Algérie

Algérie - Djamel Belaïd. Ingénieur agronome, spécialisé en vulgarisation des techniques innovantes: «Le système de contractualisation pourrait s’appliquer au secteur des oléagineux»



Algérie - Djamel Belaïd. Ingénieur agronome, spécialisé en vulgarisation des techniques innovantes: «Le système de contractualisation pourrait s’appliquer au secteur des oléagineux»


- Le ministère de l’Agriculture et du Développement rural prévoit de consacrer durant la saison 2020-2021 une superficie de 3.000 ha au titre de la première année d’expérience de la culture du colza. Cette nouvelle filière oléagineuse serait-elle rentable, sachant qu’en Algérie le stress hydrique est une problématique?

Ce projet de relance sur 3.000 hectares est piloté par l’Institut technique des grandes cultures (ITGC) et ne concerne que les régions les plus favorables.

La rentabilité est bien sûr un enjeu capital. Mais, cette année, même les semis de céréales ont été retardés par le stress hydrique lié à des pluies tardives. Aussi, les variétés de colza choisies par les services agricoles sont des variétés de printemps qui, a priori, sont mieux adaptées à nos conditions.

Par ailleurs, le mérite de la direction de l’ITGC a été de réussir d’agréger autour de cette relance un semencier (Basf), des transformateurs et surtout un groupe d’agriculteurs dynamiques. Reste à voir si tous les agriculteurs respecteront scrupuleusement l’itinéraire technique conseillé: apport des doses nécessaires d’engrais et maîtrise des risques de pertes à la récolte.

Pour les zones plus sèches du pays, le carthame est un oléagineux à envisager. Déjà, les agriculteurs australiens le cultivent sur des dizaines de milliers d’hectares et la recherche locale a permis de sélectionner des variétés très productives. Il serait intéressant de se procurer ce type de semences pour réaliser des essais en Algérie.

C’est aux services agricoles d’avoir une vision stratégique et de proposer des espèces adaptées, mais aussi de se pencher sur de nouvelles techniques permettant d’atténuer les effets des stress hydriques, notamment ceux de l’automne, car l’irrigation est coûteuse et ne peut être déployée partout. Elle ne peut être l’unique solution.

Il est aujourd’hui démontré que le labour dessèche le sol et que la technique dite du semis direct permet de mieux valoriser l’humidité du sol et les premières pluies.

- L’importation des huiles alimentaires et tourteaux revient annuellement à 1,3 milliard de dollars. Réduire cette facture est un pari ambitieux, mais est-il réalisable?

Réduire cette facture permettrait de se présenter sur le marché mondial avec plus de marge de négociation. L’expérience de l’Espagne en matière de développement du colza montre que dans ce pays, c’est l’effet de l’octroi d’une prime conséquente versée aux agriculteurs qui a permis un rapide développement des surfaces.

Par ailleurs, c’est aux pouvoirs publics d’exiger des industriels du secteur des oléagineux d’apporter une aide technique, matérielle, voire financière, aux agriculteurs. A eux de mettre des équipes techniques de suivi des agriculteurs. Mais en échange, il s’agit d’obtenir des pouvoirs publics le droit à la collecte des récoltes de colza.

Pourquoi ce qui fonctionne bien dans le secteur laitier ne pourrait pas s’appliquer au secteur des oléagineux et à terme aux céréales? Ce système désigné sous le terme de contractualisation est la norme dans les pays à agriculture développée. Enfin, l’Etat doit instaurer le prélèvement d’une taxe minime sur chaque quintal d’oléagineux produit.

Et les sommes collectées devraient être gérées par les agriculteurs et les transformateurs afin de renforcer la filière en recrutant, par exemple, leurs propres techniciens, car ce n’est pas à l’administration de montrer au fellah comment il doit travailler. Puis, trop de terres agricoles restent encore en jachère. Celles-ci ne sont pas cultivées où servent de pâture aux moutons. Or, il serait possible d’y semer des oléagineux.

Mais l’absence d’un statut du fermage qui pourrait sécuriser l’investissement agricole, le coût de location du matériel agricole et la concurrence de l’élevage du mouton constituent autant d’obstacles freinant la mise en culture de ces terres. A l’heure des images satellitaires et du cadastre par localisation GPS, ne faudrait-il pas instaurer un impôt sur chaque hectare de terre afin d’inciter les propriétaires et ayants droit à les mettre en culture?

Enfin, il faut s’interroger sur la place que pourrait prendre l’huile de colza dans la consommation des ménages. Par ailleurs, dès l’école, une éducation alimentaire est nécessaire, car l’huile est un aliment extrêmement énergétique qui favorise le surpoids trop présent en Algérie.

- Disposer de la matière première locale peut-il suffire à contribuer à l’essor des industries de transformation? Ne faudrait-il pas aussi encourager l’émergence de petites unités de trituration pour aboutir à un produit fini compétitif?

En effet, disposer de l’outil de transformation ne suffit pas. On a vu parfois des conserveries utiliser du triple concentré d’origine chinoise au détriment des tomates produites localement.

Petites unités ou grosses unités de trituration? Les grosses unités permettent des économies d’échelle, mais elles présentent l’inconvénient de capter la valeur ajoutée liée à la transformation. Aussi, c’est aux pouvoirs publics de veiller à une juste répartition de cette valeur ajoutée. Si ce n’est pas le cas, rien n’interdit d’envisager à côté de grosses unités de petits ateliers de trituration comme cela se fait pour les olives.

Mais cela implique de la part des pouvoirs publics de leur accorder les compensations financières liées au soutien des prix à la consommation dont bénéficie grassement le secteur de la transformation industrielle. En l’absence de l’octroi de ces compensations, une trituration paysanne devrait rechercher une production de niche: huile de colza bio ou production de terroir.

- On attribue au colza plusieurs utilisations, dont celles relatives à l’environnement, en tant que plante mellifère, engrais vert ou potentiel antifongique… Qu’en est-il en réalité?

En effet, le colza présente ces différents avantages. Semé début septembre, le colza peut même servir de fourrage à pâturer en automne avant de poursuivre son cycle pour être récolté en graines.

Cette intensification fourragère ne peut être que bénéfique pour réduire la pression sur la steppe. L’agriculteur a intérêt à intercaler du colza entre 2 cultures de blé ou d’orge et ainsi réduire la monoculture des céréales. Cela permet de casser le cycle des parasites associés aux céréales: mauvaises herbes, insectes, champignons, nématodes.

Dans de nombreuses régions du pays, les parcelles de blé sont envahies par le brome ou le ray-grass. Ces mauvaises herbes sont très difficiles à détruire dans une culture de blé, mais ce n’est pas le cas dans le colza. Les variétés de type Clearfield proposées par Basf présentent la particularité de résister à une famille d’herbicides précis. L’utilisation de ces molécules permet donc d’éliminer toute plante, à l’exception du colza.

Le programme colza en Algérie est un bel exemple de progrès agronomique et montre la capacité de notre agriculture à innover. Il traduit également l’émergence d’agriculteurs prêts à bousculer les habitudes des services agricoles. En ce sens, on ne peut qu’espérer l’ouverture d’autres fronts. Cela pour le plus grand bien de l’économie nationale.




Photo: Djamel Belaïd - Photo : D. R.

Naïma Djekhar


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