriée par la république socialiste égalitaire
et, enfin, les pressions occidentales pour l'émergence d'un marché maghrébin de
consommation plus intéressant que les villages nationaux de chaque pays. Au
sommaire, il faut ajouter l'argument de la «soupape de sécurité» pour des
populations agitées et l'effet de dérivation pour une population algérienne que
l'on craint de voir contaminée par l'esprit du jasmin révolutionnaire tunisien.
Depuis quelques jours déjà, un faux débat s'est installé en Algérie : qui est
marocain d'origine dans le personnel au pouvoir, qui le cache, qui en a honte
et qui s'en revendique ? Sur la liste, un entretien explosif de l'ex-président
Ahmed Ben Bella qui osera affirmer et revendiquer un
lieu de naissance «tabou» dans l'histoire de la révolution algérienne : le
Maroc et la marocanité. Ben Bella avouera être de
père et de mère marocain, là où le l'actuel Président Abdelaziz Bouteflika a pris soin de biffer son lieu de naissance (Oujda)
du site officiel de la
Présidence après son premier mandat. Dans la lancée, le PDG
de la compagnie algérienne Air Algérie fera de même : je suis marocain mais les
frontières ne peuvent pas être rouvertes sans contrepartie. A comprendre le
règlement de tout le passif des relations tendues et presque guerrières entre
les deux pays : les terres spoliées, les propriétés et les fonds des Algériens
«marocains» de l'époque coloniale. Du coup, et dans le sillage, une polémique
est née : qui cache sa marocanité de naissance et pourquoi ? Sur le web, une
liste circule déjà : celle de hauts responsables algériens encore en fonction, nés
à l'ouest et naturalisés algériens… il y a à peine trois décennies.
Est-ce un crime que d'être né au Maroc ? Non, mais c'est un tabou. L'hyper
nationalisme des révolutionnaires et le passif de la guerre des sables et des
tensions avec Hassan II se greffent sur un débat algéro-algérien
: l'origine généalogique de l'équipe actuelle au pouvoir venus de l'ouest avec
la fameuse armée des frontières. Une armée de supplétifs aussi, gonflée par des
fausses attestations de participation à la guerre d'indépendance pour les
besoins du «chiffre», troupes fidèles au clan dit de Oujda face aux
autonomistes du front interne, affirment les détracteurs. Un imbroglio difficile
à comprendre pour les étrangers. Eté 1962, la révolution algérien connaît en
effet sa première crise et ses premières départs de feu pour une presque guerre
civile entre maquisards du front interne, symbolisés par les combattant de la
zone autonome d'Alger, et ceux de la fameuse Wilaya 4 et les autres venus
«d'ailleurs». «L'histoire» ainsi trop brièvement résumée se greffera sur une
sorte de complexe de la mémoire et un traumatisme de l'unité nationale mis en
opposition avec une crainte de régionalismes instrumentalisés. Un Président
venu de l'ouest, né au Maroc et entouré d'une équipe qui a la préférence du
lieu de naissance, réactivera ce vieux débat et sa charge polémique. Aujourd'hui,
curieuse coïncidence, le retour des rumeurs sur les frontières entre l'Algérie
et le Maroc coïncidera avec quelques étalages de presse, des aveux
d'historiques et des analyses prêt-à-porter sur une injonction des puissances
occidentales pour rouvrir cette ligne de partage qui sépare la Géographie par
l'Histoire. «Lorsque j'ai interrogé mes sources sur cette rumeur, certains
m'affirment avec sérieux que cela vient d'en haut», nous expliquera la
journaliste marocaine spécialisée dans l'économie et le monde de l'entreprise. D'où
? «Pas de chez vous ou de chez nous, mais de plus haut, des Américains».
A Casablanca, dans les milieux de la presse marocaine, les certitudes
sont faites : «C'est le 02 juillet sans faute». La date est précise, même si
personne ne l'a annoncée officiellement des deux côtés. «Tout se prépare dans
ce sens», soutient-on. «C'est logique : les deux pays y gagnent et pas
seulement les Marocains», rétorque-t-on au vieux contre-argument
algérien sur la facture pour l'économie algérienne avec un bénéfice net pour le
voisin. «De toute façon, les biens circulent déjà ainsi que les marchandises : il
suffit de formaliser et ainsi tout le monde y gagnent et pas uniquement les
contrebandiers et l'économie informelle», analyse notre interlocuteur. «C'est
aussi le fruit des révolutions arabes», concluent presque tous : les deux
régimes sont obligés à la solidarité et les deux économies y gagnent. Le Sahara
Occidental ? «On en reparlera par la suite et il ne faut pas prendre en otage
les deux pays et leurs avenirs fragiles». La rumeur a donc virtuellement eu du
succès alors que des rassemblements de revendications sont déjà signalés dans
la région de Oujda à l'est du Maroc. Dans cette ville symbole de la «guerre
froide», on y mêle un peu l'esprit du 20 février local, mouvement de vaste
contestation mêlant jasmin et Facebook, le souci de
faire pression sur la monarchie et ses politiques de crédits pour les
développements régionaux. «Reste qu'on ne se fait pas beaucoup d'illusion», nous
expliquera un chef d'entreprise hôtelier : «à Oujda, le gouvernement a mis en
place des plans de développement économique alternatif et qui n'a pas besoin
des frontières pour créer de la plus-value».
La certitude sur une imminente
réouverture des frontières est partagée par Hichem, l'un
des membres actifs du mouvement du 20 février marocain, rencontré dans un hôtel
de luxe au boulevard Anfa au centre de Casablanca. «
Les préparatifs sont avancés à l'est du Maroc, mais on a été déjà déçu par la
date du 15 mai. Tout le monde avait donné cette date comme une certitude avant
que cela ne soit démenti». L'analyse de cet activiste est encore plus sévère : «Pour
aller en Algérie, soit on prend un avion ou deux si on va vers l'intérieur du
pays, soit on enjambe clandestinement des frontières. Cela me met en colère et
je trouve scandaleux que nous ayons, nous jeunes du Maghreb, accepté cette
absurdité et cette insulte. Les frontières ? Les peuples vont les rouvrir, pas
les régimes !». Les activistes de ce mouvement qui a fait trembler la monarchie
s'affirment militants d'un Maghreb, «un grand Maghreb uni», pas arabe ! Et donc
militants pour la fin des frontières et l'union des peuples de la région. «Reste
que les discussions sont très avancées au Maroc», affirme un homme d'affaires
spécialisé dans les prestations de services. «Il paraît que les Algériens sont
en attentes d'excuses marocaines pour les expulsions de 94 et les Marocains
sont prêts à les faire par la bouche du 1er ministre, pas par celle du Roi». 1994
reste un mauvais souvenir commun et dont on parle enfin avec lucidité. « Un
mauvais souvenir ? Oui», répond Hicham. «Ce qui a été
fait à cette époque est injustifiable». Les Marocains découvriront, plus tard, que
le terrorisme islamiste n'est pas importé de l'Algérie mais est produit par les
systèmes de gouvernance de chaque pays et dont le Maroc. «Le dernier attentat a
lieu à Marrakech et ce n'est pas un Algérien qui l'a commis !», conclura un
Algérien présent lors de cette discussion.
En attendant ? «Il y a le match de
foot. A Marrakech justement», ironise un interlocuteur. «La ville où a eu lieu
ce fameux attentat à l'origine de dix ans de froid. La ville où a été signée la
fondation première du Maghreb uni et le lieu où se jouera le match entre nos
deux équipes». Dans la vieille ville, un patron de restaurant est déjà
enthousiaste : «vous allez voir l'accueil de Roi que l'on réserve à votre
équipe et aux supporters algériens». Qui va gagner ? «Je ne sais pas», avoue-t-il.
Mais les Marocains sont unanimes à dire que dans le match des frontières, ce
sont les deux pays qui ont perdu.
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Posté Le : 28/05/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kamel Daoud : De Casablanca
Source : www.lequotidien-oran.com