L’Algérie compte une cinquantaine d’îles. Peu hospitalières pour y habiter, elles sont toutefois d’un intérêt scientifique remarquable. Elles sont considérées comme un réel laboratoire à ciel ouvert pour étudier les processus évolutifs et biogéographiques.
Pour savoir si l’Algérie compte réellement des îles comme son nom en arabe l’indique, «El Djazaïr», il est d’abord essentiel de définir le concept de l’île, ou de milieu insulaire. Par définition, une île est une étendue de terre ferme émergée d’une manière durable dans les eaux d’un océan, d’une mer, d’un lac ou d’un cours d’eau.
Aussi, on réserve, généralement, le nom d’île aux territoires subissant l’influence du climat maritime sur toute leur étendue. Toutefois, ces dernières années, une définition originale a été proposée par le groupe de recherche sur les Petites îles de Méditerranée (PIM) basée à Marseille en France.
La notion d’île concerne les entités insulaires de superficie inférieure à 1.000 hectares, constamment isolées par une hauteur d’eau égale au moins à 50 cm, éloignées d’au moins 5 m d’une autre zone émergée plus vaste (continentale ou insulaire) et accueillant au minimum une plante vasculaire. Selon la classification d’Arrigoni et Bocchieri (1996), basée sur la superficie, on peut distinguer en région Méditerranéenne quatre groupes d’îles: les grandes îles de 100 à 500 ha, les îles moyennes de 10 à 100 ha, les petites îles de 1 à 10 ha et les îlots de moins de 1 ha.
- îles
Pour ce qui est de l’Algérie, le Professeur Riadh Moulaï, directeur du laboratoire de zoologie appliquée et d’écophysiologie énimale de la faculté des sciences de la nature et de la vie de l’université de Béjaïa, explique que malgré un trait de côte de plus de 1.600 km, le littoral algérien est caractérisé par sa pauvreté en îles et îlots par rapport à d’autres pays de la Méditerranée.
«On peut distinguer un peu plus de 70 îles répondant à la définition citée ci-haut», affirme-t-il.
Ces îles algériennes possèdent pour leur majorité, selon le spécialiste, une superficie qui ne dépasse les un (ha) et sont peu éloignées du continent (de quelques dizaines de mètres à quelques kilomètres).
«Nos plus grandes îles se trouvent sur le littoral occidental de l’Algérie en Oranie. Il s’agit de l’Archipel des Habibas (l’unique archipel en Algérie) avec ses 40 hectares au large d’Oran et l’île Rachgoun avec un peu plus de 16 hectares dans la wilaya de Aïn Témouchent», précise M. Moulai.
Sur le littoral oriental, l’expert assure qu’il faut aller à Jijel pour trouver des îles avec des superficies appréciables, avec les îles de Grand Cavallo (6 hectares) à El Aouana et l’île Petit Cavallo (4 hectares) au large du rocher noir.
Finalement, l’Algérie possède beaucoup plus de petites îles et îlots. Et c’est justement l’une des raisons qui font qu’une grande majorité de personnes ignorent leur existence.
- Inhospitalières
A cet effet, M. Moulai explique: «Les Algériens n’ont pas été très attirés par les îles pour deux raisons majeures. La première est leur petite superficie et la seconde le manque d’eau et de ressources» précisant qu’aucune île algérienne ne possède une source d’eau permanente.
«Aucune île algérienne n’est habitée, même pas les plus grandes (Habibas et Rachgoune), sauf par les gardiens de phares à un moment donné», ajoute-t-il.
Si nos îles paraissent assez inhospitalières pour les hommes, elles sont d’un intérêt scientifique remarquable. Pour M. Moulai, les îles demeurent des laboratoires d’études du vivant très estimés.
«Les milieux insulaires présentent du fait de leur petite surface et de leur isolement des originalités biologiques remarquables et abritent souvent un nombre important d’espèces endémiques», précise-t-il.
Ajoutant que les systèmes insulaires constituent des modèles de choix pour étudier les patrons écologiques en raison de la relative simplification des communautés et des interactions biotiques, notamment sur les îles de petites superficies.
Pour ce qui est de la diversité biologique terrestre au niveau des îles algérienne, M. Moulai assure qu’elle est exceptionnelle, «et ce, malgré le fait qu’un nombre important, que nous estimons à plus de 45%, restent inexplorés du point de vue scientifique».
A cet effet, l’expert explique que les scientifiques qui ont exploré les îles algériennes se sont intéressés beaucoup plus aux oiseaux marins nicheurs, à l’exemple des goélands, des puffins et des cormorans ou encore aux faucons d’Eléonore, négligeant ainsi les autres composantes de la diversité biologique.
«Ce n’est qu’à partir des années 2000 et grâce, entre autres, aux activités de recherches du Laboratoire de zoologie appliquée de l’université de Béjaïa et en collaboration avec d’autres laboratoires à l’échelle nationale mais aussi internationale (en particulier avec l’université de Montpellier) que l’exploration des milieux insulaires d’Algérie est devenue plus assidue», précise-t-il.
D’ailleurs, c’est suite à cela qu’en plus des oiseaux marins, la flore d’une grande partie des îles algériennes mais aussi les reptiles et les invertébrés terrestres à l’exemple des insectes à été inventoriée et caractérisée.
M. Moulai précise également que les recherches menées ont montré l’absence de batraciens (grenouilles et salamandres) sur les îles algériennes, et ce, en raison du manque de milieu aquatique permanent. Les mammifères aussi sont quasi-absents à l’exception du rat noir qui est présent sur la plupart des îles ou se trouve des colonies de Goélands leucophées.
- Menaces
D’ailleurs, un certain nombre d’îles algériennes possèdent un intérêt patrimoniale certain en hébergeant des espèces à haute valeur patrimoniales, notamment parce qu’elles sont endémiques, menacées ou extrêmement rares au niveau de leur aire de répartition. Malheureusement, et malgré leur particularité paysagère, leur diversité et leur intérêt patrimonial, «les îles algériennes ont peu retenu l’attention du législateur algérien», se désole M. Moulai. Selon lui, elles subissent actuellement un certain nombre de menaces, dont le tourisme anarchique, notamment en période estivale. La fréquentation humaine irrespectueuse de ces milieux fragiles peut nuire de façon permanente à l’équilibre fragile des systèmes insulaires.
Comme seconde menace, l’expert cite les espèces animales et végétales envahissantes qui peuvent gêner ou carrément prendre la place des espèces natives des îles notamment en ce qui concerne la flore ce qui peut induire une perte de diversité indéniable.
«Le cas du goéland leucophée, oiseau marin en surpopulation en est le parfait exemple. Ce dernier semble avoir un impact indéniable sur le sol et la végétation des îles, notamment dans les zones où les densités des couples nicheurs sont les plus fortes. De plus, cette espèce peut entrer en compétition ou même chasser d’autres oiseaux marins à haute valeur patrimoniale comme le goéland d’Audouin», prévient-il.
Alors que ces îles ont une haute valeur patrimoniale et scientifique, malheureusement, seules deux systèmes insulaires ont retenu l’attention du législateur algérien, à savoir les îles Habibas, classées réserve marine depuis 2002 sous l’égide du ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement et l’île Rachgoun, classée comme site Ramsar (zone humide d’importance internationale) en 2011, sous l’égide de la direction générale des forêts.
«Nous avons bon espoir que quatre autres îles soient classées. Il s’agit de l’île des Pisans, l’île de l’ail à Béjaïa, l’île Grand Cavallo et l’île Petit Cavallo à Jijel, et cela dans le cadre de la création des deux premières aires marines protégées en Algérie; celles de Gouraya et de Taza», espère M. Moulai.
Selon lui, d’autres sites îles en Algérie mériteraient également d’être classés, notamment celle comportant des espèces végétales ou animales à haute valeur patrimoniales, à l’exemple des sites de nidification du faucon d’Eléonore, comme l’île Kef Amor (île Saint Piastre) près d’Annaba et l’île Ronde à Oran.
Ajoutant que la création d’autres aires marines protégées qui intègrent les milieux insulaires peut être aussi envisagée.
«Les îles algériennes, vu leur rareté pourraient être classées comme des unités paysagères particulières (UPP) comme le sont les Gueltas dans le Sud algérien. Elles pourront ainsi avoir un statut particulier dans le cadre de la conservation des espaces naturels».
Sofia Ouahib
souahib@elwatan.com
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Posté Le : 23/10/2020
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Sofia Ouahib
Source : elwatan.com du jeudi 22 octobre 2020