Hacene Menouar, président de l’association El Aman, dresse un bilan sans complaisance sur notre mode de consommation, surtout pendant le dernier mois de Ramadhan. A ses yeux, malgré la brutale chute du pouvoir d’achat et une crise économique persistante, l’Algérien ne s’est pas totalement débarrassé du gaspillage. Par ailleurs, les pénuries de certains produits ont suscité un mouvement de panique difficilement contrôlable. Un éclairage qui doit inspirer les pouvoirs publics pour prendre les bonnes décisions.
- Peut-on avoir un aperçu sur les conditions du déroulement du dernier Ramadhan?
Concernant le bilan consumériste de ce Ramadhan du moment, où malheureusement, ce mois est synonyme de consommation et de surconsommation même, il est pratiquement négatif à tout point de vue et surtout si l’on fait la comparaison avec les années précédentes, on a ressenti qu’on a fait marche arrière par rapport aux droits des consommateurs, au pouvoir d’achat, à la disponibilité des produits, mais surtout par rapport à la maîtrise des pouvoirs publics.
On a senti que les consommateurs étaient livrés à eux-mêmes et qu’il n’y avait pas de pouvoir pour maîtriser la situation et les protéger, ce qui est du ressort de l’État à travers ses institutions, cela était bien clair dans les deux Constitutions précédentes.
Il y a eu comme une impuissance des institutions face à la dégradation du pouvoir d’achat et aussi à la perturbation dans la distribution des produits, à l’affolement des consommateurs et la perte de confiance. La crise a été accentuée d’une manière très forte.
- Il faut dire aussi que les pouvoirs publics ont eu du mal à réguler le marché...
Toujours pas de marché de proximité pour offrir au consommateur ses droits en termes de sécurité sanitaire des aliments, de propreté et salubrité, de confort et de proximité et de traçabilité des produits et de maîtrise des prix et de contrôle, quand il n’y a pas de marché, il n’y a pas de contrôle et tout peut se faire parce qu’on oblige le consommateur à acquérir ses biens et produits de consommation dans l’anarchie, dans les souks parallèles peu respectueux des normes.
Aussi, on a eu à constater d’une manière flagrante que les pouvoirs publics ont eu du mal à maîtriser la situation en termes de régulation, vu que les agriculteurs font ce qu’ils veulent, produisent ce qu’ils veulent comme variétés ou espèces, quand ils veulent et mettent les produits sur le marché quand ils veulent, preuve à l’appui, le phénomène de pénurie de la pomme de terre qui dure depuis des mois et les pouvoirs publics n’arrivent pas à y remédier.
Cela dure depuis des mois, cela veut dire qu’il y a eu une production mal maîtrisée et une deuxième aussi mal maîtrisée, cela veut dire que si les pouvoirs publics étaient capables, avaient les moyens en compétences et en bonne volonté de travail, on aurait fait l’erreur sur un cycle, mais on se serait rattrapé sur le deuxième cycle. Malheureusement, la pomme de terre continue à être trop cher par rapport à ce qui a été promis par les pouvoirs publics.
Le ministre du Commerce avait promis qu’elle ne dépasserait pas les 60 DA, le président de la République, à un certain moment lors de sa campagne et après, avait promis qu’elle ne dépasserait pas les 40 ou 50 DA ; actuellement, elle est à plus de 100 DA, pour ne pas dire 120 et 130 DA, ce qui prouve que les pouvoirs publics ne maîtrisent pas la situation.
- Toutes ces conditions défavorables ont suscité des peurs et des craintes chez le consommateur, qui a opté pour les stocks et un comportement irrationnel. Partagez-vous cette analyse?
Les consommateurs ne sont pas rassurés, ils ont peur, ils essaient de trouver des solutions en constituant de petits stocks et en courant à gauche et à droite. Les consommateurs algériens se sont avérés pendant ce Ramadhan comme des citoyens vulnérables, fragiles qui malheureusement s’affolent et sont perturbés face à n’importe événement anormal dans la distribution.
Dès qu’il y a un problème sur l’huile, c’est tout le monde qui déprime et verse dans la frénésie.
On a revu des images des années 1980 et début des années 1990, où les Algériens couraient dans tous les sens, faisaient la chaîne pendant des heures pour acquérir un produit alimentaire qui n’a aucun apport du point de vue nutritif et économique.
En tant qu’association El Aman, il s’est avéré qu’il y a encore beaucoup de travail de sensibilisation à faire et la formation des consommateurs, le travail doit se faire à nouveau à la base pour former les consommateurs du futur, car on considère qu’à un certain âge, on a beaucoup de résistance.
Les campagnes de sensibilisation n’ont pas été très efficaces jusque-là, du moment qu’il n’y a pas eu la bonne méthode ou la médiatisation.
Nous insistons pour qu’il y ait des études sérieuses et approfondies de sociologues et de psychologues pour trouver le meilleur moyen de mieux sensibiliser le consommateur, de mieux le convaincre, le moraliser pour arriver à une meilleure culture de consommation, où on sera obligé de changer le système de régime alimentaire, de ne plus se baser sur un produit, où on va manger différemment d’une saison à une autre et d’une région à une autre.
On se base sur des légumes de saison, pas seulement la pomme de terre, pour réduire la consommation des produits transformés sucrés et salés gras.
- La chute du pouvoir d’achat a-t-elle eu un impact significatif sur la consommation?
On a constaté qu’il y a eu des contradictions: malgré la cherté des produits et la forte dégradation du pouvoir d’achat, on gaspille beaucoup, même si la majorité des Algériens sont pieux et vont à la mosquée: ça fait mal à la santé, à l’économie et à l’image du pays.
Le gaspillage se constate aussi dans l’anarchie de la consommation des énergies (éclairage public, carburants), l’absence de carte agricole, moyens de transport inadéquat et d’entreposage. On a cru qu’avec la crise économique, les Algériens allaient faire des efforts, qu’il y aurait une rationalisation de la dépense publique.
On gaspille même le temps de travail (absentéisme et retards). Il faudrait organiser des assisses pour parler de tout ces problèmes.
Photo: Hacene Menouar, président de l’association El Aman
Entretien par Kamel Benelkadi
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Posté Le : 10/05/2022
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Entretien par Kamel Benelkadi
Source : elwatan-dz.com du lundi 9 mai 2022