L’Algérie n’avait plus de revue scientifique internationale consacrée à l’archéologie depuis la disparition de la très célèbre Libyca. Ikosim, avec son deuxième numéro, espère réveiller une discipline endormie et provoquer une réflexion autour d’une politique du patrimoine.
«La part des découvertes archéologiques qui ont été faites en Algérie n’est que la partie immergée de l’iceberg! Quand on se rend sur des sites qui ont déjà fait l’objet de maintes prospections et publications, on trouve encore des nouveautés!»
Nagète Aïn Seba, professeur de préhistoire à l’Institut d’archéologie (Alger II), en est persuadée: l’Algérie est, de toute la Méditerranée, un des pays où le patrimoine archéologique est le plus méconnu.
Alors, avec Ginette Aumassip, ancienne directrice du laboratoire de recherche sur l’Afrique au CNRS et Farida Benouis, directrice de la rédaction, courageusement réunies en Association algérienne pour la sauvegarde et la promotion du patrimoine archéologique, elles ont toutes les trois décidé de lancer une revue scientifique.
Un an plus tard, voici le deuxième numéro d’Ikosim, revue trilingue -français, anglais, arabe- publiée à 790 exemplaires.
Dans ce recueil de contributions, plusieurs articles de chercheurs algériens -sur l’aménagement du port de Carthage par Ouiza Aït-Amara, les inscriptions du mausolée de Cedias par Salim Drici, ou encore une esquisse de bilan sur le sauvetage de La Casbah depuis l’indépendance par Djaffar Lesbet- mais aussi italiens (avec un article sur le site libyen de Cyrene) et français, Michel Tauveron pour un article sur les gisements préhistoriques d’Iharân (Sahara algérien) et Jean-Pierre Laporte pour un article sur le mausolée tardif de Blad Guitoun (Boumerdès).
«Cette revue publie des études en rapport avec le patrimoine archéologique en Afrique du Nord, précise Farida Benouis, mais nous l’avons ouverte à d’autres disciplines comme la muséologie, l’architecture, l’anthropologie, la géophysique.»
Dans le comité scientifique, que des pointures: Nagète et Ginette, mais aussi Yasmina Chaïd-Saoudi, préhistorienne paléontologue à l’Institut d’archéologie d’Alger, mais aussi Jehan Desanges, historien de l’Académie française des inscriptions et belles lettres de Paris, Mansour Ghaki, archéologue de l’université italienne des études de Naples ou encore Abdelakder Heddouche, préhistorien au Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques à Alger.
Les préhistoriennes, qui rappellent combien la recherche est devenue difficile depuis que l’archéologie est passée sous la tutelle du ministère de la Culture, et que les autorisations, même pour toute prospection, ne reçoivent jamais de réponse, aimeraient donc, avec Ikosim, «créer une nouvelle dynamique dans une discipline qui en a bien besoin».
«Car le peu de travaux qui existent restent quasi invisibles, relève Nagète. Ils ne sont jamais publiés, ce qui leur permettrait de "sortir" de l’université.»
Pour Ginette, qui signe aussi dans ce deuxième volume d’Ikosim un article sur le site de Tin Hanakaten (Tassili Azjer) et la chronologie de l’art rupestre saharien, ce réveil de la discipline est aussi capital «d’autant que ce qu’il reste à découvrir est très significatif pour notre connaissance de l’évolution humaine.
Au Maroc, les chercheurs ont trouvé des restes humains de l’Homo Habilis. En Algérie, nous avons découvert des outils, mais ne savons encore que très peu de choses de sa migration depuis l’Afrique de l’Est.»
Enfin, elles espèrent aussi inciter à une réflexion sur une politique du patrimoine.
«Sur ce qu’il est et ce que nous devons en faire», résume Nagète.
C’est aussi la mission que s’est fixée leur association, qui projette par exemple de demander le classement de la Grande-Poste d’Alger ou la fac centrale d’Alger et son muséum d’histoire naturelle, comme monuments historiques.
«Mais la protection du patrimoine passe aussi, parfois, par une simple valorisation, ajoute Farida. Nous voulons aussi sensibiliser les autorités pour qu’elles aménagent l’îlot Lallahoum où se trouvent les restes d’une mosaïque d’une villa romaine avec patio, sur laquelle, aujourd’hui, les habitants du quartier, qui ne savent pas ce que c’est, jettent leurs ordures.»
Mélanie Matarese
Posté Le : 14/09/2013
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: El Watan ; texte: Mélanie Matarese
Source : El tan.com du vendredi 13 septembre 2013