Comment tirer le maximum de l’agriculture quand celle-ci est délestée de sa main-d’œuvre?
Déjà affaibli par l’exode rural, le secteur a connu depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000 une véritable saignée; la part de sa population active dans la population occupée globale a été divisée par deux entre 2001 et 2014, selon les chiffres de l’Office national des statistiques (ONS).
Alors que la population active progresse (de 6,2 millions de personnes à plus de 10 millions entre 2001 et 2014), celle du secteur agricole prend le chemin inverse. Il a ainsi perdu plus de 23% de sa main-d’œuvre en 15 ans et plus d’un tiers depuis seulement 2006 (graphe 1) car si les effectifs ont connu des hauts et des bas, la tendance générale reste à la baisse.
«La main-d’œuvre se raréfie», déplore Slimane Bendaoud, exploitant d’une ferme familiale de 30 ha dans le périmètre du Chelif.
«C’est un domaine où le travail est dur. Ceux qui le font, le font par nécessité», explique-t-il.
«Mes propres enfants n’y travaillent pas».
La situation est telle que le secteur survit essentiellement grâce aux saisonniers.
Selon Mohamed Allioui, président de l’Union nationale des paysans algériens, «durant les périodes de récolte, on compte en moyenne une centaine d’ouvriers par exploitation contre 2 seulement en dehors des périodes de récolte. 400.000 à 500.000 saisonniers travaillent dans le secteur pour 2 millions d’agriculteurs».
Rapportée à la population occupée dans le secteur agricole, cela représente environ 50% des effectifs.
Dans son exploitation où il produit de la semence de pomme de terre, Slimane Bendaoud emploie une dizaine d’employés permanents et 4 à 5 fois plus de saisonniers pour un salaire moyen de 30.000 dinars par mois.
Il reconnaît que «ce n’est pas très valorisant» comme rétribution. Car, outre la pénibilité du travail, c’est surtout le niveau des salaires qui rebutent.
En moyenne, les ouvriers agricoles «sont payés entre 500 et 2.000 dinars par jour. Pas de quoi donner envie de travailler dans l’agriculture. D’autant qu’il y a un manque de sensibilisation des plus jeunes à l’importance de l’agriculture et que les écoles et anciens instituts de formation agricole ont fermé», observe Laâla Boukhalfa, ancien cadre du secteur.
Décrochage
Du point de vue des représentations sociales, l’agriculture est «associée à la notion de khammès, hérité de la période coloniale et les jeunes ne sont pas tellement dans le besoin au point d’en accepter la pénibilité, le bas salaire et les aléas», explique notre interlocuteur.
Pour le sociologue Noureddine Hakiki, il existe certes une perception d’un métier «dévalorisant», mais le problème de l’agriculture est d’abord celui du rapport de la société à la notion même du travail.
«A cause de la dernière décennie dominée par la distribution de la rente et la politique de l’assistanat, est apparu le phénomène du décrochage vis-à-vis du travail et notamment l’activité pénible».
Il y a «par ailleurs une conscience sociale chez les plus jeunes qui fait qu’ils ne croient pas au travail comme moyen de régler leur situation».
L’agriculture n’apparaît pas comme une entreprise organisée et n’offre pas de statut. On se retrouve donc avec une exploitation de saisonniers d’une manière éphémère dans un processus désorganisée.
Par ailleurs, le système de l’entrepreneuriat de type Ansej qui s’est développé ces dernières années dans un esprit de «démagogie» aurait accentué la situation, dit-il.
Coupable ?
Il faut dire que la perte de main- d’œuvre dans le secteur agricole a coïncidé avec le boom d’autres secteurs comme le commerce et les services et à un degré moindre le BTP, dans lesquelles la part de la population occupée a augmenté au cours de cette période (graphe2).
Durant cette même période, les projets financés par l’Ansej ont également augmenté, passant de moins de 11.000 projets cumulés à la fin de 2007 à plus de 43.000 pour la seule année 2013. Ce sont surtout les services qui en ont tiré profit, représentant plus de 60% du total des projets contre à peine 11,5% pour l’agriculture. Aucune enquête n’est venue établir la corrélation entre l’attractivité de l’Ansej et le manque d’attractivité de l’agriculture, mais certains indicateurs permettent néanmoins de faire quelques rapprochements mais aussi de relativiser l’effet s’il existe.
A titre d’exemple, entre 2011 et 2014, la part de la main-d’œuvre agricole dans la population occupée globale a baissé de 1,3 % tandis que la part de l’agriculture dans la production des chômeurs à reculé de 5,5% à 5,1% et que le nombre de travailleurs indépendants et employeurs augmentait de 5,1%.
En clair, une partie des travailleurs agricoles a quitté le secteur sans pour autant venir grossir le rang des chômeurs.
Par ailleurs, en 2012, pendant les révoltes arabes, le gouvernement Sellal multipliait les décisions en faveur des jeunes et notamment les souscripteurs à l’Ansej pour maintenir la paix sociale.
Cette année-là, l’agence a validé près de 66.000 projets pour un financement bancaire de plus de 146 milliards de dinars, soit plus que l’ensemble des financements accordés depuis la création du dispositif et jusqu’à la fin de 2007. Près de 46.000 projets ont été financés dans le secteur des services, soit huit fois plus que dans l’agriculture. Simple coïncidence ou effet direct, la population occupée dans le secteur agricole a baissé en 2012 à moins de 1 million de personnes, son plus bas niveau depuis plus de 10 ans.
Pour certains observateurs, il n’y a point de coïncidences, l’appât des avantages sans contrepartie miroitées par le dispositif, surtout ces dernières années où la question de la paix sociale est devenue un enjeu majeur, rend l’Ansej coupable d’avoir siphonné une partie de la main-d’œuvre du secteur agricole.
Pour Slimane Bendaoud, «en voulant lutter contre le chômage, on a dépeuplé la campagne. Les ouvriers ont quitté la terre pour aller faire du transport et créer leur entreprise».
Option
Pourtant l’agriculture devra trouver un moyen de se relancer dans une conjoncture où la crise vient une nouvelle fois rappeler au gouvernement l’importance de ce secteur.
Pour Mohamed Allioui, cela passe par la formation à travers «l’ouverture de filières dédiées au secteur».
Le ministère de la Formation professionnelle a annoncé 19000 postes de formation qui seront ouverts cette année dans l’agriculture et l’industrie agroalimentaire.
L’UNPA appelle également à doter le secteur d’équipements agricoles en facilitant l’accès aux crédits aux agriculteurs.
Pas sûr que ce soit suffisant si les salaires n’évoluent pas dans le secteur.
Selon l’enquête de l’ONS de 2011, le salaire dans le secteur de l’agriculture et de la pêche est inférieur de 70% au salaire dans le secteur du commerce et des transport.
Safia Berkouk
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 25/09/2015
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: reflexiondz.net ; texte: Safia Berkouk
Source : elwatan.com du lundi 21 sept 2015