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ALGERIE - FRANCE : Rendez nous nos archives



ALGERIE - FRANCE : Rendez nous nos archives
Fruit d’un travail de recherche approfondi, le rôle des archives dans l’histoire d’une nation avec de larges références sur la cas spécifique de l’Algérie, qui a servi comme thème d’une conférence assurée par Maître Benbraham Fatma-Zohra, porte-parole de l’instance pour la décolonisation de l’histoire algéro-française et avocate, a valu par la richesse de ce qui a été exposé.

Pour l’oratrice, une nation qui ne connaît pas son histoire ne sait pas où elle va. Elle doit impérativement se baser sur des références pour construire son histoire. Les archives constituent dans cet esprit, note Maître Benbraham, un véritable extrait de naissance d’une nation. Si l’on veut connaître l’histoire de notre pays, où doit-on récupérer les archives le concernant, s’interroge l’oratrice.

Parce qu’elles sont importantes, les archives concernant l’Algérie détenues par d’autres pays — qui ont, en vertu de l’histoire, un passé commun avec nous — ne sont pas toujours restituées de plein gré.

Des archives éparpillées à travers le monde

Nos archives sont éparpillées à travers un certain nombre de pays, la France bien sûr, les Etats-Unis, la Turquie, la Grande-Bretagne, la Syrie, la Norvège et de façon générale les pays nordiques, etc. Aux Etats-Unis, il s’agit d’originaux, relève l’oratrice. Elles concernent les relations diplomatiques durant la période ottomane, la période coloniale et notamment les relations avec l’Emir Abdelkader. En Grande-Bretagne, il y a un grand nombre de traités. Mais les archives les plus importantes se situent en Turquie et en France.

Selon Maître Benbraham, la Turquie est tout à fait disposée à restituer les archives qu’elle détient sur notre pays, alors que la France y met un grand nombre d’obstacles de nature juridique et réglementaire sur fond politique. Avec la Turquie, il suffit donc que la volonté politique se manifeste pour que l’opération de restitution se déclenche. La Turquie détient ces archives en trois exemplaires, un manuscrit qui a existé en Algérie, et deux exemplaires détenus en Turquie en langue locale. Les manuscrits détenus en Algérie ont été transférés avec l’invasion de notre pays par le corps expéditionnaire français, notamment l’état civil.

Le blocus français en matière d’archives

Le refus opposé par la France pour la remise des archives est interprété par l’oratrice comme une volonté de l’administration française de ne pas permettre aux Algériens d’accéder à leur passé. Certains documents peuvent seulement être remis si on fait la preuve de son état de chercheur et si un document authentifie cet état là.

Maître Benbraham relève qu’une certaine évolution a été perçue en 1979 à travers deux textes de lois qui classent les archives, notamment de l’état civil transféré d’Algérie et définissent le temps imparti pour qu’elles soient versées dans le domaine public : 100 ans normalement. Cette rétention provoque d’énormes problèmes puisque des Algériens disparus depuis longtemps et notamment durant la période coloniale ne sont pas inscrits à l’état civil alors qu’ils sont décédés. Qui peut savoir combien de personnes ont été assassinées lors des manifestations historiques du 8 mai 1945. Les chiffres varient d’une source à l’autre. Attendre 100 ans pour accéder à ces archives, c’est la règle introduite par l’administration française.

Pour l’oratrice, si les archives concernant les manifestations historiques du 8 mai 1945 étaient disponibles, on connaîtrait le nombre de disparus et on pourrait permettre à des chercheurs d’entamer un travail. Aujourd’hui, nous travaillons sur le dossier par recoupements. Sur les manifestations historiques d’octobre 1961, il y a les mêmes difficultés quant au nombre des victimes. Maître Benbraham parle de crime contre l’humanité, c’est à partir des archives disponibles qu’on peut reconstruire l’histoire et agir en vue de réparations.

Une loi française de 1979 pour compartimenter le secteur des archives

La loi de 1979 qui évoque le problème de l’état civil, relève aussi ce qui concerne les archives publiques. Dans ces archives, sont consignés des dossiers médicaux, qui ne peuvent être rendus publics qu’à partir de 150 ans à compter de la date de naissance de la personne intéressée. L’oratrice a fait le lien avec les actes de tortures qui ne peuvent être prouvés faute de preuves pour non accès aux dossiers qui restent détenus en France. Il y a aussi les personnes dont il faut attendre 120 ans à compter de la date de naissance. L’oratrice parle d’une étape importante qui est la signature du Traité international de Rome signé en 1988. Ce traité classe les crimes contre l’humanité comme imprescriptibles, mais les autorités françaises, en mettant le blocus sur les archives concernant l’Algérie, empêchent notre pays d’agir en réparation.

Les dossiers de justice font l’objet d’un même blocus. Il faut 100 ans après la clôture d’un dossier pour accéder au dossier. Pour le dossier concernant le chahid Zabana, exécuté par l’administration coloniale, il faut attendre 2056 pour accéder au dossier. L’oratrice évoque dans son argumentaire, le dossier de la spoliation par les colons des terres appartenant aux Algériens et le droit de succession.

Très souvent, il a suffi de falsification au niveau notarial pour assurer le transfert illégal des terres. Il faut 100 ans pour accéder aux actes notariaux, selon la loi française.

Une plume de notaire suffisait pour déposséder de leurs biens les Algériens

Maître Benbraham relève qu’il a suffi de la plume d’un notaire pour que des personnes perdent tous leurs biens. L’absence d’archives au niveau de l’état civil fait que très peu de gens connaissent leurs origines. C’est ce que voulait la France, note l’oratrice, pour couper les liens entre les Algériens d’aujourd’hui et ceux d’hier.

Concernant les documents mettant en cause la vie privée, il faut 60 ans pour pouvoir accéder au dossier, concernant la situation des harkis, la loi française rend impossible tout résidant en France d’évoquer cette condition… l’amnistie est passée par là.

Concernant le dossier de sûreté de l’Etat, le blocus sur les archives organisé par la France, notamment sur la période 54-62 — sont considérés comme ayant portée atteinte à la sûreté de l’Etat français tous les moudjahidine et moussebline — le dossier ne peut être ouvert que dans un délai de 60 ans. Cette situation a encouragé une cacophonie dans notre pays sur qui est moudjahid et qui ne l’est pas. S’agissant de dommages de guerre, les dossiers ne peuvent être ouverts que dans un délai de 60 ans après que le dommage ait été causé.

Or ce dommage ne peut être au mieux comptabilisé qu’à partir de 1996, note maître Benbraham, parce que c’est à partir de cette date que la France a reconnu qu’il a existé une guerre entre l’Algérie et la France. Jusque-là on parlait d’événements d’Algérie.

L’oratrice a évoqué aussi les archives de la République française en ce qui concerne l’histoire de notre pays, archives des présidents français, du secrétaire général de la Présidence française où sont consignées les arrestations, les exécutions. Dans ces archives, on découvre que l’Algérie est évoquée, amputée du Sahara. Il y a l’Algérie et le Sahara.

Les accords d’Evian n’ont pas livré leurs secrets

Maître Benbraham soulève le cas des accords d’Evian qui n’ont pas livré tous leurs secrets, dit-elle. Il y a des documents classés archives. Concernant l’ancien président du GPRA, le regretté Ferhat Abbas, il existe, archivé, un dossier concernant cette personnalité de 1947 à 1950 élaboré par les renseignements généraux français, ce sont des archives qui demeurent inaccessibles. Il y a aussi un dossier dit « Algérie libre » détenu par les services français où l’on retrouve pétitions, lettres adressées au président de la République française. C’est un dossier énorme, relève l’oratrice. Un autre dossier, listé par maître Benbraham est celui des recours en grâce où l’on retrouve notes et autres correspondances, les oppositions des milieux ultras à des remises de peines ou des grâces concernant les révolutionnaires algériens. Les dossiers des voyages de présidents français en Algérie sont aussi sujets au blocus et archivés. Il y a aussi les dossiers dits de l’Elysée où on retrouve tous les dossiers transversaux entre autres ceux concernant l’Algérie. Les archives du ministère français des Affaires étrangères sont aussi cités, qui contiennent en partie la liste de tous les parlementaires algériens de 1959 à 1962, leur itinéraire et leurs activités. Il y a aussi un dossier concernant les messages des différents Chefs d’Etat à propos de l’Algérie qui tend à accréditer l’idée qu’il y avait une importante concertation entre le gouvernement français et les autres pays. Il serait intéressant de savoir quels sont ces Etats, la nature des échanges et des messages, les correspondances… Le dossier négociations et accords sur les hydrocarbures a été évoqué par l’oratrice où est située la période 1969-1971.

Il s’agit de documents importants relève l’oratrice, maître Benbraham cite aussi les documents sonore et filmés de De Gaulle lors de sa visite en Algérie également archivés et inaccessibles pour les Algériens. D’autres dossiers concernant l’Etat de l’Algérie après l’indépendance, le Plan de Constantine, non accessible également. Autre dossier, autre interrogation, celui concernant la commission de sauvegarde et des droits individuels qui a enquêté sur les disparitions, les responsabilités des services français dans le cas de ces disparitions, le rapport sur le fonctionnement de la commission, c’est un dossier archivé, non accessible évidemment.

L’importance du traité de Rome

Le traité de Rome considère il faut le rappeler la colonisation comme un crime contre l’humanité et la torture comme un crime contre la personne, d’où l’intérêt de l’administration française de verrouiller les archives faisant référence à sa présence en Algérie. Cela rend imprescriptible le crime contre l’humanité. Les dossiers ne seront jamais accessibles si l’on ne fait rien pour que cela change, note l’oratrice. Maître Benbraham a évoqué l’existence d’autres dossiers archivés comme la recherche de pétrole en Algérie entre 1954 et 1960, celui de l’éducation nationale, de l’université, un rapport sur l’école algérienne reste confidentiel, le personnel des bibliothèques et leur affectation spéciale durant la lutte de Libération nationale, des documents sur la fac de lettres d’Alger entre 1956 et 1962.

D’autres dossiers concernent la presse algérienne de 1944 à 1962 pour qui il fallait une procédure spéciale pour pouvoir paraître. L’oratrice évoque aussi d’autres dossiers directement liés aux services français de la documentation extérieure et du contre-espionnage. Des dossiers sur les imprimeries, les services juridiques, les relations avec le ministère des Affaires algériennes, s’y ajoutent, celui de la radio aussi, l’audiovisuel, le ministère de l’Intérieur, la Justice, les témoignages oraux. Tous ces documents et dossiers sont inaccessibles.

Une bataille importante

L’oratrice en conclut que notre bataille pour le recouvrement de nos archives reste une bataille importante. Elle rappelle la bataille livrée et gagnée sur le nucléaire durant la colonisation où il y a une levée du secret défense. Bien que partielle, Me Benbraham a relevé la remise aux autorités algériennes par l’administration française du plan d’implantation des mines antipersonnel, bataille engagée et gagnée, bien que la décision française a mis du temps à se dessiner. 11 millions de mines ont été disséminées par l’armée coloniale. Entre-temps, 8 millions ont été déterrées par les services spécialisés algériens. Mais la liste des victimes reste très longue 40.000 Algériens y ont perdu la vie et 80.000 sont handicapés selon un recensement de 1974. Qui va indemniser ces victimes ? relève l’oratrice qui affirme que c’est un nouveau front ouvert dans le contentieux algéro-français. Maître Benbraham évoque dans le débat suite à des questions, les archives nationales qui demeurent inexploitables en partie en dépit de la bonne volonté du responsables, ce qui oblige les chercheurs d’aller jusqu’en France et attendre un mois une convocation pour se voir confier, dans le meilleur des cas et avec parcimonie, quelques documents sur l’histoire de notre pays.

Entre colonisation et réconciliation

Sur une question concernant la colonisation et la réconciliation, l’oratrice note que la colonisation reste un crime aujourd’hui reconnu comme imprescriptible par les traités internationaux, tandis que la réconciliation demeure un instrument juridique pour régler les différends nationaux et avec l’extérieur. Cela dit à propos d’une question posée sur les harkis, pour maître Benbraham un harki reste un harki. Il a choisi son camp. C’est un criminel qui a servi aux côtés de l’ennemi. C’est un choix qui doit être assumé.

Le dossier verrouillé de la torture

L’oratrice en évoquant le dossier de la torture note que les Français répugnaient à en parler jusqu’à ces dix dernières années, elle s’interroge suite à une question sur ce qui a pu se passer dans l’Algérie indépendante pour que des Algériens tuent d’autres Algériens. C’est un cycle historique où la pensée coloniale qui viole l’esprit de nos enfants est en cause. Sinon, comment expliquer cette violence. A propos d’archives directement exploitables.

La villa Susini, une archive à ciel ouvert

Maître Benbraham cite à la suite d’une question en ce sens, les archives à ciel ouvert, celles constituées par la villa Susini par exemple, haut lieu de torture utilisé par l’armée coloniale. A-t-on fait, dit-elle, l’inventaire de tous les lieux de torture qui existent dans le pays ouverts par l’armée coloniale durant l’occupation de notre pays. Sur le Plan de Constantine, là aussi suite à une question, l’oratrice note qu’il existe à ce sujet, des documents sonores et dans lesquels on peut y retrouver des scènes compromettantes pour certains, notamment cette réplique d’un bachagha qui suggérait à De Gaulle, en visite à Constantine, de ne pas construire de logements pour les Arabes, mais qu’il fallait donner des armes… pour les tuer.


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