Rachid Oulebsir est né en 1953, à Tazmalt dans la haute vallée de la Soummam. Il a grandi à la campagne, dans la chaleur d’une immense famille paysanne avec ses valeurs ancestrales. Après l’indépendance, il fait ses études à Alger, puis en France où il a préparé un 3e cycle en économie politique, à l’université Paris-Nord, conjointement avec l’université Paris-Sorbonne en 1978. Rachid Oulebsir est un homme de lettres qui écrit, construit, éduque, sillonne les villages pour semer la culture moderne sur le substrat amazigh ancestral et organise la sauvegarde du patrimoine villageois avec ce retour aux sources et cet amour de la terre nourricière qui lui donne toute sa force. Interrogé sur sa vie et son parcours, il a bien voulu se dévoiler un peu plus.
- Liberté : Après des études en France, pourquoi ce retour en Algérie?
Rachid Oulebsir : j’ai entamé une carrière universitaire à Paris-Nord comme assistant, pour abandonner très vite. Pour des raisons familiales. Je suis rentré en Kabylie où j’ai repris la ferme familiale durant de nombreuses années. J’ai été enseignant, directeur d’école, éleveur, oléiculteur, avant de remettre un pied comme chargé de cours à l’université de Béjaïa, puis prendre un poste administratif dans les services de l’académie de Bgayet. Tout en gardant un pied dans l’agriculture, j’ai assumé également la charge de correspondant de presse avant de diriger la rédaction locale du Matin à Béjaïa du temps de Benchicou. En 2008, j’ai publié chez l’Harmattan mon essai d’ethnologie kabyle intitulé L’olivier en Kabylie qui reçut de bonnes critiques dans la presse française et algérienne. Puis d’autres titres ont suivi.
- Depuis, vous avez lancé votre propre maison d'édition…
Après un essai, un roman et un recueil de contes publiés en France, j’ai confié à un éditeur local un roman Les derniers Kabyles. J’ai vécu une forte frustration parce que le livre a été mal réalisé, mal distribué, mal lu…etc. J’avais en projet de nombreux ouvrages qui nécessitaient une prise en charge plus conséquente. J’ai donc créé ma propre maison d’édition. Un chantier récent en marche. J’ai l’ambition de me spécialiser dans l’édition du patrimoine villageois ; je crois, pour avoir sillonné de nombreux villages de Kabylie, que l’appartenance locale est le dernier ressort de la fierté existentielle. Éditer des monographies villageoises, les distribuer dans la stricte proximité et les suivre de conférences et de débats d’enrichissement, voilà mon credo.
- Quelles sont vos préoccupations actuelles? Votre relation au Patrimoine?
Actuellement, je travaille à recueillir la matière dans toutes les dimensions du patrimoine immatériel. J’ai une trentaine de monographies. Je vais passer au stade de l’écriture et de l’édition ; je dois lancer au moins une ou deux expériences pour susciter le mimétisme créatif. Je mets à disposition de futurs essayistes une feuille de route pour réaliser la monographie de leur village. Dans la réalité villageoise, je travaille avec les associations pour assoir des pratiques de sauvegarde dans la durée et la démultiplication. Je suis dans une association paysanne Tazerajt par exemple qui a réussi à organiser la formation en collaboration avec le CFPA de Tazmalt de 500 agriculteurs, sans condition d’âge ni de niveau scolaire, dans l’agronomie, la plasticulture, la taille, la greffe de l’olivier, la conduite d’un élevage, le tout avec encadrement d’anciens paysans à la culture locale avérée.
- Que pensez-vous de la politique culturelle ambiante?
L’esprit jacobin stérilise la créativité ! Le besoin de tout contrôler, de tout financer, de tout acheter, finit par installer la médiocrité et “l’aplat-ventrisme”. Depuis qu’on a mis la culture dans les Maisons et les Palais, pour surveiller et punir, elle suffoque et ne respire plus ! L’exemple du livre est parfait pour illustrer le manque d’imagination de l’administration. On subventionne les commerçants, (libraires et distributeurs), au lieu d’aider les créateurs (auteurs et éditeurs). Ceux qui ont les moyens n’ont pas la foi, ceux qui croient à la mission du livre n’ont pas les moyens ! C’est un proverbe amazigh : “At tesga ulac tassa, at tassa ulac tasga”.
- Un mot sur la lecture en Algérie, notamment sur l’organisation de salons du livre.
De l’avis même de ses initiateurs, le Sila n’a jamais pu apporter une réponse adéquate à la problématique de la lecture en régression constante. Au moment du dernier Sila, j’ai préféré expérimenter un salon itinérant villageois pour porter le livre dans les villages et dans la proximité du lecteur. Voilà une façon moderne de relancer la lecture et de pousser les citoyens à redécouvrir l’importance du livre ; ça ne coûte pas cher et c’est à portée de main. D’expérience, je sais que c’est porteur. Le Sila est dans la logique de l’ostentation, du gigantisme. Après plusieurs versions, personne n’est content, même pas ses initiateurs et les commerçants, leurs alliés qui en profitent. Il est temps de penser à la décentralisation, au lieu d’un salon géant qui a atteint ses seuils de contre-productivité en termes d’apport à la lecture et à la culture. Il faut innover, faire tourner sur les wilayas des salons de dimensions humaines gérables, maîtrisables et accessibles à l’Algérien des contrées profondes, jalouses gardiennes de la culture ancestrale authentique.
- Vous avez participé à une conférence sur la promotion du patrimoine culturel immatériel, quels en sont, selon vous, les procédés?
Le constat amer qu’on est obligé de faire aujourd’hui c’est qu’il y a danger en la demeure et qu’il nous faut réagir sur le terrain au lieu de continuer à griffonner des feuilles et se contenter de la théorie. Pendant ce temps, des pratiques de nos ancêtres se perdent, des mots de notre langue disparaissent, des métiers et des villages se meurent… Il nous faut vite faire un inventaire de tout ce qui existe encore, mettre les mécanismes nécessaires à son redéploiement, les moyens qu’il faut pour sa survie, les gens compétents et professionnels sur le terrain pour accompagner les “acteurs” de ces pratiques anciennes afin de les aider à “moderniser” leur savoir-faire sans avoir à le perdre car il est et restera utile. Il faut prendre conscience que les pratiques culturelles sont profitables au PIB national pour peu qu’on les encourage et les développe à bon escient…
Photo: L’auteur et écrivain Rachid Oulebsir © D.R.
Samira Bendris
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Posté Le : 16/01/2016
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: © D.R. ; texte: Entretien par Samira Bendris