Algérie

Algérie (Elections présidentielles) - Samira Sahraoui .Comédienne: J’appelle à la désobéissance civile



Algérie (Elections présidentielles) - Samira Sahraoui .Comédienne: J’appelle à la désobéissance civile


El Watan Week-end a rencontré l’une des initiatrices de l’appel lancé aux femmes algériennes pour participer massivement aux manifestations prévues aujourd’hui contre le 5e mandat. Il s’agit de la star de la comédie algérienne, Samira Saharoui, qui a accepté de nous parler sans langue de bois sur ses prises de position politiques et ce qui l’a poussée à revendiquer le départ de Bouteflika et du pouvoir algérien.

- Vous êtes l’une des initiatrices de l’appel aux femmes à participer massivement dans toutes les wilayas du pays à la marche prévue aujourd’hui. Cette date est aussi importante pour vous, car elle coïncide avec le 8 mars, Journée internationale de la femme. Pouvez-vous nous parler des objectifs de votre appel?

C’est une action qui a été décidée spontanément. Nous étions trois amies comédiennes qui avons déjà travaillé ensemble à plusieurs reprises. Nous avons décidé de marquer cette importante journée par la contestation en appelant les femmes algériennes à rejoindre massivement les manifestations contre le 5e mandat, prévues aujourd’hui dans tout le territoire national. Cette date (8 mars), qui devait être celle des luttes des femmes pour leurs droits, a été banalisée par le pouvoir. Elle n’a plus de sens depuis plusieurs années. Nous voulons, à travers notre participation, lui rendre sa valeur, qui est celle du combat pour nos droits et pour une Algérie meilleure.

C’est aussi en réponse à celle qui présume présider l’Union nationale des femmes algériennes, Mme Nouria Hafsi, qui parle d’une grande démonstration, prévue aujourd’hui, en faveur de Bouteflika. Cette femme ne représente qu’elle-même. Elle ne représente aucunement les femmes algériennes qui manifestent depuis le début des contestations contre le 5e mandat et pour le départ du pouvoir. Personnellement, je ne souhaite pas seulement le départ de Bouteflika, mais de tout le système. Les gens qui gouvernent l’Algérie sont des mafieux. Ils ont passé leur temps à voler l’Algérie au lieu de la construire.

- Vous avez manifesté avec les étudiants et pris part aux manifestations organisées les vendredi à Alger. Quel est le déclic qui vous a poussée à rendre publique votre position et à participer aux rassemblements?

Cela fait longtemps que je bouillonne au fond de moi. La situation de l’Algérie n’est plus à démontrer. Bouteflika et son pouvoir en sont les responsables. D’ailleurs, j’étais contre son premier mandat. Et je ne comprends toujours pas comment il a présidé l’Algérie depuis tout ce temps-là! Mais ce qui m’a vraiment poussée à participer aux manifestations et à rendre publique ma position, c’est surtout la situation tragique que vivent les harraga algériens. Les images de nos jeunes morts noyés me hantent toutes les nuits. Je n’arrive pas à les oublier. Ailleurs, on contemple la mer, chez nous, elle est devenue un cimetière. J’ai un frère qui a fait deux tentatives de harga qui ont été avortées.

Il a fini par partir par d’autres moyens. Nous sommes restés plusieurs années sans avoir de ses nouvelles. Je garde encore l’image de ma mère dans sa chambre, le jour de l’Aïd, en train de humer ses vêtements. Elle m’a dit qu’elle a refusé de les laver pour qu’ils gardent son odeur. C’est terrible (les larmes aux yeux)! Il a fini par nous contacter. Nous étions très heureux de savoir qu’il est vivant. Mais beaucoup de familles vivent aujourd’hui avec la peine de leur fils disparu ou mort noyé en mer. C’est horrible comme sentiment. Basta! La situation doit changer. L’Algérie appartient aux jeunes et non au pouvoir voleur et mafieux. Nos jeunes doivent retrouver espoir dans leur pays pour qu’ils ne recourent plus à la harga.

- Cette fois-ci, la situation est différente de celle de 2014. Plusieurs dizaines d’artistes, tous domaines confondus, se sont exprimés contre le 5e mandat. Qu’est-ce qui explique cette position ?

C’est peut-être la peur qui les a empêchés de le faire précédemment, même si certains avaient pris position contre le 4e mandat. Vous devez savoir une chose: il y a artiste et artiste. Le pouvoir est machiavélique. Il a fait de gens qui n’ont rien à voir avec le domaine des stars. Ce sont eux qui cassent tous les mouvements de grève que nous initions. Le pouvoir s’appuie sur eux pour dire que les artistes le soutiennent dans sa politique.

Un artiste est avant tout une personne engagée. Il est proche du peuple. Et pourquoi produit-on des œuvres artistiques si ce n’est pour les présenter au peuple? Nous ne devons pas oublier la responsabilité du ministère de la Culture. Il refuse de libérer le secteur et surtout les financements pour maintenir le contrôle sur la production et sur les artistes. Il nous tient par la main qui fait mal. J’ai appris des anciens artistes avant-gardistes que l’art n’est pas un moyen pour gagner sa vie ou de se faire de l’argent. Il est avant tout un moyen d’expression artistique. Je ne peux pas rester immobile. Je me dois de sortir et de manifester aux côtés de mon peuple.

6 Vous avez évoqué le ministère de la Culture et les stratégies qu’il utilise pour démobiliser les artistes. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point?

Dans le cas où vous prônez des positions contre le pouvoir, contre Bouteflika ou même contre le ministre lui-même, ce dernier se réserve le droit de ne pas vous faire travailler. Cela se traduit par le refus de financer vos projets. Et même dans le cas où il le fait, il vous censure en donnant instruction de ne pas vous programmer. Toutes les salles lui appartiennent. Jouer dans les espaces publics ou dans les villages, ce n’est pas aussi une mince affaire, car vous risquez de vous faire interpeller pour attroupement non autorisé. C’est compliqué avec ce pouvoir.

C’est ainsi qu’il arrive à réduire au silence certains artistes qui savent que s’ils s’opposent à lui, ils ne pourront plus travailler. Certains l’ont fait malgré tout. Ils souffrent depuis longtemps dans le silence et l’anonymat. C’est la dictature! Et puis, il y aussi un manque flagrant de solidarité entre les artistes. Il faut que l’un d’eux vive ce que je décris pour qu’il se rende compte de l’importance de la solidarité des autres. Cette situation doit changer, les mentalités aussi.

- Si le pouvoir est amené à changer, qu’allez-vous proposer pour améliorer la situation de l’artiste et de l’art en Algérie?

Supprimer le ministère de la Culture et le remplacer par un simple département pour gérer le budget et les affaires administratives. Pourquoi devrons-nous le garder? Les pays où la culture est prospère n’ont pas de ministère. Je veux que l’on en finisse avec ce centralisme qui tue la créativité. Une personne ne peut décider seule de la politique culturelle de tout un pays. Mais ce n’est pas cela qui urge pour l’instant. Je souhaite d’abord le départ du pouvoir et de Bouteflika. Les gens qui disent que nous travaillons avec l’argent de l’Etat doivent savoir que ce dernier n’appartient ni au ministre ni à l’Etat. C’est l’argent du contribuable. C’est l’argent du peuple.

- Bouteflika a déposé son dossier par procuration. Il est donc officiellement candidat. Quelle est votre réaction à ce sujet?

Pour moi, il n’y a plus de raison de parler de lui. Il est fini. Mais force de constater que le pouvoir refuse de comprendre. Il fait la sourde oreille aux revendications du peuple qui veut le changement radical du système. Ce dernier a tranché. Il revendique le départ de tous ces dinosaures qui prennent encore notre pays en otage. J’appelle donc à la désobéissance civile, seul moyen pacifique pour répondre à l’entêtement du pouvoir. J’ai beaucoup d’espoir en la jeunesse algérienne. Cette dernière se bat pacifiquement pour récupérer son pays volé. Nous vivons des moments historiques. Et c’est grâce à cette jeunesse que l’Algérie renaîtra.

- Quelle est cette Algérie dans laquelle rêve de vivre Samira Sahraoui?

L’Algérie de la justice sociale, de l’égalité et de l’Etat de droit. C’est essentiel. Je souhaite vivre dans une Algérie qui nous permettra de garder notre dignité. Vivre libres. Et j’espère que les femmes sortiront en force aujourd’hui. Avant de finir, je souhaite passer un message aux militaires: n’y a-t-il pas dans ce corps d’autres personnes que Gaïd Salah, lui qui veut à tout prix maintenir Bouteflika?

Les tenants du pouvoir nous prennent pour des imbéciles. Ils pensent que le peuple est dupe et non instruit. Ils doivent plier bagage. C’est le peuple qui l’a décidé. J’appelle les intellectuels, les scientifiques et toute la société civile à s’impliquer davantage dans cette dynamique qui tracera l’avenir de notre pays.

Ce n’est pas à Ouyahia, à Sellal et à leurs semblables, indignes d’un pays comme le nôtre, de nous gouverner. C’est fini. Nous voulons le changement du pouvoir. Nous voulons pouvoir respirer et vivre en paix et en liberté. Nous voulons construire l’avenir et non pleurer notre présent.**


* Samira Sahraoui est née le 21 juillet 1968 à Annaba. Comédienne, elle est surtout connue pour son rôle de la maman qu’elle joue aux côtés du comédien Salah Aougrout dans la série Djamai family. Elle est l’une des premières artistes à avoir pris publiquement position contre le 5e mandat


Meziane Abane


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