«Je veux 50 milliards de dollars des 186 que l'Algérie met dans la
cagnotte de son programme quinquennal,» aurait exigé le président français de
Jean-Pierre Raffarin lorsqu'il l'a désigné «Monsieur Algérie».
Enveloppés d'un léger conditionnel, les propos collent pourtant bien à Nicolas
Sarkozy qui n'aurait certainement pas froid aux yeux pour exprimer ce genre
d'exigence et à haute voix. De surcroît quand il s'agit d'un pays auquel, il
n'a pas l'air d'avoir des égards. Le forum algéro-français
organisé du 30 mai au 1er juin dernier a montré qu'il est décidé à faire plier
les autorités algériennes pour les faire adhérer à sa vision du business. L'on
avance par exemple, sans crainte d'être contredit, que l'Algérie va revenir sur
la règle des 51/49% qu'elle a fait votée il y plus de deux ans, au titre des
dispositions réglementant le partenariat avec les pays étrangers. Cela même si
le Premier ministre n'a pas hésité lors de sa dernière conférence, à en élaguer
l'éventualité. Il avait en effet, soutenu qu'avant l'adoption de la règle en
question, les étrangers ne sont pas venus non plus. «Alors, il ne faut pas en
déduire aujourd'hui que c'est à cause des 51/49% qu'ils ne viennent pas,» a-t-il
lâché. L'on s'interroge alors si ces étrangers ne sont venus ni avant ni après,
qu'elle en est l'utilité pour l'économie nationale ? La révision de la
disposition ou même son abrogation ne serait pas une faute si elle s'avère être
un blocage de plus pour les investisseurs étrangers. Paroles d'hommes
d'affaires algériens privés. En, plus, tout le monde sait aujourd'hui que le
Premier ministre a fait pire que reculer sur une loi lorsqu'il a accepté de
déjeuner avec Jean-Pierre Raffarin à l'ambassade de France à Alger, après
l'ouverture du forum algéro-français.
Interrogé en marge des travaux du comité central du FLN tenus ces trois
derniers jours à Zeralda, des caciques du parti de Belkhadem affirment être persuadés qu'Ahmed Ouyahia n'a pas été instruit par le président de la
République pour le faire. «Il a été de son propre chef, il en est d'ailleurs
capable,» soutiennent-ils. Pourtant, des responsables dans la haute
administration pensent carrément le contraire. «C'est Bouteflika
qui lui a demandé de le faire pour partager un déjeuner avec un responsable de
son rang, Raffarin, qui a bien été lui aussi Premier ministre,» nous dit l'un
d'eux. La polémique enfle en l'absence d'une communication officielle
expliquant le choix du geste. «C'est pour montrer aux Français la grande
disponibilité de l'Algérie à prendre en charge les doléances des Français en
matière d'échanges économiques et commerciaux,» justifient
les tenants de l'instruction présidentielle. Nos interlocuteurs de la haute
administration sautent le pas pour opposer (allier ?) «concessions
algériennes contre soutien politique de l'Elysée en ces temps de troubles dans
le monde arabe.»
«Bouteflika n'a pas besoin d'un soutien de la France»
Les caciques du pouvoir ne l'entendent pas de cette oreille. «Faux ! Le
président Bouteflika n'a pas besoin d'un quelconque
soutien de la France. Il
sait que ce sont eux qui ont besoin des potentialités de l'Algérie et non le
contraire,» affirment-ils. Un léger retour en arrière les amènent à rappeler que
«si les Américains ont donné à l'Algérie la feuille de route qui consiste en la
mise en Å“uvre de réformes démocratiques dans de brefs délais, ils n'ont jamais
exigé de Bouteflika de céder sa place, ils ont trop
besoin de lui notamment par rapport à ce qui se passe aux frontières sud du
pays, le Sahel et la Libye.»
A leurs yeux, il y a mieux encore, «les Américains ont toutes
les largesses algériennes en matière d'exploration du pétrole, de son
exploitation et de sa commercialisation, c'est ce qu'ils recherchent en premier
et ils l'ont !» Nos interlocuteurs parmi les hauts responsables montent au
créneau pour réaffirmer que «le Premier ministre ne peut se permettre de
prendre la décision de déjeuner dans une ambassade de surcroît de France sauf
s'il y est instruit par les plus hautes autorités du pays. Alors si ce n'est
pas le Président, c'est quelqu'un d'autre en haut lieu du pouvoir…» Ils
estiment que «c'est faire trop d'honneur à un pays qui prend les Algériens de
haut et qui ne se gênerait pas de le montrer.» Ils en veulent pour preuve
«l'attitude hautaine de l'ambassadeur de France à Alger… A-t-on besoin de
montrer que les esprits revanchards restent très vifs ?»
«Les Français ont compris !»
L'on continue de relever que «d'ailleurs, les autorités françaises ont
compris que pour régler entre autres, les 12 dossiers d'investissements qu'ils
défendent, il faut taper à très haut niveau, alors ils montrent qu'ils mettent
un peu la forme pour pousser les responsables algériens à s'impliquer et à
décider. Ils laissent ainsi les choses venir mais de leur côté, ils font en
sorte de ne pas s'engager sur quoi que ce soit.» Nos sources expliquent : «la
nomination de Raffarin n'est pas fortuite, il a été choisi parmi les retraités
pour qu'il ne s'engage sur rien. L'Algérie aurait dû faire de même et nommer un
haut responsable retraité, on en a et même beaucoup !» Pour eux, la désignation
du ministre de l'Industrie en tant que vis-à-vis de l'ex-Premier ministre
français a été une erreur. «Qu'on le veuille ou non, Benmeradi
représente le gouvernement même s'il ne décide de rien. C'est en tout plus
engageant pour l'Algérie qu'un retraité pour la France ! Et c'est ce que
les Français cherchent.» Alors on en déduit que « les Français donnent
l'illusion aux Algériens qu'ils sont impliqués dans le règlement des dossiers
économiques à plus haut niveau, c'est pour ça qu'ils flanquent leurs
délégations d'hommes d'affaires qui viennent en Algérie d'un de leurs
secrétaires d'Etat ou d'un de leurs ministres délégués pour jouer le jeu
algérien. Pourtant, on sait tous que dans tous les pays du monde, les
négociations sur des dossiers économiques et commerciaux se font entre
entreprises.»
Les remarques vont encore plus loin pour soutenir que «la majeure partie
des dossiers défendus par les Français n'est pas dans l'intérêt de l'Algérie.»
Pour nos interlocuteurs, «donner des gisements au groupe Lafarge c'est casser
le marché local qu'alimentent pourtant bien les cimenteries publiques et à
moindre prix. Lafarge lui, produira et vendra plus cher à l'extérieur.» Et
quand on évoque le transfert de technologie que la France fait valoir et que
l'Algérie dit rechercher, il est de suite répondu «la technologie du ciment est
bien maîtrisée chez nous, si les Français étaient véritablement prêts à le
faire, ils délocaliseraient des entreprises en Algérie comme ils l'ont fait en
Chine.» L'on note en outre que «les Français veulent être dans les marchés
publics comme le traitement des déchets, de l'eau, les transports…» L'on
reproche aux responsables algériens d'avoir par exemple, choisi Alsthom «alors
que Siemens l'allemand était pourtant mieux positionné.»
«Sarkozy a déjà les 50 milliards qu'il réclame»
Renault est disent-ils aussi «le projet le plus ridicule sur lequel on ne
comprend pas pourquoi les gens focalisent !» Si l'on avoue que les exigences de
l'une et de l'autre partie «se défendent», on rappelle cependant que «l'Algérie
aurait dû choisir meilleur partenaire par le rachat du suédois Volvo pour 1,8
milliard de dollars seulement. Des 186 milliards destinés pour la réalisation
du plan quinquennal, la somme paraît bien modique.» L'on note que Volvo a été
racheté par le chinois Geely.
Quid des 50 milliards de dollars que Sarkozy réclame ? «Avec les 12
projets, il les a ! Et même plus ! Sans compter ce qui va venir !» Et «Ouyahia ne fait que respecter la doléance en allant
déjeuner à l'ambassade de France.» On va plus loin, «tactiquement, Ouyahia s'est mis sous la coupe du Président. Enfant du
système qu'il se réclame être, il tient absolument à être toujours à
l'intérieur. Il a été jusqu'à accepter d'être ministre de la Justice après avoir été
chef du gouvernement, c'est qu'il a compris la logique du pouvoir. Il aspire à
être chef de l'Etat et c'est légitime. D'autant qu'il est chef de parti
politique dont l'objectif premier est d'accaparer le pouvoir.» Mais d'ici à
accepter d'aller déjeuner à l'ambassade de France ? «En tout cas, vous ne
verrez aucun Premier ministre aller déjeuner à l'ambassade d'Algérie à Paris !»
Les caciques du FLN rebondissent «on est sûr et certain que le Président
ne le lui a pas demandé de le faire. Et si ça était le cas, Ouyahia
le sortira un jour ou l'autre. Il est certain qu'il choisira le moment pour le
faire !»
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Posté Le : 08/06/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ghania Oukazi
Source : www.lequotidien-oran.com