Par : Pr Abdelkrim CHELGHOUM
Président du Club des risques majeurs
“Gérer les risques majeurs, c’est éviter de subir et passer de la réaction à la prévention.”
Le facteur de dégradation le plus redoutable de la forêt algérienne et méditerranéenne est sans conteste le feu qui bénéficie de facteurs aggravants dus essentiellement aux conditions géographiques, physiques et naturelles favorables à son éclosion et à sa propagation. Depuis quelques jours plusieurs régions du pays à l’instar des wilayas de Tizi Ouzou, Boumerdès, Béjaïa, Bouira, Sétif, BBA, Jijel, Skikda, El-Tarf et Khenchela sont la proie de feux incontrôlables sur le terrain avec des pertes en vies humaines considérables (à ce jour environ 75 victimes) et un impact direct sur l’écologie, la faune, la flore, l’économie et la santé morale du citoyen. Il faut dire que l’ampleur du phénomène est plus qu’alarmante avec plusieurs dizaines de départs de feu répertoriés quotidiennement depuis une semaine provoquant la perte de milliers d’hectares de couverts végétal et forestier réduits en cendres et des dégâts matériels se chiffrant à des milliards de dinars.
Depuis les deux dernières décennies, en moyenne vingt wilayas sont dévastées par des incendies de forêt de “modérées à sévères” avec une surface parcourue annuellement variant entre 30.000 et 50.000 hectares selon certaines tendances. Pour la seule période 1992-2003 sur une superficie totale de forêt et couvert végétal de 4.226.801 ha (soit 1,7% de la superficie totale du pays qui est de 238 millions ha), 574.647 ha ont été la proie des feux soit une moyenne de 47.887 ha par an. En plus des conditions météorologiques particulières (canicule, vent) qui sont enregistrées en période estivale, l’absence totale d’une politique de prévention sur le terrain contre ce fléau constitue la principale cause de la propagation disproportionnée et difficilement maîtrisable de ces incendies. Il faut dire également que cette calamité est amplifiée par l’absence de sensibilisation et d’éducation du citoyen au risque en général mais aussi par la main criminelle des “pyromanes” qui constituent les causes collatérales de la récente hausse du nombre des feux de forêt à travers la frange nord du territoire. En Algérie les incendies de forêts sont identifiés comme risque majeur pour la faune et la flore forestière (végétale et animale). Encore une fois le débat sur la prévention des risques majeurs dans ce pays est posé. C’est cet état des lieux qui nous autorise aujourd’hui à affirmer qu’il existe un véritable problème de gestion de ce danger gravissime affectant directement le développement durable de ce pays.
Par-delà l’importance vitale du sujet, l’objectif de la présente contribution est d’exposer un constat physique de l’état du parc forestier avec toutes les faiblesses des mesures préventives répertoriées in situ et qui ont largement contribué à la multiplication des départs de feu à travers le relief chahuté de la wilaya de Tizi Ouzou. Par rapport au premier constat on peut affirmer que les conditions favorables à la propagation de ces feux sont corsées par:
l Les caractéristiques du climat méditerranéen.
l La sécheresse récurrente.
l L’érosion.
l Le surpâturage.
l La chaleur caniculaire favorisée par le processus de désertification des Hauts-Plateaux.
Parmi les facteurs aggravants on peut citer:
l L’inflammabilité des végétaux.
l Les vents (sirocco) en temps sec favorisent grandement l’évapotranspiration aggravée par la présence de fines herbes.
l Le relief accidenté (feux de cimes).
l Les voies de pénétration insuffisantes.
l La faiblesse de la sensibilisation du citoyen.
l Le déboisement engendré par une urbanisation effrénée.
l Le trafic foncier.
l La faiblesse des aménagements spécifiques (tranchées pare-feu).
l Absence chronique de points d’eau.
l Absence de gestion des interfaces forêt-zones urbanisées.
l Absence de lois dissuasives: la loi forestière algérienne date de 1984. Les amendes pour les défricheurs en forêt ne dépassent pas 2.000 DA ?
. Quelle stratégie de prévention du risque “feux de forêt” ?
Elle doit indéniablement reposer sur les volets suivants:
a) Une politique de prévention fiable.
b) Un aménagement rigoureux des forêts et des massifs.
Elle doit être basée sur le binôme: sécurité acceptable-coût économiquement acceptable en s’inspirant des cinq (5) principes fondamentaux suivants à savoir :
- Le principe de précaution et de prudence qui doit permettre la prise de décision de mesures effectives rationnelles et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages gravissimes aux populations, biens matériels et environnement, et ce malgré l’absence de certitudes scientifiques ou techniques.
- Le principe de concomitance commande la prise en charge de l’ensemble des risques encourus en un site donné dans la stratégie de prévention.
- Le principe de l’action préventive et de correction par priorité à la source selon lequel toutes les carences pouvant porter atteinte à la sécurité des biens, des personnes et de l’environnement ou aggraver les effets engendrés par un feu doivent être corrigées ou éliminées.
- Le principe de participation recommande que les populations en général et le citoyen en particulier ont le droit d’accès à toutes les informations relatives aux dangers encourus par les feux de forêt.
- Le principe d’intégration des techniques nouvelles telles que l’utilisation de moyens aériens pour lutter contre les incendies des massifs et feux de cimes.
La notion de prévention doit être basée sur la quantification du risque en termes de probabilité et aller de l’émotionnel vers plus de rationalité.
L’Algérie présente une vulnérabilité importante découlant des deux paramètres: la nature et l’action de l’homme.
On peut remarquer que l’état des lieux établi sur le terrain et exposé ci-dessus est totalement circonscrit par ces deux concepts.
. Responsabilité des pouvoirs publics
Dans ce contexte, il est utile de rappeler certains articles de la loi 04-20 du 25/12/2004 relative à la prévention des risques majeurs et à la gestion des catastrophes dans le cadre du développement durable et qui stipulent la responsabilité des pouvoirs publics en matière d’anticipation et quantification de ces risques à savoir :
Art 5. – L’ensemble des actes relevant de la prévention des risques majeurs constituent des actes d’intérêt public.
Art 9. – Le système de prévention des risques majeurs est initié et conduit par l’État, mis en œuvre par les institutions publiques et les collectivités locales.
Quelques mesures préventives à court terme pour une réduction drastique du danger encouru par les populations rurales :
l Tranchées pare-feu implantées selon une cartographie fine et géoréférenciée des sites exposés.
l Aménagements des massifs forestiers (pistes d’accès, points d’eau).
l Installation de systèmes d’alerte composés de:
l Dispositif de surveillance des massifs.
l Intensification des postes de vigie.
l Mise en place d’un véritable maillage de communication radio à travers l’ensemble du domaine forestier.
l Équipement sophistiqué en drones et HAPS pour la télédétection des premiers départs de feu. Exécution in situ du plan général de prévention (PGP), clé de voûte à la mise en œuvre d’une stratégie de prévention contre le risque “incendies” composé par:
- Le système national de veille.
- Le système national d’alerte.
Avec le strict respect du déroulement des phases suivantes:
l Anticiper la crise: quelle que soit l’importance des mesures préventives, il faut s’adapter pour faire face au risque incendie par la mise en œuvre de moyens humains et matériels appropriés. Les pouvoirs publics ont le devoir, une fois l’évaluation du risque établie, d’organiser les moyens de secours nécessaires et adéquats pour faire face à la crise. Cette organisation nécessite un partage équilibré des compétences entre l’État, les collectivités locales, la société civile et les experts ès qualités.
l Le dispositif Orsec.
l Lorsque l’organisation des secours revêt une ampleur ou une nature particulière, elle fait l’objet, dans chaque wilaya, d’un dispositif organisant la réponse de sécurité civile (Orsec). Le dispositif Orsec recense l’ensemble des moyens publics et privés susceptibles d’être mis en œuvre.
l Centraliser et analyser les données relatives à la catastrophe : manifestations du phénomène, chronologie, gestion de la crise et de l’après-crise.
l Assurer la diffusion des enseignements tirés de l’analyse des phénomènes.
l Les moyens individuels: la réduction des dommages potentiels est possible par la mise en place de dispositions individuelles, c’est-à-dire de moyens mis en œuvre par les particuliers pour se protéger des risques les menaçant. Il peut s’agir du débroussaillage des terrains dans les zones concernées par les incendies de forêt.
l Réduire la vulnérabilité des massifs par la mitigation.
Sur les plans organisationnel et règlementaire à l’échelle communale :
Élaboration d’un plan de feu de forêt par le comité opérationnel de la commune en collaboration avec les services de la Protection civile. Le chef de daïra assiste les services concernés et supervise les opérations d’élaboration des plans de feu relatifs aux communes de sa juridiction.
à l’échelle wilaya:
Établir un plan de protection des forêts de la wilaya sous la responsabilité du wali.
Ce plan doit être diffusé aux structures centrales chargées de la Protection civile et de la direction des forêts.
Au jour d’aujourd’hui, l’Algérie subit “de plein fouet” les feux de forêt à travers les principaux massifs boisés avec les conséquences désastreuses d’une gestion antérieure archaïque; cette manière de faire et de subir sans réagir des pouvoirs publics dépasse tout entendement et relève même d’une gestion qu’on peut qualifier de “gestion bricolée” entraînant un accroissement de la vulnérabilité de la nation avec un impact direct sur les vies humaines, l’économie et la sécurité nationale.
De ce qui ressort de cette appréciation technique, c’est malheureusement encore une fois l’absence totale de règles et de procédures préventives et protectives indispensables dans la mise en œuvre d’une véritable stratégie nationale de gestion des dix risques majeurs qui menacent à tout instant notre pays.
Photo: Pr Abdelkrim CHELGHOUM, Président du Club des risques majeurs © D.R
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Posté Le : 17/08/2021
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par : Pr Abdelkrim CHELGHOUM, Président du Club des risques majeurs
Source : liberte-algerie.com du lundi 16 août 2021