- Le ministre de la Justice a adressé, mercredi, une note aux présidents de cour et aux procureurs généraux leur interdisant d’enclencher des enquêtes préliminaires ou action publique dans des affaires de corruption sans l’accord préalable de ses services. N’est-ce pas là une ingérence dans le travail de la justice?
Oui ! Le ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, vient de commettre un déni de justice avec sa note adressée aux procureurs généraux à travers le territoire national leur interdisant d’enclencher l’action publique dans les affaires de corruption et dilapidation des deniers publics. Cette note est en violation de la Constitution et la loi 06/01 relative à la prévention et la lutte contre la corruption ainsi que le code de procédure pénale. Deux ans après le déclenchement du hirak, on voit bien que rien n’a changé. La justice est impliquée directement aujourd’hui dans la politique. Pis encore, elle est instrumentalisée de manière flagrante par le pouvoir politique pour protéger ou régler des comptes selon les cas. Les masques sont tombés, les discours et effets d’annonce sur la moralisation de la vie politique et la lutte contre la corruption ont été démentis par cette note qui ligote les mains des procureurs et même celles des différents services de la police judiciaire. Ce procédé est grave: avant, le procureur avait les mains liées par les organes sociaux des entreprises, maintenant c’est le ministre lui-même qui l’empêche d’agir. Cela ne peut qu’encourager la corruption. On comprend bien pourquoi le chef de l’Etat garde la présidence du Conseil supérieur de la magistrature et sa mainmise sur la justice.
- Deux ans après l’avènement du hirak, comment voyez-vous l’évolution de ce mouvement ? A votre avis, faut-il aller vers une organisation et un encadrement du hirak avec la désignation de leaders?
La saison 2 du hirak devrait apporter un plus à la première. C’est vrai que les marches pacifiques constituent une pression sur le pouvoir. Il est indispensable cependant d’aller vers une offre politique dans le cadre des objectifs du hirak qui nous mènera vers un changement véritable, durable et apaisé. Je crois que le hirak gagnerait à s’organiser en dehors des marches pacifiques pour des débats structurés pour arriver à un minimum de consensus politique. Un consensus qui mettrait le pays sur un processus de changement profond du système. Il faut rappeler que la crise de confiance est profonde. Pour rétablir cette confiance, il y a lieu de dialoguer et de trouver les meilleurs moyens et mécanismes capables de garantir des élections démocratiques libres et transparentes. On ne peut parler de leadership du hirak, car il est composé de partis politiques, de syndicats, de la société civile et de citoyens et citoyennes non affiliés, ainsi que de personnalités, d’étudiants. Je préfère, pour ma part, parler de porte-voix que de leader.
- Le président de la République a signé le décret portant convocation du corps électoral. Les élections législatives auront lieu le 12 juin prochain; votre parti, l’UCP, participera-t-il à ces joutes?
Je pense que le chef de l’Etat est toujours bloqué dans la logique de fuite en avant au lieu d’écouter la voix de la raison dans la recherche d’une solution politique globale de la crise multidimensionnelle inédite qui secoue le pays. Il convoque le corps électoral! Les élections législatives annoncées pour le 12 juin 2021 vont s’ajouter à celles du 12 décembre 2019 et celle du 1er novembre 2020. Ces élections ne vont rien régler, d’autant plus que les garanties de transparence, la pluralité et la crédibilité ne sont toujours pas réunies au regard des dispositions légales prévues dans l’amendement de la loi électorale et des nouvelles circonscriptions électorales. L’Union pour le changement et le progrès (UCP) se prononcera sur la question dans les jours à venir à la suite de la réunion de son conseil national.
- A travers ce constat, nous déduisons que votre parti se dirige vers la non-participation à ce rendez-vous électoral…
La nouvelle loi électorale, avec toutes les incohérences qu’elle comporte et le maintien de l’ANIE dans sa composante précédente, ainsi que son fonctionnement démontrent que rien ne changera aussi bien dans la forme que dans le fond. Le pouvoir continue la répression contre les citoyens à travers les arrestations, les intimidations, et les condamnations à l’occasion des marches pacifiques avec une instrumentalisation excessive des services de sécurité et de la justice. Les champs médiatique et politique restent fermés à l’opposition et à l’ensemble des citoyens. Je pense que ces conditions présagent d’une tendance vers la non-participation de la majorité des électeurs aux législatives du 12 juin.
- Quelles sont, à votre avis, les priorités de l’heure?
Avant le 2e anniversaire du hirak, l’UCP avait rendu publique une proposition politique pour sortir de l’impasse qui consiste en l’annonce d’une élection présidentielle anticipée pour 2022 par le chef de l’Etat, la nomination d’un chef du gouvernement avec de larges prérogatives qui proposera un gouvernement de compétences nationales, dont un ministre de la Défense et l’organisation d’une conférence nationale de dialogue pour définir les voies, moyens et mécanismes garantissant des élections libres, démocratiques et transparentes. Le retour des manifestations pacifiques était au rendez-vous dans un contexte très difficile sur tous les plans, dont celui socioéconomique aggravé par les conséquences de la crise sanitaire de la Covid-19, les atteintes aux libertés collectives et la fermeture des champs politique et médiatique. Ce qui fait que les priorités de la majorité des Algériennes et Algériens sont ailleurs. Le Ramadhan est à nos portes, les examens du BEM et du baccalauréat, le pouvoir d’achat, la perte de milliers d’emplois, l’absence de perspectives de solutions concrètes de tous ces problèmes feront que ces élections vont être un non-événement.
- Le nouveau code électoral met-il réellement fin à l’intrusion de l’argent sale dans la politique? Quelle lecture faites-vous de ce texte de loi?
La loi organique relative au régime électoral doit être le fruit d’un débat contradictoire pour garantir l’égalité des citoyens en droits et aussi une égalité des chances, ce n’est pas le cas, puisque le dernier amendement a été promulgué par l’ordonnance du 10/03/2021 avec un prochain découpage de nouvelles circonscriptions électorales (10 nouvelles wilayas) qui vont permettre au chef de l’Etat de se doter de sa majorité prévue par l’article 103/1 de la Constitution, en plus de sa mainmise sur l’autorité indépendante des élections, puisqu’il nomme les 20 membres du conseil de cette dernière ainsi que son président qui, de son côté, désigne tous les délégués des wilayas, des APC, des représentations diplomatiques et consulaires. Cette nouvelle loi électorale accorde le financement de la campagne électorale aux candidats jeunes sur les listes indépendantes, ce qui va favoriser le clientélisme en plus de la violation des principes de l’égalité des citoyens devant la loi et l’égalité des chances consacrées par la Constitution.
C’est pourquoi nous considérons que ces élections vont maintenir le système en place. Cette loi a été faite dans la précipitation, ce qui explique en effet des incohérences entre les différentes dispositions, mais aussi sa non-conformité avec les principes fondamentaux de la Constitution, notamment ceux relatifs à l’égalité des citoyens devant la loi et l’égalité des chances. Quand on regarde les dispositions transitoires qui contredisent les autres dispositions de la même loi en maintenant l’actuelle autorité indépendante des élections dans sa composante, nous comprenons qu’il y a une arrière-pensée dans cette histoire. Celle-ci consiste à doter le chef de l’Etat de sa majorité parlementaire. Pour ce qui est de la parité entre femmes et hommes sur les listes électorales, cela relève plus de l’appât que d’une volonté politique, puisque dans le gouvernement et les différents postes de décision, nous ne trouvons pas la traduction réelle de cette parité.
- Vous dites que M. Tebboune veut se doter d’une majorité parlementaire. Qu’est-ce qui vous fait dire cela?
L’article 103 de la Constitution parle de majorité présidentielle, alors que nous savons que M. Tebboune n’a pas de parti politique ni de coalition le soutenant. Il veut se doter d’une majorité parlementaire à travers ces législatives avec ce qu’il qualifie de société civile et de liste indépendante avec l’avènement de plusieurs mouvements qui dans leur majorité sont un recyclage des soutiens de l’ancien président Bouteflika. Nida El Watan est l’illustration de la volonté du chef de l’Etat d’avoir une majorité qui lui permettra de gouverner à l’aise.
- Le Président mène actuellement des consultations avec des partis politiques; est-ce que l’UCP a été conviée à ces rencontres?
Le chef de l’Etat a choisi de consulter des chefs de partis politiques, des personnalités de façon individuelle. L’UCP n’est pas concernée. Depuis mars 2019, nous n’avons cessé d’appeler au dialogue pour résoudre la crise. Il apparaît que la priorité de M. Tebboune est plus concentrée sur les moyens de se doter d’une majorité qui lui permettra de gouverner que de solutionner la crise.
- Le sénateur Benzaïm a déclaré que les membres du CNT, dont vous faisiez partie, touchaient un salaire de député durant l’exercice de leur mandature de 1994 à 1997. Il a ajouté qu’avant de quitter l’hémicycle, ils ont fait voter une loi sur mesure qui leur permet de garder leurs salaires à vie. Un commentaire?
Je refuse de rentrer dans des polémiques stériles qui cherchent à dévier le débat des véritables problématiques du pays. Toutefois, je rappelle que j’ai donné au sénateur Benzaïm RDV devant la justice qui statuera sur la véracité de ses propos. Il est important de souligner que nul ne peut bénéficier de la pension de retraite du FSR, s’il ne remplit pas les conditions légales; la pension de retraite des membres du CNT dont j’ai fait partie avait commencé le 1er juin 1998, qui a évolué en fonction de la valeur du point indiciaire. Mais en tout état de cause, aucun membre du CNT ne touche 300.000 DA ni 400.000 DA. Je tiens à préciser que nos salaires de 1994-1998 n’ont jamais dépassé les 50.000 DA.
Photo: Zoubida Assoul photo: b. souhil
Propos recueillis par Nabila Amir
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Posté Le : 21/03/2021
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Propos recueillis par Nabila Amir
Source : elwatan.com du samedi 20 mars 2021