En cette circonstance particulière de commémoration, je vous ai choisie pour qu’à travers vous, soient glorifiés tous ceux et toutes celles qui ont souffert et combattu pour que vive l’Algérie.
En cet anniversaire du Cinquantenaire de l’indépendance, permettez-moi, chère Louisa Ighilahriz (photo), de m’adresser à vous particulièrement pour vous exprimer du fond du cœur mon affection ainsi que ma profonde reconnaissance de citoyen algérien libre. C’est à la combattante bien sûr que je m’adresse, à la moudjahida dont la famille a payé un si lourd tribut à la guerre de libération nationale.
A vous, Louisa Ighilahriz, qui avez souffert le martyre entre les mains des tortionnaires les plus implacables.
De la torture pratiquée par l’armée française et plus particulièrement par les parachutistes, il en a déjà question grâce notamment aux ouvrages parus au moment même de la guerre d’indépendance, ceux d’Henri Alleg “La Question”, de Pierre Vidal Naquet, “La torture dans la République”, de Bachir Boumaza, “La Gangrène” pour ne citer que les plus connus.
Depuis très longtemps, depuis des années, j’ai accumulé livres, revues et articles de journaux que j’ai découpés, traitant de la répression et de la torture, de la guerre de libération en général, afin de garder trace au devoir de connaissance et de mémoire.
Permettez-moi, Louisa Ighilahriz de vous dire modestement – tant les souffrances de milliers d’Algériens sont innombrables et indicibles – que, enfant, de huit à quatorze ans (1956-1962), j’ai été très sensible aux événements de notre lutte pour l’indépendance, à l’âge où s’inscrivent les émotions les plus fortes, où s’enracinent les sentiments les plus durables et les plus ineffaçables.
J’ai vu ma mère pleurer la perte de ses deux frères bien-aimés, mes oncles maternels, Benaceur Mohammed Arezki, dit Tewfik, et Ali, morts sous la torture, disparus lors de la Bataille d’Alger, à jamais sans sépulture.
“Tewfik” a été évoqué par Jacqueline Guerroudj dans son livre “Des douars et des prisons” (Collection Bouchène), ainsi que dans l’ouvrage collectif (trois tomes) sous la direction d’Henri Alleg “La Guerre d’Algérie”.
J’ai vu avec mon père à Serkadji mon oncle paternel, Benhamida Abderrahmane, condamné à mort, enchaîné, mais souriant.
Je voulais vous dire tout cela, Louisa Ighilahriz, parler des miens, évoquant ainsi de la même tant d’autres, torturés devant leurs propres enfants ou leurs propres parents, anonymes par milliers dans “Les douars et les prisons”, dans les caves, les camps, les villas devenues centres de torture. Tout cela pour combien et à quel point un certain jour de juin 2000 (j’ai la coupure du journal dans mes cartons), j’ai lu avec exaltation, à la une du journal Le Monde, votre témoignage sur ce que vous aviez subi lors de la terrible Bataille d’Alger en 1957.
Je me souviens ; je me suis assis après la lecture de l’article pleurant de joie et de douleur mêlées. Je sentis que quelque chose de très important était advenu ce jour-là, quelque chose qu’on pourrait qualifier sans exagérer d’historique. La suite m’a donné raison – que d’articles, de revues, de numéros spéciaux parus depuis ce jour sur le thème de la torture pendant la guerre d’Algérie!
Vous aviez, d’un seul coup par votre témoignage, ébranlé dans leurs convictions ceux qui doutaient ou refusaient de nommer l’innommable. Vous étiez la combattante qui avez souffert, mais surtout qui avait eu le courage de dire, de rompre le silence, de prouver que la torture – comme l’a bien montré dans son ouvrage admirable la jeune universitaire et historienne Raphaëlle Branche dans son livre “La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie” – était un système étendu partout en Algérie, avant même 1954, un système élaboré, organisé, trouvant son “origine dans le racisme colonial et les méthodes héritées de la guerre d’Indochine” (La torture et l’armée…).
Grâce à vous, Louisa Ighilahriz, Massu, le maître d’œuvre de cette pratique criminelle, exécutée pour faire souffrir et humilier, briser toute velléité de combat et de résistance, une méthode que les nazis ont pratiquée contre les résistants français pendant l’occupation de la France et de toute l’Europe.
Massu, qui niait ou minimisait la torture en Algérie dans son livre “La vraie bataille d’Alger”, a été obligé cette fois, l’âge aidant, le temps de la réflexion, le remords, d’avouer que cette pratique n’était pas nécessaire, qu’on pouvait s’en passer, en somme son inanité.
C’est un aveu considérable qui met fin au mensonge, qui montre et étale au grand jour l’endurance, le courage, reconnu par de Gaulle lui-même lors de son discours au forum d’Alger le 4 juin 1958 (… car le courage ne manque pas sur cette terre d’Algérie), la souffrance inouïe des combattants algériens, hommes et femmes, des villes et des campagnes, pour l’indépendance de leur pays.
Quant à Bigeard qui paradait à Alger devant les caméras, fier de son bilan macabre, je l’avais vu dans une photo de l’ouvrage de Jules Roy “La bataille de Diên Biên Phû”, baissant la tête, prisonnier des combattants vietnamiens avec tout l’état-major du corps expéditionnaire français. C’est avec une colère mal maîtrisée qu’il s’est laissé aller à des dénégations bredouillantes qui sont la marque même de l’aveu.
Dans son livre “Algérie, une guerre sans gloire”, Florence Beaugé cite le cas de Baya, une maquisarde affreusement torturée, notamment par Graziani (mort plus tard en Kabylie lors de l’opération Jumelles): “Et soudain Baya se penche vers moi, suppliante: ‘Avant de mourir, je voudrais savoir qu’on a gagné, murmura-t-elle. Qu’entend-elle par là?’ Je voudrais apprendre que le monde entier sait enfin ce qui nous est arrivé et que les bourreaux ont été confondus. Si cela arrive et que je suis déjà dans la tombe, je vous demande une chose: Venez me voir au cimetière et dites-le-moi tout bas” (Algérie une guerre sans gloire, p.183).
Louisa Ighilahriz, c’est en grande partie grâce à vous que les suppliciés comme Baya, hommes et femmes, peuvent estimer qu’ils ont gagné et qu’ils peuvent dormir en paix. C’est pourquoi en cette circonstance particulière de commémoration, je vous ai choisie pour qu’à travers vous soient glorifiés tous ceux et toutes celles qui ont souffert et combattu pour que vive l’Algérie.
Toute mon affection pour vous ainsi que pour toute votre famille. En tant que citoyen algérien, je vous embrasse. Merci.
PS : Ma fille née en novembre 1993 s’appelle Louisa, est-ce un hasard ?
Benhamida Abdelhamid
(*) Enseignant, université de Grenoble (France
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Posté Le : 25/07/2013
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: mouradpreure.unblog.fr ; texte: Contribution de BENHAMIDA ABDELHAMID (*)
Source : liberte-algerie.com du dimanche 14 juillet 2013