D’une façon générale, les collections scientifiques gagneraient à être développées par la conservation d’exemplaires de faunes, flores, fossiles et minéraux de l’Algérie, destinés à faire connaître et respecter la biodiversité et l’environnement au public. Il est important, dans un premier temps, d’aider à la conservation des collections existantes (anciennes ou récentes) en encourageant les initiatives multiples qui se manifestent sur le territoire.
Dans le cas précis des collections de l’Université d’Alger, qui sont très anciennes et bien connues à travers les publications scientifiques, elles renferment des témoins de grandes découvertes en sciences naturelles faites en Algérie et sont un patrimoine scientifique national et international.
Malheureusement, on peut dire qu’elles sont aujourd’hui dans une situation critique. Il est urgent de dégager des moyens pour la conservation qu’elles méritent: formation d’un personnel compétent, restauration des locaux, équipement pour le stockage et pour l’exposition, équipement informatique et photographique.
Il faut donner aux collections les conditions nécessaires à leur survie en particulier: la sécurité, l’entretien et l’accessibilité.
Les années en cours vont voir le départ à la retraite des générations de chercheurs, professeurs, bibliothécaires et autres personnels qui ont connu la Faculté des sciences d’Alger et qui ont encore une bonne connaissance des collections et des bibliothèques. Il est urgent de faire appel à leur mémoire pour transmettre aux successeurs les informations nécessaires à une autre caractéristique nécessaire aux institutions muséales: la pérennité.
Un patrimoine scientifique et historique
Dans ce qui fut autrefois la Faculté des sciences d’Alger sont conservés depuis plus de cent ans de précieuses collections :
- un herbier exceptionnel témoigne de la naissance de la botanique en Algérie et des plantes découvertes et décrites depuis plus de cent ans.
La connaissance de la végétation se complète à travers un jardin botanique qui, aujourd’hui, est malheureusement bien appauvri.
- un musée d’anatomie (rattaché à la faculté de médecine)
- un musée de géologie avec des collections de roches, de minéraux et de fossiles.
Ce sont ces dernières que je connais le mieux. Elles racontent la naissance et la croissance de la géologie à l’Université d’Alger. Elles renferment des milliers de fossiles, dont des spécimens de référence qui correspondent aux échantillons sur lesquels de nouvelles espèces ont été découvertes en Algérie et nommées pour la première fois. Ce sont des espèces-étalons auxquelles tous les spécialistes du monde doivent avoir accès pour des comparaisons avec leur propre matériel. On les considère comme un patrimoine scientifique international.
Je terminerai cette énumération rapide en disant qu’il y a également des bibliothèques riches en ouvrages scientifiques dont beaucoup remontent au 19e siècle.
L’importance de ce patrimoine m’a conduite à écrire quelques pages sur l’histoire des collections de paléontologie dont j’ai eu à m’occuper, et sur la nécessité d’œuvrer pour leur protection. Dans ce document*, je montre également, à partir de données bibliographiques, qu’il peut exister, dans diverses villes de l’Algérie, des collections “oubliées” à remettre au jour, tout en encourageant la réalisation de collections modernes. Ceci passe par la coordination et la diffusion de la culture scientifique, par la formation d’un personnel compétent, par des ateliers d’initiation d’amateurs. On devine que cela suppose des efforts conjugués de divers ministères.
Pour revenir aux collections de fossiles de l’Université d’Alger : déposées à la Faculté des sciences avant même 1909, date de la création officielle de l’Université d’Alger, elles y restèrent, dans leur très grande majorité, après le transfert progressif de l’ex-Faculté des sciences vers l’USTHB à partir de 1978. Un travail de rangement et d’inventaire s’y poursuit à ce jour, mais les conditions nécessaires à une bonne conservation ne sont pas remplies, et les insectes, l’humidité, la poussière y étendent leurs ravages dans un isolement et un confinement étouffants.
Ces collections abondantes et bien tenues ont été rassemblées, dès leur mise en place, pour la pédagogie et la recherche. Elles sont très similaires à de nombreuses collections du 19e et début du 20e siècles, visibles en Europe où elles ont connu ces dernières décennies de grandes mutations grâce aux progrès acquis en muséologie à travers la photographie et l’outil informatique. Ainsi, des réserves destinées à la recherche ont été extraits de “beaux échantillons” destinés à des expositions permanentes ou temporaires ; ces dernières pouvant être complétées par des prêts ou des copies d’exemplaires destinés à mieux illustrer le thème choisi. Les collections de certaines universités sont aujourd’hui ouvertes au public, notamment aux sections scolaires. Elles bénéficient de différentes aides financières qui permettent de les entretenir et d’organiser les expositions.
Si l’inventaire informatique et les bases de données sont bien avancés pour les collections d’Alger, il reste à s’équiper pour mettre en place un site web pouvant renseigner les chercheurs et les personnes intéressées sur la paléontologie algérienne.
L’aspect “exposition pour le public” ne peut être envisagé dans les conditions actuelles. Le matériel appartient à l’USTHB, il est déposé dans des locaux relevant de l’Université d’Alger, l’accès est réduit du fait de conditions sécuritaires. De plus, les locaux sont exigus et le personnel pour la gestion et la conservation est inexistant en dehors de quelques enseignants et/ou chercheurs bénévoles. Le déménagement est parfois envisagé, mais il reste à mes yeux une action extrêmement risquée. Pertes et mélanges sont inévitables tant que les échantillons ne sont pas soigneusement numérotés et photographiés et que des spécialistes ne prennent pas en charge cette opération qui conduira, de toute façon, à perdre le caractère historique de ce matériel. En effet, les échantillons sont actuellement déposés dans les vitrines d’un excellent mobilier occupant pleinement de très belles salles ; l’ensemble évoque fortement le climat de la recherche au 19e siècle et au du début du siècle dernier et la naissance de la géologie en Algérie. On pourrait en dire autant des collections de botanique ou des bibliothèques.
Les points précédents montrent la situation fragile dans laquelle se trouve le matériel de l’ex-Faculté des sciences d’Alger.
L’avenir du patrimoine scientifique en Algérie
La pauvreté actuelle des lieux destinés à la culture scientifique en Algérie est hélas évidente (une consultation rapide sur internet peut confirmer ce point) ! Ceci rend d’autant plus précieux la conservation des collections et bibliothèques déposées à l’Université d’Alger. La situation s’y prête, puisque par la construction de nouvelles universités, de nombreux locaux autour des bâtiments qui renferment ces collections, bibliothèques et jardin botanique sont aujourd’hui inoccupés. On peut envisager la réalisation d’un petit “Muséum d’histoire naturelle” par la restauration et l’extension des espaces actuels, par le rangement ordonné du matériel ancien et par l’acquisition de collections nouvelles sur lesquelles se grefferont des travaux de recherche. J’insiste sur le caractère parfois irremplaçable du matériel récolté autrefois. En effet, de nombreux sites ayant fourni des spécimens sont devenus inaccessibles par suite de constructions, d’inondation par des barrages, d’installation de décharges… ou par des exploitations abusives. Le pillage des fossiles, la chasse abusive, les changements climatiques jouent fortement sur la disponibilité d’espèces autrefois bien représentées en Algérie. La perte de nos collections, doublée du pillage et de la dégradation des sites/gisements, conduira inévitablement à l’anéantissement de notre patrimoine scientifique. à côté de ce patrimoine de grande valeur, à la fois scientifique et historique, il faut organiser les collections à travers les différentes structures qui existent en Algérie. Les universités, centres universitaires et centres de recherche se sont multipliés, des musées régionaux comme celui de Béni Abbès ou celui d’El-Ménia existent, d’autres se constituent (Béjaïa), des collections d’amateurs naissent. Toutes ces initiatives anciennes et récentes doivent être encouragées, développées, et tendre vers des normes internationales. Des réunions régionales avec des spécialistes de diverses disciplines touchant à l’environnement naturel doivent expliquer comment une récolte peut réellement devenir un objet muséal. Il existe des règles très strictes dans ce domaine, il faudra les faire connaître.
Le rôle des musées des sciences
La culture scientifique n’est pas assez vulgarisée en Algérie. La recherche de l’information scientifique passe aujourd’hui par internet, mais là encore on constate souvent que les demandeurs (étudiants, lycéens, etc.) ne sont pas réellement préparés au fonctionnement des moteurs de recherche, au choix des mots clés et n’ont pas toujours suffisamment de recul pour faire la part des informations scientifiques sérieuses de tout un fatras de données moins crédibles. Il y a également des problèmes liés à la maîtrise des langues et de la terminologie qui viennent s’ajouter et compliquent davantage cet accès à l’information dans le domaine des sciences. Les musées, qui sont des outils didactiques extrêmement puissants puisqu’ils informent, suscitent la curiosité scientifique et le goût de la découverte, sont quasi inexistants dans notre pays. Les collections qu’ils pourraient contenir constitueraient pourtant des points d’ancrage concrets autour desquels l’information deviendrait plus claire. Les collections de sciences naturelles conservent des spécimens destinés à faire connaître la nature, la biodiversité actuelle et passée/fossile. Elles permettent d’appréhender des questions comme le cycle des éléments ou la chaîne alimentaire et de faire prendre conscience de l’interdépendance des êtres vivants (animaux, végétaux, bactéries) et du monde minéral. Les collections ont l’avantage de présenter au public des objets (animaux et végétaux encore actuels, ou disparus/fossiles, minéraux, roches, etc.) qui appartiennent à son environnement, et autour desquels sont organisées des informations qui suscitent son intérêt, développent sa culture scientifique et son engagement sur les questions de l’environnement. En effet, une exposition bien montée conduit, à travers les données transmises, à faire prendre conscience de la nécessité de préserver le milieu en protégeant chaque maillon de la chaîne dans laquelle les humains sont impliqués. La disparition d’un maillon, c'est-à-dire celle d’une espèce ou d’un biotope, peut produire, à plus ou moins long terme, des catastrophes en série dont les conséquences sont parfois difficiles à évaluer au départ. Sur le plan scientifique, les musées complètent, de façon pratique, la formation reçue dans les établissements scolaires. Des collections régionales peuvent, sous une forme attrayante, donner aux élèves une idée des potentialités locales ou régionales, des ressources ou espèces en voie de disparition, et les inciter à les protéger. Le sort réservé aux chardonnerets, aux tortues, aux dobs, aux gazelles, aux roses des sables et aux bois pétrifiés serait vraisemblablement amélioré à travers des expositions de proximité. On peut ajouter que les musées peuvent aussi apporter des informations aux touristes désireux de mieux apprécier la région qu’ils visitent. Les noms, morphologies et comportements des animaux et des végétaux qu’ils peuvent croiser ou consommer, ou encore les spécificités du cadre environnant et sa formation avec les différents écosystèmes représentés comme les oueds, les sebkhas et tout ce qui peut caractériser un paysage. Comme dans tous les musées, l’information est généralement complétée par des posters, des films, des jeux, etc.
En conclusion, on peut dire que le musée scientifique informe et forme sur les questions de l’environnement naturel à partir d’objets naturels bien conservés et représentatifs. Sauvegarder et moderniser ce qui existe et œuvrer pour la création de structures muséales nouvelles peuvent constituer deux axes pour la promotion de la culture scientifique en Algérie.
*C. A. F. 2011 : Les collections de fossiles de l’Université d’Alger. Un patrimoine scientifique et historique. CNRPAH, document, nouvelle série, n°5. Alger
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Posté Le : 31/01/2012
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Contribution de F. Chikhi - Aouimeur
Source : liberte-algerie.com du samedi 28 janvier 2012