Si, habituellement, les ménages consacrent en moyenne 40 à 46% de leurs dépenses pour l’alimentation selon la dernière enquête de l’Office national des statistiques (ONS) sur la consommation des ménages, durant le mois de Ramadhan ces dépenses prennent l’ascenseur et dépassent souvent les revenus des familles avec des achats qui se chiffrent quotidiennement à 2.000 DA en moyenne, soit
60.000 DA pour tout le mois. Des dépenses auxquelles se grefferont celles de l’Aïd. Certaines vont même jusqu’à s’endetter pour s’offrir les plaisirs d’une table bien garnie au moment de la rupture du jeûne et ouvrir par la suite la porte au gaspillage et à l’entassement des ordures.
En effet, la frénésie de consommation qui s’empare des Algériens en cette période de l’année n’est pas sans effet sur le budget des ménages, sur l’environnement et sur les importations. La consommation immodérée, un phénomène ancré au sein de la société algérienne, prend de plus de l’ampleur, alors que paradoxalement on parle de la dégradation du pouvoir d’achat en dépit des hausses de salaires appliquées dans plusieurs secteurs.
Au cours de ce mois de Ramadhan qui commence chaque année avec des augmentations de prix des produits alimentaires, les achats des citoyens se multiplient et se diversifient, que ce soit en qualité ou en quantité. Pain sous toutes ses formes, fruits, légumes, viandes, boissons, sucreries et autres friandises sont achetés à outrance sans être totalement consommés, mais jetés au moment où des familles entières restent dépourvues des aliments les plus élémentaires. Les chiffres disponibles dans ce cadre sont effarants et donnent à réfléchir sur la nécessité d’adopter une politique anti-gaspillage.
Les produits subventionnés, objet d’importantes pertes
A titre illustratif, l’Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA) avance le chiffre de 4 milliards de baguettes achetées pendant le Ramadhan 2013 dont 120 millions perdues. 120 millions d’unités, c’est l’équivalent de 1.200 millions de DA (à raison de 10 DA la baguette en moyenne), soit le coût d’un ou de plusieurs projets d’intérêt général. De quoi réduire la facture des importations. Ceci, rien que pour le pain, un produit subventionné par l’Etat.
En ajoutant les autres produits gaspillés, la facture sera encore plus lourde, que ce soit pour les familles ou pour les pouvoirs publics. Lesquels, faut-il le noter, importent une bonne partie des besoins en céréales utilisés pour la fabrication de ce pain. Idem pour le sucre et le lait. Rien que pour ce dernier produit, les achats de l’Algérie ont augmenté de 61% au cours des cinq premiers mois de l’année en cours par rapport à la même période de l’année dernière, selon les chiffres du Centre national de l’informatique et des statistiques (CNIS). Parallèlement, 12 millions de litres se retrouvent dans les poubelles, selon l’Ugcaa qui évalue les achats des Algériens en lait à 150 millions de litres au cours de ce mois.
Même constat pour les viandes, fruits et légumes avec des achats qui dépassent largement ceux effectués au cours des autres mois de l’année. Ce qui fait qu’au total, selon l’étude de l’Union, le montant du gaspillage atteint les 5 milliards de DA. C’est l’équivalent du montant nécessaire pour la réalisation des infrastructures de base ou pour développer des projets de recherche scientifique, notamment dans le secteur agricole où les besoins sont importants eu égard au défi de la sécurité alimentaire que l’Algérie est appelée à relever. C’est aussi un moyen susceptible de permettre à l’Algérie de contribuer à la lutte contre la faim dans le continent africain, où 26 pays ont besoin d’une assistance extérieure pour faire face aux effets combinés des conflits, des pertes de récoltes et des prix alimentaires élevés selon la dernière note de la FAO.
Le gaspillage plus important dans les zones urbaines
Pour l’heure, le plus important est de chercher les causes principales de ce gaspillage à outrance et les moyens de freiner cette frénésie à la consommation chez les Algériens. Les avis sont nombreux à ce sujet. Mais ils convergent tous sur la nécessité de multiplier les campagnes de sensibilisation en impliquant tous les acteurs. Pour le mouvement associatif et pour l’Ugcaa, il n’y a pas lieu d’incomber la responsabilité aux consommateurs seulement, même s’il y a lieu d’intensifier les opérations de sensibilisation.
«Cependant, l’approche devrait changer dans ce cadre», estime à cet effet Mustapha Zebdi, président de l’Association de protection et d’orientation du consommateur et son environnement (APOCE) qui tient à préciser que ce sont les produits subventionnés, à l’image du pain, qui sont le plus touchés par le gaspillage.
La Fédération algérienne des consommateurs (FAC) a même appelé à l’augmentation du prix de la baguette pour limiter le gaspillage. Cela pour dire que les subventions contribuent à amplifier le phénomène. Idem pour les campagnes de publicité sur les produits alimentaires de toutes sortes. M. Zebdi notera justement la nécessité d’impliquer les opérateurs économiques dans ces campagnes de sensibilisation.
«Les opérateurs ont un grand rôle à jouer. Ils sont dans de nombreux cas à l’origine de cette surconsommation à travers tous ces messages publicitaires qui augmentent durant le Ramadhan. Le consommateur est vulnérable et sensible à ce genre de messages», dira-t-il et de poursuivre: «Limiter le travail aux associations est une grande erreur. Les écoles et les mosquées ont également un rôle à jouer dans ce cadre.»
Concernant l’origine de ce gaspillage, il dira que le phénomène est beaucoup plus observé dans les régions les plus riches.
«A Alger, par exemple, on constate que les gens gaspillent beaucoup plus à Hydra qu’à Oued Koreiche et la Casbah.»
Un avis partagé par l’Ugcaa selon laquelle plus de 70% du gaspillage est l’œuvre des ménages aisés. Une étude réalisée dans ce cadre par des chercheurs du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD) montre également qu’il y a une forte inégalité des Algériens devant la consommation. Dans les zones urbaines où sont concentrées les populations les plus aisées, la consommation est beaucoup plus importante par rapport aux zones rurales.
Des déchets ménagers qui coûtent cher aux collectivités
Le Conseil national économique et social (CNES) explique pour sa part cette frénésie de consommation par l’amélioration du niveau de vie des Algériens et par cette volonté de rattraper les retards cumulés durant la période du Programme d’ajustement structurel (PAS). D’ailleurs, le CNES évalue l’accroissement de la consommation de manière globale en 2011 dans son rapport sur le développement humain à 6,1%, soit 2,5 plus vite que la croissance du Produit intérieur brut (PIB).
Parallèlement à cette hausse, les déchets ménagers augmentent également, notamment pendant le mois du jeûne. L’image des bacs à ordures débordants et de personnes démunies à la recherche des produits intacts aux alentours des marchés est frappante. De même que les moyens rudimentaires mis à la disposition des agents de Netcom pour vider ces bacs. En effet, ces agents sont fortement sollicités en cette période alors que les moyens ne sont pas toujours disponibles. Si les chiffres ne sont pas encore connus pour cette année, il est utile de rappeler que durant les 10 premiers jours du mois de Ramadhan 2013, les déchets ménagers ont augmenté de 30%. En moyenne, rien qu’à Alger, la quantité est passée de 200 à 500 tonnes/ jour dans les 28 communes que couvre Netcom, passant ainsi de 2.200 tonnes à 2.500 tonnes. Ce qui génère des coûts très importants aux collectivités locales.
Samira Imadalou
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 07/07/2014
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: © D. R. ; texte: Samira Imadalou
Source : El Watan.com du lundi 7 juillet 2014