Le Dr Khelil Saïd: un militant au long cours, impliqué déjà dans le mouvement identitaire des années 1980, qui lui a valu d’être incarcéré avec ses camarades. Ce combattant des droits de l’homme et de la démocratie a présidé aux destinées du FFS, dès l’ouverture dite démocratique, au début des années 1990. Il n’a cessé de fréquenter le champ des luttes. C’est un électron libre depuis qu’il a créé le MDC, non agréé, qui a fait long feu! Docteur Khelil continue sa lutte au sein du hirak. Il a bien voulu nous recevoir dans son fief, à Larbaa Nath Irathen, où il dirige son laboratoire de biologie.
- Comment voyez-vous l’évolution de la situation, entre des marcheurs inflexibles dans leur conviction et un pouvoir droit dans ses bottes?
L’ampleur de la revendication populaire est au niveau de la révolution de transformations sociales profondes. A cette échelle, le temps est déterminant. Cette transformation nécessite de la durée et l’enjeu est là.
- Certains ont reproché à cette révolution son caractère horizontal, ne s’étant donc pas dotée de leaders à même de représenter le mouvement et de négocier ainsi avec le pouvoir…
De mon point de vue, ce mouvement est d’une telle massification qu’il est impossible et vain de le structurer. C’est quasiment le peuple qui est dans la rue. De plus, vu les clivages politiques, idéologiques qui traversent la société, on risque de le fragmenter. Le régime en est conscient. Par ailleurs, les têtes qui vont émerger risquent de se faire manipuler. L’histoire peut nous renvoyer au mouvement kabyle de 2001. Vous allez me dire: que faire? Le hirak va rester comme une force, qui va peser de tout son poids. Peu importe le représentant qui va négocier, à condition qu’il reste sous le contrôle vigilant du mouvement pacifique. La preuve? Certains ont bénéficié de la bienveillance du mouvement jusqu’à ce qu’ils trahissent. Benflis et Karim Younès n’ont pas été rejetés au départ. Quand ils ont dévié des objectifs, il ont été voués aux gémonies.
- Ce mouvement va bientôt boucler ses huit mois. Ne pensez-vous pas qu’il va être gagné par la lassitude, d’autant que la répression va crescendo?
Il faut relativiser. On a connu, par le passé, une répression plus féroce. Rappelez-vous du sort réservé aux défenseurs de l’identité berbère et des islamistes dans les années 1990. Aujourd’hui, nous dénonçons ces arrestations arbitraires. Il ne faut pas que la situation passe à un autre stade, car il y a risque de dérapage qui ne profitera à personne, au cas où le régime perd son contrôle. Le mouvement a gagné en maturation et en mobilisation. Des jeunes et des hommes respectables pour leur passé militant sont en prison. C’est le prix à payer. Nous devons être totalement solidaires avec tous les détenus. Leur incarcération va redonner de la force aux millions de manifestants.
- Les juridictions et les procédures sont pointées du doigt. Qu’en pensez-vous?
S’il y a une raison supplémentaire de continuer cette lutte, c’est bien ce système judiciaire qui nous le rappelle chaque jour. Les choses doivent absolument changer.
L’Algérien croira à son Etat et à sa République, le jour où on lui rendra justice d’une manière équitable. C’est le principe même fondamental de l’Etat de droit. Nous sommes, aujourd’hui, dans la désolation de voir cette justice aux ordres! D’ailleurs, une justice «juste» et indépendante est le préalable à toute entame de négociation dans une période de transition, qui va d’un système imposé et fermé vers un système démocratique et un Etat de droit.
- La répression a été utilisée à l’encontre des étudiants. Comment interprétez-vous cette attitude du pouvoir?
Je crois qu’il y a une course aux enjeux et objectifs politiques des uns et des autres, et comme le temps joue à fond contre le régime, il y a de l’affolement à l’approche de l’échéance électorale, d’autant que le régime accuse un retard monstre dans la préparation, dans des conditions catastrophiques. Toute cette répression est, bien entendu, contre-productive. En tout cas, elle n’est pas faite pour encourager le peuple à aller voter.
- Le système se reproduit et les vieilles figures, vénératrices de Bouteflika, réapparaissent et aspirent à accaparer de nouveau les rênes du pouvoir. Qu’en pensez-vous?
Il y a un tel décalage entre l’aspiration des masses populaires qui manifestent et les propositions de recyclage obscènes de vieilles figures contestables. De fait, on ne peut parler, à ce stade, d’élections! Il s’agira, sans doute, de désignation, si toutefois l’élection a lieu, car on est dans l’incertitude la plus totale!
- L’opposition se montre dans ces moments cruciaux bien discrète, n’est-ce pas?
Jusque-là, il y a deux pôles. Un pôle acquis à la présidentielle, certains ont exigé ce rendez-vous et ont dû se désister. D’autres ont adopté, sans conditions, le projet de l’état-major, comme Benflis. L’autre pôle, l’Alternative démocratique, il faut lui reconnaître l’adoption des revendications majeures du mouvement populaire. Une transition démocratique, assurée par des personnalités intègres qui pourraient aller vers une démarche constitutionnelle. Parmi ses objectifs immédiats: nettoyer le champ politique, créer les conditions avant d’aller aux élections, qui se donnent d’être équitables et transparentes… Il faut reconnaître que tant que le champ politique et médiatique est fermé, les voix discordantes sont inaudibles. D’ailleurs, cette ouverture est un préalable. Aujourd’hui, nous sommes obligés de composer avec les bonnes volontés qu’il y a sur le terrain, en attendant que l’élite universitaire, syndicale, économique rejoigne la révolution et la porte à bout de bras! Pour l’heure, ce sont les masses populaires et les étudiants qui portent la charge énorme de cette dynamique révolutionnaire!
- La loi controversée sur les hydrocarbures a suscité des passions et des rejets, où les manifestants ont même scandé: «L’Algérie n’est pas à vendre!» Que vous inspirent ces réactions?
Nous allons continuer à souffrir des décisions du gouvernement sans légitimité. Plus grave, sans légalité, qui veut engager le pays dans de véritables impasses. Tous les analystes, politologues, sociologues s’échinent à répéter, à longueur d’année, que rien ne peut se faire de constructif dans le pays sans une gouvernance portée par la légitimité populaire. Ce régime est dans un engrenage incontrôlable. Il est dans des urgences sociales, économiques, partagé entre la planche à billets et l’endettement, sans aller à la moindre réforme digne de ce nom. Agir ainsi, c’est aller droit dans le mur à une vitesse vertigineuse! Le pays connaît un tel marasme de non-gouvernance depuis des décennies, que demain, même un gouvernement légitime aura tout le mal du monde à redresser la barre! Aussi, mon message est celui-ci: le combat sera long, car on doit reconnaître honnêtement qu’aucune compétence, aussi avisée soit- elle, n’a prévu un tel séisme politique.
Il est donc très difficile d’anticiper sur les aboutissements de cette révolution. Nous n’avons qu’un seul devoir, c’est d’accompagner le mouvement et ne jamais renoncer et rappeler à notre mémoire les jeunes du 1er Novembre 1954 – dont la majeure partie n’est pas revenue – qui ont rejoint la Guerre de Libération sans se poser de questions. Ils avaient leur foi et leur détermination. Cela a duré sept ans et demi. Aujourd’hui, que constatons-nous? Que ce régime a atteint une fin de cycle biologique, historique et politique. On ne peut plus gouverner à la manière des années 1970. Ce régime doit impérativement céder la place à la jeune génération porteuse d’espoir et de compétences.
Hamid Tahri
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Posté Le : 17/10/2019
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Hamid Tahri
Source : elwatan.com du mercredi 16 octobre 2019