Algérie

Algérie - Hakim Addad. Ancien leader de RAJ: «Il faut que cesse la politique de la répression»



Algérie - Hakim Addad. Ancien leader de RAJ: «Il faut que cesse la politique de la répression»


Après trois mois d’emprisonnement au pénitencier d’El Harrach, l’ancien leader de RAJ a retrouvé la liberté (provisoire) le 2 janvier. Il a surtout retrouvé l’ambiance des mobilisations populaires qui lui manquait. Hakim Addad, enfant d’Octobre 1988, raconte son séjour derrière les barreaux…

- Qu’est-ce que cela vous fait de pourvoir marcher après trois mois de privation de liberté?

C’est au-delà du bonheur. Me retrouver au milieu des miens, pouvoir manifester à nouveau pour poursuivre notre combat en faveur de la démocratie. La joie de retrouver mes ami(e)s est immense. La solidarité citoyenne que j’ai ressentie et l’affection que les gens nous témoignent, nous donne de l’énergie et de l’envie de se battre avec force et détermination. Se retrouver derrière les barreaux alors que des millions d’Algériens sont en mouvement est plus que frustrant. L’emprisonnement nous fait prendre conscience encore plus de la nécessité de la liberté. Jeter des citoyens en prison pour des raisons politiques ou d’opinion n’a pas lieu d’être dans notre pays. Si les Algériens sont dans la rue depuis des mois, c’est justement pour en finir avec les atteintes aux libertés.

- Votre libération était inattendue, d’autant qu’elle a coïncidé avec l’annonce du nouveau gouvernement…

Il était 13h20 lorsque un des gardiens de prison m’a appelé pour m’annoncer qu’avec un groupe de détenus nous allions être présentés devant le juge. Il nous a à peine laissé le temps de nous habiller. Nos avocats ne le savaient même pas. Arrivés devant le juge, nous n’avons pas eu la possibilité de nous exprimer. Les avocats ont plaidé la liberté provisoire, aussitôt acceptée par la juge qui a annoncé la tenue du procès. On retrouve la liberté, mais provisoirement. C’est une épée de Damoclès. La joie a été de courte durée, parce qu’en quittant ma cellule, j’ai laissé derrière moi mon camarade, Abdelwahab Farsaoui. C’était horrible quand est arrivé l’instant de me séparer de lui. Une terrible pression, comme si je voulais rester avec lui. Il m’a dit: «Vas-y, pars avant qu’ils ne renferment les portes de la prison.» C’est dur de quitter la prison et de laisser son camarade au fond de sa cellule, mais je sais qu’il va tenir, il est courageux. Sa place n’est pas là-bas.

- Etiez-vous préparé à cette épreuve d’emprisonnement?

Relativement, oui. Quand la vague d’arrestations a été enclenchée et que des militants ont été ciblés, je me suis posé la question, d’autant que certains militants de RAJ (Rassemblement Actions Jeunesse) avaient déjà été arrêtés avant moi. Ironie de l’histoire, on s’est fait arrêter, Djallal Mokrani, Ahmed Bouider, Kamel Ould Ouali et moi-même, le vendredi 4 octobre, la vielle de la célébration du 21e anniversaire des événements d’Octobre 1988. Interpellés d’abord par la police le matin du côté de la place des Martyrs, nous avons été relâchés, puis à la fin de la manifestation, des individus se présentant comme étant des officiers, nous ont interpellés alors que nous prenions nos cafés tranquillement en haut de la rue Didouche Mourad. Ils nous ont conduits à la gendarmerie de Bab J’did, s’est alors engagé un interrogatoire qui a duré plusieurs heures sur l’association RAJ, ses financements, mes opinions…

- Comment avez-vous vécu votre séjour carcéral ?

J’ai été frappé par l’humanité des prisonniers, qui nous témoignaient respect, et leur solidarité extraordinaire. Mais psychologiquement, la prison est une torture, surtout pour quelqu’un qui chérit la liberté. Il fallait tenir moralement et éviter de craquer. Mais quand tombe la nuit, on se retrouve seul face au mur froid. Ce sont les moments les plus durs. Tu refais le monde, tu passes en revue toute ta vie. C’est surtout dur de penser à ceux que tu as laissés dehors et à qui tu fais vivre des moments difficiles, surtout ma fille et mon fils, ma mère…

- Votre fille Dounia a repris le flambeau, elle a bien assuré en s’impliquant dans le mouvement…

J’ai pu suivre ce qu’elle a fait à travers les médias. Son engagement s’est confirmé depuis notre arrestation en prenant la parole publiquement dans des meetings, ici comme à l’étranger. Elle s’est révélée courageuse et digne. Je suis fier d’elle. Quand elle m’a rendu visite – une seule fois – en prison, j’ai découvert qu’elle assurait sur les deux fronts : militant et études. Malgré l’épreuve qu’elle a endurée, elle a eu d’excellents résultats scolaires. C’était pour moi un motif de fierté. C’est emblématique de cette jeunesse qui a soif de liberté qui se bat avec vaillance durant ces mois de révolution.

- L’association RAJ, dont vous étiez un des membres fondateurs, a été décapitée, pourquoi, selon vous, a-t-elle été ciblée de cette manière?

C’est un acharnement incompréhensible contre une association qui travaille à la conscience citoyenne, sensibilise la jeunesse à la chose politique. C’est une association légale qui milite pour l’émancipation de la jeunesse, qui lutte pour tous les droits et la démocratie depuis fort longtemps. Nous sommes les enfants d’Octobre 1988 et nous sommes fidèles à l’esprit de cette histoire militante. Elle a été ciblée pendant le hirak citoyen parce qu’elle joue un rôle central, elle anime les débats citoyens et surtout elle est impliquée dans la recherche d’une solution qui serait à la hauteur des exigences citoyennes. Pour jeter l’opprobre et le discrédit sur elle, on l’accuse de la rage en agitant le chiffon rouge de la main de l’étranger. Je dirais simplement que le peuple sait reconnaître les siens.

- Le chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, se dit ouvert au dialogue, mais sans pour autant clarifier sa démarche… Qu’en pensez-vous?

Comment dialoguer alors que les libertés fondamentales sont malmenées au quotidien! Comment discuter quand le champ politique et médiatique reste verrouillé, des détenus d’opinion croupissent encore en prison pour avoir exprimer des opinions politiques ! On ne peut pas dialoguer alors que des concitoyens subissent la répression et qu’on lâche des baltaguia contre des manifestants. Il faut que cesse cette politique de répression et ce climat de terreur qui pèse sur les militants… Si la négociation doit avoir lieu, elle doit se porter uniquement sur le changement du système politique contre lequel des millions d’Algériens se mobilisent depuis onze mois. Une révolution citoyenne qui se poursuit encore pour bâtir l’Algérie des libertés.

- Quel regard portez-vous justement sur cette révolution?

Nous avons réalisé l’impossible durant ces mois de mobilisation générale. S’il est vrai que le changement du système politique tarde à voir le jour, il n’en demeure pas moins qu’au cours de notre longue marche, nous avons engrangé beaucoup de victoires. Le 22 Février a donné naissance à une nouvelle Algérie, celle d’un peuple décidé à reprendre son destin en main. Voir tous les Algériens marcher ensemble, massivement, pacifiquement et dans la diversité assumée vers la démocratie relevait d’une utopie. Une utopie devenue réalité.


Photo: Hakim Addad

Propos recueillis par Hacen Ouali


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