Karim Tabbou, ancien premier secrétaire du FFS, aujourd’hui porte-parole d’un nouveau parti non agréé, l’Union démocratique et sociale (UDS), analyse dans cet entretien la situation générale du pays, à tous points de vue — politique, économique et social.
Il commente les derniers événements et les récents scandales qui ont marqué l’actualité nationale. Le verbe acéré, il évoque la nouvelle Constitution et la situation des droits de l’homme. Il livre un regard sans complaisance sur les prochaines échéances électorales, donne sa perception de la crise et propose les solutions possibles.
- Les scènes de violence qui ont secoué les villes de Béjaia et de Bouira les 2 et 3 janvier continuent à susciter débats et commentaires. Quelle est votre lecture de ces graves événements?
Le nombre de contestations populaires recensées par les services de sécurité ces deux dernières années a dépassé les 10.000: demandes de droit au travail, au logement, justice sociale, raccordement en gaz de ville, remise en état des routes, aménagement des cités, problèmes de sécurité, logement…
Ces revendications attestent bien de la faillite de l’Etat, de son incapacité à répondre à ses missions les plus élémentaires, à savoir loger, éduquer, soigner et assurer la sécurité. Parallèlement à toutes ces difficultés sociales, les citoyens sont indignés par les pratiques de corruption et de passe-droit qui gangrènent la vie publique. L’arrogance et le mépris qu’affichent certains responsables envers les citoyens avivent la colère et le sentiment de hogra.
En l’absence de réelles représentations politiques et sociales capables de donner du sens à ces contestations, la rue prend le dessus et c’est la prime à la violence. La violence d’aujourd’hui est la conséquence directe d’une gestion violente des affaires du pays qui a duré des décennies. Le rejet et le discrédit de toute forme de médiation ne laissent d’espace qu’à la montée en puissance de structures incontrôlables et dont le seul credo est la colère. La violence dans les stades, à l’école, dans les cités, à l’université… sont les indices d’une réalité chargée de périls et d’aventures.
- Quelle serait donc la solution?
Aucune solution n’est fiable sans une volonté politique réelle de mettre en place un plan de sortie de crise. Pour l’instant, le pouvoir politique reste hermétique à l’idée même que le pays est en crise. Il continue de plaider «non coupable» alors que les victimes sont bien là.
Un pouvoir courageux et apte à gouverner le pays doit se débarrasser, au plus vite, de ses propres complexes. Il doit s’émanciper de ses peurs et de ses soupçons pour engager le pays dans une voie démocratique. Si la situation économique et financière du pays ne s’améliore pas dans les six mois, le chef de l’Etat devra décréter l’état d’urgence économique et convoquer une conférence nationale économique et sociale.
Tous les acteurs politiques et animateurs sociaux devront faire preuve de responsabilité pour élaborer une feuille de route où seront dégagées des perspectives communes indispensables incluant, dans le même sillage, des mesures politiques, économiques et sociales pour une sortie de crise. Continuer à vouloir figer l’histoire, c’est se condamner au sous-développement et à la crise. La question reste posée: le pouvoir veut-il régler la crise, ou se contente-t-il de maintenir le statu quo? «Il n’y a que la bêtise qui emprunte deux fois le même trajet.»
- Dans ce contexte de crise que vous décrivez, l’Algérie vit au rythme des scandales (l’affaire RHB, la clinique de roqia) et des tensions, notamment sur le dossier de la retraite. Comment expliquez-vous cette situation?
L’année 2016 aura été celle de la débâcle et de l’échec. Les conditions économiques et sociales des ménages s’annoncent difficiles en 2017, les politiques dépensières menées depuis 15 ans n’ont finalement généré aucun investissement fiable ni création de richesse. Par la faute de ses dirigeants politiques, le pays n’a pas su profiter de ses rentrées d’argent pour impulser une dynamique de travail et d’investissement.
Si la chute des cours du pétrole a provoqué un amenuisement important des rentrées financières, la soumission de notre économie aux injonctions du marché des hydrocarbures met à rude épreuve notre souveraineté nationale. Sur le front interne, les tensions sociales vont monter en cadence.
La nécessité impérieuse pour la population de changer ses habitudes rentières engendrera des déceptions, des turbulences et des remous. N’importe quel fait divers pourrait dégénérer et se transformer en émeute, en scène de pillage ou en manifestation violente. L’absence de médiation sociale capable de canaliser le mécontentement populaire ajoutée au refus obsessionnel et maladif du pouvoir de toute ouverture politique créeront les conditions objectives de l’émergence de nouvelles structures archaïques, violentes et imprévisibles.
Devant de tels risques, seules une ouverture politique réelle, une coupure définitive avec ce système obsolète et générateur de crises, une implication entière des acteurs politiques et des animateurs sociaux dans la mise en route d’un plan d’urgence national sont capables d’épargner une rupture brutale et violente dans le pays.
- La loi de finances 2017, qui a fait couler beaucoup d’encre, est en vigueur depuis dix jours. Elle a été ouvertement critiquée par des partis de l’opposition. En tant que député, comment avez-vous vécu le processus de son adoption à l’APN?
Le processus d’adoption de la loi de finances est le même en vigueur depuis des années. Il est caractérisé, d’un côté, par un semblant de débat totalement obéissant à l’Exécutif, qui tourne assez souvent à l’éloge de «fakhamatouhou» et à la déclamation de poèmes et autres fatwas ; d’un autre côté par une agitation qui tourne au théâtre d’une opposition en panne de relais, donc incapable de renverser ces réalités institutionnelles. Une opposition qui, pour des raisons électoralistes, préfère faire preuve de bonne conduite à l’égard de l’administration en espérant une récompense.
Concernant la LF-2017, il aurait été, sur le plan sémantique, plus juste de l’intituler «code de représailles sociales» que «loi de finances». Après avoir gâché toutes les opportunités de développement du pays et versé des sommes faramineuses dans la corruption et le clientélisme pour le seul impératif du maintien au pouvoir, on vient exiger de la population un effort financier et un sacrifice social. Dans un Etat de droit, les responsables d’une telle gestion sont passibles de condamnations et de mise en quarantaine populaire.
- L’augmentation de certaines taxes, dont la TVA, fait craindre le pire aux acteurs politiques et syndicaux. Partagez-vous l’avis selon lequel 2017 connaîtra de très fortes tensions sociales?
Sans une adhésion populaire, aucune politique ne peut réussir, aucun plan ne peut être exécuté sans remous et sans conséquences sur la stabilité du pays. Un contrat social suppose un débat, une transparence dans la gestion des affaires publiques pour un vrai partage des responsabilité et des tâches.
L’année 2017 connaîtra d’autres remous et d’autres turbulences. La baisse du pouvoir d’achat des Algériens, la courbe ascendante du chômage — notamment des nouveaux diplômés des universités — due à la diminution des investissements, le tarissements des fonds de soutien aux couches sociales vulnérables et populations déshéritées, la diminution drastique des budgets alloués aux collectivités locales… font courir de sérieux risques de dissidence sociale, d’autant plus que les dirigeants, en plus de leur manque chronique de crédibilité auprès de la population, sont déshumanisés et ne se montrent guère préoccupés par les souffrances des citoyens.
L’Algérie ne mérite pas ce fiasco et ces mascarades répétitives. Alors que sous d’autres cieux on parle de la transition numérique, des énergies renouvelables et des économies solidaires qui intègrent l’écologie et les questions environnementales, nos dirigeants s’occupent de la gestion du couffin du Ramadhan, de l’AADL1, de l’ADDL2, de l’ADDL3 et du passeport biométrique. A chaque fois qu’une nouvelle application informatique est mise en service, tout le gouvernement s’en réjouit. Vous imaginez un gouvernement qui qualifie une cité d’«intelligente» parce que les bâtiments disposent d’un interphone et d’un ascenseur? Quelle mascarade!
- Face à la crise financière générée par la chute brutale et durable des cours du pétrole, le gouvernement recourt à l’austérité, qui ne fait pas l’unanimité même au sein du pouvoir. Quelle appréciation faites-vous de cette démarche gouvernementale?
Certes, la crise est générée en partie par la chute brutale des cours du pétrole, mais c’est aussi une conséquence des politiques économiques menées par le pouvoir particulièrement ces 15 dernières années. Des partis politiques de l’opposition, des universitaires et des experts en matière d’énergie avaient pourtant tiré la sonnette d’alarme sur les conséquences désastreuses de ces politiques dépensières et de prestige, obéissant aux seuls calculs politiques. Hélas! Ces années de mensonges, de «ray ray mental» et de bricolage seront inscrites dans le chapitre des «fawahich» du siècle.
Ni les assises de l’industrie organisées par Temmar, ni les remaniements ministériels répétitifs, ni les révisions constitutionnelles, ni les lois de finances, ni encore les plans quinquennaux de développement n’ont donné de résultats probants. Que des coups de bluff! Aujourd’hui, notre économie est plus que vulnérable et continuera à dépendre entièrement du pétrole pour plusieurs années. Tant que nos dirigeants ne veulent pas admettre que ce sont eux la crise, nous n’en sortirons pas de sitôt.
- La politique d’austérité appliquée actuellement par le gouvernement est donc vouée à l’échec...
L’austérité? Une politique d’austérité doit répondre à deux impératifs majeurs: l’impératif de transparence et l’impératif de justice. Sans une évaluation sérieuse et sans complaisance de la situation financière du pays, sans mettre fin à la corruption qui a atteint le seuil de la prédation, sans mettre un terme à la gestion démagogique et populiste des affaires publiques, l’austérité prendra l’allure de représailles sociales, sans plus.
L’Algérien s’interroge légitimement: qui doit faire l’effort financier, celui qui réside à Club des Pins ou la femme de ménage? Qui doit se soumettre au contrôle fiscal, le commerçant ou le détenteur de comptes offshore à Panama? Qui devra répondre devant la justice, le vendeur de pétards ou ces barons que le ministre du Commerce affirme ne pas pouvoir contrôler?
Il y a trois ans, le Premier ministre avait annoncé en grande pompe la mise en place de l’Instance nationale de lutte contre la corruption; je le défie de rendre publiques ses conclusions. Les Algériens s’interrogent légitimement sur les dessous de toutes ces affaires de corruption qui ont coûté des milliards aux caisses de l’Etat.
Combien de ministres et de hauts responsables de l’Etat impliqués dans les scandales qui ont déshonoré notre pays — d’Orascom aux scandales Khalifa Bank, Sonatrach 1, Sonatrach 2, autoroute Est-Ouest, etc. — et sont encore en exercice, occupant de hautes fonctions? Nous voyons bien que le crime économique a atteint le niveau de l’indécence, voire de la haute trahison. Souvenons-nous que le premier slogan de Bouteflika fut «El îzza wel karama»… Les sciences sociales nous renseignent que l’indice de confiance populaire a atteint son niveau le plus bas. C’est la disqualification des dirigeants, c’est la dissidence.
- Y a-t-il d’autres solutions à cette crise? Lesquelles?
Des solutions sont à notre portée pour peu que nos dirigeants soient capables de reconnaître leurs erreurs, opèrent des révisions déchirantes dans leur conception erronée de l’Etat et de la politique et s’engagent dans un processus démocratique véritable. Ce processus doit être inclusif de toutes les forces disposant d’un ancrage et acceptant de concourir à l’effort de sauvetage et de sauvegarde du pays. Il s’agit de repenser un contrat national, élaborer un plan d’action concerté à la mesure des urgences nationales et réengager le pays dans un processus politique sérieux.
Ce contrat doit être construit sur un socle de valeurs assurant la protection des libertés, la primauté du droit et le respect absolu des droits humains, des mesures politiques garantissant la libre expression, le droit de manifestation et d’organisation et un plan d’urgence économique et sociale, fruit d’un débat national large, serein et transparent. La situation actuelle est porteuse de dangers.Cet «attentisme» est préjudiciable au pays et à son économie. Agir pour mettre fin à ce marasme inhibiteur qui lasse toute la population «hautement révolutionnaire» est une urgence, voire une exigence de l’histoire.
- Le gouvernement s’est félicité de la nette amélioration de la situation des droits de l’homme en Algérie. Quel est votre avis?
Le gouvernement peut se féliciter de tout ce qu’il veut, la réalité est là: les libertés et les droits de l’homme sont en régression continuelle. La chape de plomb imposée à la presse, l’interdiction de manifestation dans la capitale, le refus illégal de délivrer des autorisations pour constituer des syndicats, des associations et pour la fondation de partis politiques, les restrictions imposées à l’utilisation et à l’accès à internet, les brutalités policières contre les enseignants et les mouvements sociaux revendicatifs, l’instrumentalisation de la justice pour faire pression sur les militants, les animateurs de la société civile, les journalistes... la liste des atteintes aux droits humains est longue.
Il est vrai que l’Algérien d’aujourd’hui peut disposer facilement d’un smartphone, mais pas du droit d’expression. Un esclave aux allures de modernité. Même le renforcement du dispositif de protection des femmes et des enfants n’a obéi qu’à la nécessité d’adapter la législation nationale à l’exigence du droit et des pactes internationaux.
La constitutionnalisation d’une instance de protection des droits de l’homme n’est qu’une manœuvre visant à donner l’apparence d’un pays qui respecte les normes et les valeurs universelles. Or, la réalité est que la seule norme respectée par le pouvoir dans notre pays, c’est le non-respect de toutes les normes! L’Algérie se trouve dans les dernières positions dans les classements en matière de la liberté de la presse, de libertés publiques, de droit à l’information, de régularité des scrutins électoraux, de soins médicaux, de technologies de l’information. Les circonstances de l’arrestation, de l’incarcération et du décès de Mohamed Tamalt renseignent au mieux sur l’état des droits de l’homme en Algérie.
- Que pensez-vous des prochaines échéances électorales? La commission indépendante de surveillance des élections installée, présidée par une personnalité de l’opposition islamiste, va-t-elle pouvoir assumer pleinement sa mission et mettre fin à la fraude électorale?
C’est une moquerie de plus et une violence contre les partis politiques. Comme à l’accoutumée, le pouvoir accapare les mots d’ordre et les revendications de l’opposition pour les détourner et les mettre à son profit. Au lieu d’une instance indépendante d’organisation des élections telle que revendiquée dans la plateforme de Mazafran 1 par les partis, le pouvoir met en place une instance «indépendante» et désigne lui-même la totalité de ses membres, élargissant ainsi ses marges de manipulation et de trucage des élections.
Qui veut-on duper avec un tel dispositif? Les Algériens ont une connaissance parfaite des mœurs électorales du pouvoir ; ils ne se font aucune illusion sur l’aboutissement et la finalité de ces élections. Exceptées les législatives de 1991, toutes les élections qui ont eu lieu depuis ont une seule finalité: le maintien du pouvoir.
Une instance de surveillance d’une élection ne peut être indépendante que si elle répond à deux critères majeurs: l’indépendance dans son organisation et indépendance dans son fonctionnement. L’indépendance organique n’admet aucune tutelle et aucune autorité du pouvoir exécutif sur elle dans la désignation de ses membres et dans l’élection de son président. Le texte de loi relatif à cette instance limite son indépendance au seul domaine de la gestion financière de son fonctionnement interne.
Elle (l’instance) ne jouit d’aucune indépendance dans son fonctionnement puisqu’elle n’a de droit de regard que sur les aspects techniques. Cette loi vient pour renforcer l’arsenal politique, juridique et administratif du pouvoir en vigueur depuis 1997 tout en donnant l’apparence d’indépendance et de neutralité d’une instance aux compétences limitées. Je vous cite l’exemple de la composition de cette instance qui démontre son caractère non indépendant.
Le président de la Haute instance, au lieu d’être élu par ses pairs, est désigné par le président de la République ; une partie de ses membres, constituée de «compétences nationales», est proposée par le président du CNES, lui-même désigné à la tête du Conseil national économique et social par le président de la République ; les magistrats membres de l’instance indépendante ne sont pas élus par le collège des magistrats dans une élection ouverte, mais désignés par le ministre de la Justice, lui-même désigné par le président de la République. Quand on sait que les deux (président de la République et ministre de la Justice) sont responsables d’un parti politique, que reste-t-il d’indépendant à cette instance? Indépendante du peuple!
Sans une instance mise en place en concertation avec l’opposition, constituée de personnalités ayant eu l’aval de la majorité des partis, ne dépendant d’aucune autorité exécutive et disposant d’une autonomie totale pour assainir le processus des élections, du fichier électoral à l’annonce des résultats, les procédés manipulatoires seront de mise et le suffrage universel sera détourné.
- Malgré le manque de garanties de «transparence», plusieurs partis de l’opposition ont décidé de prendre part à ces élections. Comment expliquez-vous leur position?
Certains partis politiques parlent même de quotas et d’arrangements avec le pouvoir. Triste réalité d’une scène politique réduite à l’aumône et à la compromission... Le détournement du suffrage universel indigne peu de personnes, mis à part ceux qui ont décidé de boycotter et qui ont pris acte avec l’histoire. Les partis dits de l’opposition ne cherchent plus à conquérir les espaces publics et à renforcer leur ancrage populaire ; ils sont aveuglés par les appâts et le confort institutionnel.
Cette élection aura au moins le mérite de mettre fin à l’illusion d’une opposition décidée à imposer le changement. Finalement, à défaut de faire plier le pouvoir à l’exigence d’une transition négociée, les partis politiques ont préféré remettre au placard leurs exigences en espérant quelques strapontins aux prochaines législatives. Il est vrai que l’exercice de la politique dans notre pays devient de plus en plus pénible, il exige de l’endurance, des sacrifices et des convictions.
Ces années de violence et de corruption ont fini par prendre le dessus sur les structures politiques qui, à l’instar des autres institutions, sont devenues des lieux où se côtoient les opportunistes, les carriéristes et les médiocres. La base militante est mise à l’écart, l’élite est exclue et une «baltaguia» aux appétits infinis a envahi les structures politiques. Le clonage des partis à la convenance du pouvoir a fini par discréditer le fait politique même.
- Que faire?
Pour sortir de cette situation, il est nécessaire voire vital que soit opérée une rupture totale et définitive avec ces structures politiques, compromises et sclérosées. Ce sont toutes ces luttes citoyennes et revendicatives qui vont faire émerger une nouvelle classe politique et de nouvelles pratiques. «Quels que soient les obstacles que l’histoire lui apportera, c’est dans le sens de sa libération que le peuple ira», disait Dda El Mouloud Ath Mammeri.
- Neuf mois ont passé depuis l’adoption de la nouvelle Constitution, présentée comme la pierre fondatrice d’un Etat civil. S’est-elle répercutée positivement sur la vie politique?
Une Constitution qui n’est pas élaborée par une Assemblée constituante élue est contraire à l’essence même de la démocratie. La démocratie s’exerce par la légitimité populaire. La dernière Constitution n’a pas échappé à la règle en vigueur depuis la première, en 1963. Toutes les Constitutions avaient une même finalité : le maintien du pouvoir et le renforcement de ses instruments de contrôle et de surveillance de la population.
Si la société civile n’a pas les moyens de s’exprimer, les syndicats et les partis politiques n’ont pas les moyens d’exister et de se faire entendre, les médias ne sont pas libres dans l’accomplissement de leur missions et la justice est obéissante aux instances politiques et aux réseaux d’intérêt, la Constitution, avec son corollaire politique, «Etat civil», devient une moquerie de plus et un mensonge supplémentaire. Les faits sont là pour démentir toutes les promesses d’ouverture pompeusement colportées et proclamées par les partisans de la révision constitutionnelles:
- 1. Officialisation de la langue amazigh ; une année après, la loi organique devant concrétiser son officialisation n’a même pas été élaborée.
- 2. Possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par les députés alors qu’on leur refuse même la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur la mort du journaliste Mohamed Tamalt.
- 3. Les articles 52, 54 et 70 de la nouvelle Constitution disposent que le droit de fonder un parti, de créer une association et de mettre en place un syndicat est garanti ; dans la pratique, ce droit est bafoué, c’est un leurre pour embellir une Constitution en panne de contenu.
Ce ne sont que des exemples qui attestent de l’absence de volonté politique d’ouverture et de démocratisation de la vie publique.
- Vous avez lancé un nouveau parti politique qui n’a toujours pas obtenu son agrément. Pourquoi?
Nous avons obtenu l’autorisation de tenir notre congrès constitutif depuis plus de trois ans, et ce, conformément aux dispositions de la loi organique relative aux partis politiques. Cette autorisation — qui est délivrée par la direction des libertés publiques et qui porte la signature de l’ex-secrétaire général du ministère de l’Intérieur, actuellement ministre des Travaux publics — atteste de la conformité de notre dossier aux dispositions de la loi. L’interdiction post-examen du dossier montre bien la violation de la loi par l’autorité censée veiller à sa conformité.
Le blocage dont nous sommes victimes est illégal, injuste et arbitraire. Nous avons bien conscience que la fondation d’un parti politique d’opposition est un combat qui demande de l’énergie, de l’endurance et de la persévérance. Ces procédés antidémocratiques et violents montrent la vraie nature d’un régime allergique au pluralisme, à la critique et à l’arbitrage démocratique de la chose politique.
L’administration en Algérie n’applique pas la loi, elle fait sa loi! C’est une logique de «hozzia» qui défie les sciences politiques. Une telle violence politique aurait dû soulever le tollé et l’indignation des partis de l’opposition. Hélas, dans certains cas, ce sont eux-mêmes les délateurs qui sollicitent la protection du régime contre l’émergence de nouvelles figures et projets politiques pouvant les gêner et surtout les dévoiler au grand jour.
- Une année vient de passer après la mort de la grande figure politique et historique, Hocine Aït Ahmed. Que retenez-vous encore de lui et de la période durant laquelle vous avez travaillé à ses côtés au sein du FFS?
Je retiens de Dda El Ho, Rabi Yerrahmou, la cohérence et la constance des positions politiques. Malgré toutes les violences subies, allant de l’exil forcé à la liquidation physique d’un de ses proches amis et camarades, Ali Mecili, assassiné à Paris le 7 avril 1987, en passant par les restrictions et menaces sur sa personne, son parti et sa famille, il n’a jamais renoncé à son engagement au service de la paix, de la démocratie, des droits de l’homme, de la justice sociale, des libertés…
Son choix d’obsèques populaires n’est pas seulement une attitude de modestie et de simplicité. Il a accompli son ultime acte d’opposition au régime. Il a assumé un acte de dissidence en totale cohérence avec son parcours et son engagement militant. Aït Ahmed représente pour moi l’emblème de l’honneur, l’exemple de l’engagement et le symbole des luttes pour les causes justes. Mort physiquement, le militant des causes justes reste vivant.
- Que pensez-vous de la situation actuelle au FFS?
Totalement éloigné de ses principes, le FFS est réduit au rang d’appareil entre les mains d’une caste d’affairistes qui se servent du label, de son aura et de son capital historique pour engranger des dividendes personnelles et matérielles. La règle chez les dictateurs est qu’ils tentent de tuer les idées et les projets quand ils n’arrivent pas à tuer les hommes qui les portent. Les militants du FFS ont fait preuve de naïveté que de croire qu’ils étaient seuls à réfléchir à l’après-Aït Ahmed.
Mokrane Ait Ouarabi
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Posté Le : 10/01/2017
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: tsa-algerie.com ; texte: Entretien par Mokrane Ait Ouarabi
Source : elwatan.com du mardi 10 janvier 2017