Algérie

Algérie-France: Pour une relation d'égal à égal



De la «déclaration d'Alger» à une autre, les signatures se succèdent, des présidents partent, d'autres meurent, les dossiers sont les mêmes, les volontés distinctes. L'ampleur des rencontres dépend des positions de force ou de faiblesse que l'on adopte. Le mieux serait de traiter à égalité de position, à équivalence d'intérêt et au même poids que la mesure que l'on édicte. Ce qui semble se faire à la veille de ce 1er novembre 2022.Entre la France et l'Algérie, il y a plus qu'une simple histoire de fâcherie, d'humeur, de camaraderie ou de divorce ; il y a tout simplement une Histoire et des intérêts.
Ces relations ont connu au fil des ans plus qu'une tiédeur ou un craintif rapprochement sur le plan politique. Elles se sont aggravées, à un niveau où tout risquait la rupture frontale. Le rappel d'ambassadeur, la fermeture de l'espace aérien aux avions militaires, l'arrêt des visites officielles ; tout ça était dû en partie à une hyperthermie électorale qui s'était laissée dans des écarts de langage « inadmissibles ». Une période de glaciation les avait figées. Si ce n'est le réchauffement en plein mois d'un août caniculaire initié conjointement par les deux présidents. C'est justement dans ce souci de rendre la chaleur plus confortable que la récente visite de la moitié du gouvernement en Algérie conduite par son premier responsable préfigurait une embellie qui rejaillirait sur tous les espaces de ces accords de coopération dans des domaines stratégiques tant ceux liés à l'industrie, au tourisme, à la culture ou autre. La Première ministre ne s'est point abstenue de mettre en relief l'objectif déclaré de sa première sortie : «Cette visite à Alger ancre une nouvelle dynamique et un cycle durable qui profitera à nos deux peuples et leur jeunesse», a-t-elle avancé.
«La nouvelle dynamique » ne peut se fondre que dans une nouvelle vision des choses qui amarrent non seulement les deux pays, mais surtout les deux peuples. Quant au « cycle durable », l'on sait bien qu'en politique, puisque nous y sommes, rien ne dure, tout est aléatoire et demeure soumis aux conditions qu'exige l'heure factuelle. Comme la politique est ce qu'elle est, positivons et disons que tout se tracte et se contracte au « profit des deux peuples » et non pas pour des astrologies postélectorales ou des soucis de remonter la pente des cotes de popularité. Quant à la « jeunesse », c'est un terme purement populiste. Cette jeunesse que l'on déclare chérir d'une part et à qui l'on oppose le refus en termes de mobilité, n'est pas cette minorité clandestine, cette frange aventuriste, condamnable, que l'on met, en menace, dans la balance des visas. Bien de sommités dans divers métiers, de capital-savoir avéré, d'innovation, de recherche sont établis et font profiter l'Etat d'accueil de leur brio. Il ne faut s'aventurer à savourer des branches, se délecter de leurs fruits et maudire leurs racines et nier l'arbre d'où ils se sont éclos. Comme cet adage bien ancré populairement ironisant « voilà que la vache est une charogne (produit d'un abattement haram, illicite) mais ses boyaux hallal ».
Au-delà de ces classiques dossiers présents en toute circonstance, symbolisant tout partenariat économique ou autre, cette visite a mis la cloche sur certaines choses que toute l'opinion publique était dans leur attente et des deux rives. Rien n'a filtré sur la question substantielle des visas que la France avait rétrécis au maximum, voire bloqués invariablement. Rien non plus sur un contingent de livraisons supplémentaires de gaz vers la France. Il ne peut y avoir de bons accords, disent les observateurs, ni d'intéressantes négociations sans aller au fond des choses sérieuses qui captivent intrinsèquement les deux peuples, loin des caractères conjoncturels ou des contraintes factuelles de leur opinion publique. Les uns doivent avoir du gaz pour se chauffer en cet hiver rigoureux, les autres ont besoin de visas pour aller voir les leurs. Opposer les deux besoins, l'un à l'autre, c'est faire dans la disproportion. Un visa est certes une attribution régalienne à chaque Etat. Il en a la pleine souveraineté. Sauf que, pour la France et l'Algérie, il y autre chose qui n'existe pas entre Alger et une autre capitale, fût-elle arabe ou musulmane. La profondeur historique, la promiscuité populaire, le brasage, les millions d'Algériens qui sont là-bas, les nombreux liens familiaux qui les lient, leur biens, leur commerce, les binationaux, les étudiants, la culture, la langue, la cuisine, les voitures ( '), font que le visa est censé échapper un peu à la prépondérance exclusive des man?uvres françaises. Ce visa devient donc un ticket à deux volets. L'un d'emblée acquis, l'autre au bon vouloir de l'humeur du jour. Ainsi, il aurait été judicieux de prévoir une « commission mobilité » interministérielle, mixte, chargée spécifiquement de ce dossier, à l'instar des autres structures mises en évidence par ce « partenariat renouvelé », telle que celle des historiens, du cinéma et le reste. Sans arriver à débroussailler cette « sensibilité » qui concerne en premier lieu et seulement le peuple ; il ne peut y avoir de « durabilité ». Les rapports économiques peuvent mourir et se renouveler autrement, les rapports personnels restent les mêmes et sont permanents.
La visite d'Elisabeth Borne, en tous les cas n'est pas infructueuse. Du moins dans son aspect technique. Certainement pour les deux parties. L'on a gagné énormément d'intentions et quelques pièces de monnaies et encore non convertibles. Si la décision du président de la République, M. Tebboune, d'autoriser l'importation de véhicules de moins de trois ans d'âge, des tracteurs agricoles de moins de cinq ans, le retour à l'installation de concessionnaires automobiles, est accueillie favorablement par ses concitoyens, elle est aussi une extraordinaire opportunité financière pour l'industrie automobile française et son marché d'occasion. Les garagistes, les commissionnaires, les acconiers, les assureurs, les armateurs, les car-ferries se frottent déjà les mains. Mais, en conséquence, il va falloir réinventer la procédure des types pour l'obtention du visa. Il ne s'agira ni d'une visite familiale, ni touristique, ni d'études, ni médicale, ni de regroupement, ni même d'affaires, tout simplement pour «achat d'une dodoche».
Comme les individus, tous les Etats sont égaux en droits et en devoirs. C'est ça toute la quintessence de la relation d'égal à égal (ned lened)*. Ils peuvent cependant ne pas avoir le même gabarit, le même statut; l'essentiel étant toujours ce respect mutuel et cette clairvoyance commune dans tout ce qui les rassemble, les rapproche. Le principe dit de la « réciprocité », considéré comme fondement axial dans les mécanismes diplomatiques ne peut se valoir en toute circonstance. Il y a lieu dans certaines situations d'opter pour la « proportionnalité » que de la réciprocité. Cette dernière implique une notion un peu perverse disant : je te fais ce que tu me fais. Il y a là un esprit conformiste qui ressemble dans sa substance à de la riposte. Et quand l'on n'a pas les moyens utiles pour s'assurer de rendre le coup par coup, l'on s'installe aléatoirement dans l'incapacité de pouvoir répondre. Par contre, la proportionnalité a cet avantage de réguler ses contacts en fonction de la dimension de chacun. Pour illustrer ceci, la complexité des visas en est édifiante. Tu me l'imposes, j'en fais autant. Cela biaise l'équilibre des forces et ne garantit pas une égalité relationnelle. Ça semble un peu à sauver politiquement sa marge de souveraineté, mais en fait ne travaille pas l'intérêt que l'on cherche. Un Etat puissant, industrialisé et structuré n'aura pas besoin d'un autre qui court toujours après ses ambitions de développement. Si la Gambie fait astreindre les citoyens américains voulant séjourner chez elle à un visa d'entrée parce que cet Etat exige le même visa pour accéder à son sol, il est apparent que c'est le premier pays qui va en pâtir. Le Maroc dans ses relations avec la France affranchit les citoyens français de toute procédure de visa, alors que ses propres citoyens le sont et encore à des conditions draconiennes. Chose qui égratigne un tant soit la notion de dignité. Sommes-nous là, face à une pratique de réciprocité ou d'inégalité, à un rapport de force ou à une épée de Damoclès '
Pour les autres segments, l'essentiel reste dans le strict intérêt. Et dans ce même intérêt, il y a parfois, pour certains cas, une supercherie qui se dissimule dans les différentes clauses de conventions. L'on prend du gaz qui manque atrocement et l'on paye à crédit. L'on prend des minéraux nécessaires à nos industries et l'on vous file quelques minimes bourses scolaires. Ne laissant ainsi aucun moyen de pression fût-il honorifique, dans une conjecture de crise.
Il vrai qu'entre Etats, il n'y a ni sentiments, ni amour, ni fraternité, ni solidarité d'union raciale ou religieuse, seul le gain, la supériorité, la main basse comptent. Le profit étant une notion naturelle arrive somme toute à rompre tous les obstacles qu'aurait édifiés injustement une politique de conquête. La conquête en ce temps présent est dans le marché. Au sein de l'esprit de l'entreprise. Voire dans ses entrailles. L'on a bien clamé, que de fois, cette prometteuse amitié algéro-française à bâtir sur un partenariat privilégié qui tend à se développer davantage pour embrasser les différents centres d'intérêt communs d'une coopération exemplaire. Les échanges un peu tendus et refroidis jusqu'à un passé récent ne pouvaient fulminer un présent condamnant les deux d'aller vers une symbiose au plus haut niveau.
De par la pédagogie de l'utilité marginale et devant une quelconque impasse de concertation, l'on ne doit faire amorcer que les sujets abordables en mettant en sourdine ceux qui fâchent. En fait, tout est question d'approche. C'est en discutant dans un climat serein et désinfecté de toute malveillance virale que l'on arrive à défricher les terrains les plus minés pour en extraire ce qui tacle l'avancée et faire pousser la bonne sève. Dans le principe cardinal des relations internationales, il n'y a aucun sujet qui soit tabou. Rien n'est hermétiquement indiscutable. Il suffit d'avoir de l'humilité et de la droiture morale pour que toutes les portes finissent par s'ouvrir. L'Algérie tient à son histoire et à sa mémoire. La France tient à sa propre lecture de la même histoire et de la même mémoire. Ni l'histoire ni la mémoire ne peuvent se prévaloir de l'unicité de face. C'est la double lecture qui crée les différences et le plus souvent ce sont les lunettes que l'on porte qui vous flouent la vue. La logique est là, debout dans toutes les annales historiques. Qui a conquit qui ' Bon c'est connu, bien établi et malheureusement bien conservé. Passons-en, peut dire l'un. Arrêtons-y, peut dire l'autre. Cependant enjamber ce heurt et aller vers un avenir qui puisse faire naître une nouvelle «mémoire» sans pour autant faire dépérir l'autre, mais l'annexer, serait une aubaine pour tous. Chaque période à ses torts et ses polémiques, chaque histoire a ses causes et ses conséquences, chaque peuple a ses douleurs, chaque puissance a ses dépassements.
Le plus important dans tout effort de «réconciliation» c'est de se mettre à égalité, s'installer au même niveau, sans habit de supériorité et d'être convaincu de l'intention de ne pas voir l'autre de haut. C'est de la sorte que le débat s'égalise et permettra à chacun l'exercice de sa pleine souveraineté, loin de la négligence de son vis-à-vis et de la négation de son être. Nous n'en sommes pas là, à la félicité de tous, car le temps de la domination des peuples ou l'envahissement de leur terre, s'il se pratique encore ailleurs, n'est pas l'apanage de nos pays. C'est à peine croire que les conquêtes ne sont valables que dans leur hégémonie scientifique, salutaire et illuminée. La science et ses dérivés sont un patrimoine humanitaire commun. Ils ne sont vertueux que s'ils inondent le monde de bonheur et de paix et non pas de viol et de guerre.
l- Pour une relation «ned lened» (d'égal à égal) dixit le président Abdelmadjid Tebboune. Rencontre avec la presse octobre 2021.


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