Algérie

Algérie - Les camions sont impliqués dans 20% des accidents: Les anges de la mort



Algérie - Les camions sont impliqués dans 20% des accidents:  Les anges de la mort




Surcharge systématique, temps de repos non respecté, matériel vétuste, chauffeurs inexpérimentés… autant de maux qui gangrènent le secteur du transport routier de marchandises.

Vides, ils roulent à tombeau ouvert sur les routes, tentant de rattraper le temps perdu dans les embouteillages. Chargés, et bien souvent surchargés, ils se traînent à une allure d’escargot causant des kilomètres de bouchon derrière eux. Eux, ce sont les camions semi-remorques, ces mastodontes de la route qui sèment la mort sur leur passage et que les Algériens, avec leur légendaire humour noir, appellent ironiquement «Malik El Mout» ou les «anges de la mort».

Selon les derniers chiffres fournis par les services de la Gendarmerie nationale, les camions ont causé la mort de 1.470 personnes pour l’année 2013.

Une hécatombe de plus, mais c’est la coutume: en Algérie, dès que l’on parle d’accidents de la route et de morts, les compteurs s’emballent et les chiffres s’affolent. Nous sommes entrés dans le top 5 des pays où l’on meurt le plus sur la route, pied au plancher: 4.540 morts. Sans compter les 69.582 blessés, dont 10% handicapés à vie, que l’on a tendance à oublier un peu trop vite.

Pourtant, avec un parc automobile de 8 millions de véhicules (d’ici la fin de l’année), nous sommes loin de soutenir la comparaison avec la France et ses 38 millions de véhicules pour 65 millions d’habitants. La comparaison vaut uniquement pour le nombre de morts et de blessés.

Des engins pour des jeunes sans expérience

Tunnel de Kherrata, à Béjaïa, un vendredi soir. De retour d’une journée de plage, quatre jeunes et joyeux Sétifiens empruntent ce fameux tunnel à bord de leur petite Peugeot 206. De l’autre côté de cet étroit boyau de béton mal éclairé et mal aéré, un camion de 40 tonnes, surchargé, vient d’entamer la descente. Ses freins dégagent une horrible odeur d’amiante surchauffée, mais le chauffeur ne le sait pas encore. Lorsqu’il va s’en rendre compte, au bout de quelques kilomètres, il est déjà trop tard. Les freins ne répondent plus. Devenu un poids mort lancé à grande vitesse, le camion est incontrôlable.

Le chauffeur tente de l’arrêter en le dirigeant vers la paroi du tunnel mais en vain. C’est la petite 206 qui va, hélas, se trouver sur sa route au bout de sa course folle. Les pompiers mettront des heures pour désincarcérer les malheureuses victimes prisonnières d’une carcasse de métal dont personne n’arrive même plus à deviner la marque d’origine tant elle a été réduite en bouillie. Depuis, on a interdit aux camions ce tragique boyau de la mort, mais ils continuent de sévir ailleurs.

Une simple autorisation pour le transport de carburant

Des tragédies comme celle-ci, l’Algérie en voit, hélas, encore une fois, pratiquement chaque semaine.

Quelle en est vraiment la cause ?

Tentative d’explication: «Beaucoup de problèmes résultent de la surcharge. C’est dû à l’appât du gain, à la détérioration de la chaussée et aux freins qui lâchent, car il faut savoir que les freins d’un camion de 40 tonnes sont conçus pour cette charge précise. Au-delà de cette charge, ils chauffent et lâchent», dit Aïssa, ancien chauffeur de poids lourds, qui a décidé de changer de métier plutôt que de continuer à risquer sa vie et celle des autres sur la route.

«Comment peut-on octroyer, dans le cadre de l’emploi de jeunes, un camion à un jeune qui n’a ni permis ni expérience dans la conduite?» s’interroge-t-il encore.

Toujours selon notre interlocuteur, ces jeunes manquent d’expérience dans la conduite de ces imposants engins. Peu d’employeurs demandent un certificat de travail attestant de l’expérience du chauffeur qu’ils recrutent. On recrute à tour de bras et on licencie de la même façon. Il existe une forte mobilité des chauffeurs qui passent d’une flotte à l’autre. C’est ainsi que de jeunes chauffeurs peu préparés à leur nouvelle mission se retrouvent au volant d’un 50 tonnes dont ils ne maîtrisent que très peu les subtilités de conduite. Par ailleurs, les temps de repos ne sont guère respectés.

«Il faut définir le temps de conduite et le temps de repos réglementaires. La plupart des accidents sont dus à la fatigue», confiait récemment un officier de la gendarmerie, lors d’un point de presse.

Notre ancien conducteur, lui, nous donne un exemple concret: pour aller de Béjaïa à Hassi Messaoud, un chauffeur dispose de trois jours. Certains conducteurs se forcent à faire le trajet en deux jours afin de bénéficier d’une journée de repos passée à la maison tout en rognant sur les frais de mission.

Aucun contrôle routier ne permet de vérifier le temps passé au volant. C’est bien connu, les services de police et de gendarmerie n’effectuent jamais de contrôle sur les chronotachygraphes, ces disques mouchards qui font office de boîte noire pour camions.

Pis encore, même pour le transport de carburant, il n’est plus exigé de permis spécial carburant mais une simple autorisation octroyée par la wilaya. Pourtant un chauffeur de citerne de carburant, véritable bombe roulante, doit savoir comment réagir en cas d’incendie. Lors des crises de carburant, on les appelle de toutes parts: «Fais vite, je suis en panne. Si tu arrives dans les meilleurs délais, je te paie un supplément…»

«Certains chauffeurs prennent la route à 6h. A minuit, ils roulent encore», souligne Aïssa.

«Quand je transportais des citernes de gasoil entre Béjaïa et Oued Souf, je faisais 5 voyages par semaine avec un minimum de 2 jours par voyage et 6 millions de centimes par mois. Si j’arrivais à faire deux voyages de plus, cela me faisait un million de centimes de plus à raison de 5.000 DA par voyage», dit-il.

Cela arrange autant les patrons que les chauffeurs. Les dindons de la farce sont les pauvres automobilistes qui croisent sur leur route l’un de ces chauffeurs endormis au volant… On ne compte plus le nombre d’accidents causés par des chauffeurs ivres de fatigue.

Pour tenir le coup, ils se shootent au café noir.

«La majorité d’entre eux fument du cannabis pour lutter contre la fatigue, le stress de la route, la solitude, la surcharge de travail, etc.», dit encore Aïssa. Messaoud, 15 ans de métier dans le transport routier.

«Nous sommes pires que les fourgons de transport. Pas de temps de repos, c’est la course pour livrer. On travaille à la tâche. En principe, c’est 8 jours de repos pour 22 jours de travail mais personne ne respecte ce principe. On travaille tant qu’on est sollicité, y compris les jours de fête et de repos», dit-il.

Les retraits de permis se négocient aux alentours de 5000 DA. Aucun chauffeur ne peut se permettre de se voir infliger un retrait de permis qui lui ferait perdre son gagne-pain. Lorsque l’agent se montre conciliant ou bien fait des allusions claires à une possible récupération du fameux sésame, les négociations se tiennent à l’arrière de la benne, à l’abri des regards indiscrets.

Selon les derniers chiffres révélés par la presse, 74,5% des camions ont plus de 20 ans d’âge. Les poids lourds sont impliqués dans 20% des accidents de la route alors qu’ils ne représentent que 10% du parc automobile. Pour l’année 2013, les camions ont été impliqués dans 1.435 accidents.

Des chiffres qui donnent froid dans le dos mais qui vont continuer à grimper tranquillement, car si on continue de crier et s’indigner à chaque hécatombe, peu de mesures concrètes sont prises et très peu de solutions sont proposées dans un pays qui s’étouffe chaque jour un peu plus dans une circulation automobile démentielle.

Un pays où l’incivisme généralisé sévit également sur les routes. Si dans la journée, les services de sécurité sont plus ou moins présents sur les routes, pour maintenir un tant soit peu cette fameuse peur du gendarme, il en va autrement la nuit.

Lorsque policiers et gendarmes regagnent leurs commissariats et leurs brigades à la tombée de la nuit, pour cause de terrorisme, les chauffards s’en donnent à cœur joie.

Combien de camions roulent sur les routes algériennes ?

Quel que soit le chiffre, c’est beaucoup trop pour un pays au réseau routier plus que modeste: 115.000 km pour 8 millions de véhicules.

De surcroît, un pays qui a résolument choisi de tourner le dos au transport maritime et ferroviaire des marchandises.

En résumé, en attendant des mesures concrètes qui mettront peut-être un frein aux tragédies de la route, il serait utile que des campagnes de sensibilisation réapprennent à tous les chauffeurs un vieux principe oublié: sur la route, pour bien conduire il faut d’abord bien se conduire.

Djamel Alilat



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