Toutes les régions steppiques, sans exception, sont affectées par une dégradation assez avancée de leurs parcours. Au fur et à mesure, le sable s’est installé progressivement jusqu’à former de grandes dunes, synonyme d’une étape ultime de dégradation. Ce rempart contre la désertification devient alors de plus en plus menacé.
Il fut un temps, le barrage vert était considéré comme une sage décision. Mais celle-ci est devenue obsolète aujourd’hui», assure Brahim Bouchareb, enseignant chercheur en botanique écologie et environnement, spécialiste en steppe et désertification et ancien directeur général du Jardin d’essais du Hamma.
Selon lui, les éleveurs et les habitants de la steppe n’ont pas besoin d’arbres qu’eux mêmes arrachent. «Ils ont plutôt besoin de plantes fourragères productives et résistantes aux conditions climatiques rudes dans ces régions», explique-t-il. C’est pourquoi, le chercheur recommande plutôt de restaurer et réhabiliter les steppes.
«Replanter la steppe est plus important que planter des forêts au Nord, car nous traitons un phénomène inversement», affirme-t-il. Précisant que le Nord est plutôt pluvieux et la steppe est de plus en plus aride et a besoin de retrouver ses seuils de productivité en biomasse.
Localisée dans une dizaine de wilaya d’Est en Ouest, à savoir Tebessa, Souk Ahras, Batna (Sud), Biskra (Nord), Médéa (Sud), Djelfa, Laghouat, El Bayadh, Saïda, Naâma ou encore M’sila, la steppe en Algérie représente le berceau de l’élevage ovin avec plus de 23 millions de tête réparties sur un territoire d’une surface d’environ 20 millions d’hectares.
En plus de son intérêt économique, elle a également un intérêt écologique. A cet effet, Brahim Bouchareb explique: «Les steppes ont stoppé depuis toujours l’ensablement et joué le rôle de digue végétale protégeant les terres agricoles du Nord et garantissant ainsi une pérennité des systèmes productifs agricoles.» Mais ce rempart contre la désertification des régions telliennes, notamment grâce à sa végétation herbacée, subit une dégradation qui se manifeste à tous les niveaux.
Cela se traduit sur le plan physique par une diminution de la superficie des parcours et l’extension du paysage désertique, le sable s’invitant dans les régions les plus au Nord. Pourtant, la steppe a, depuis toujours, été un sujet de discussions entre différents chercheurs de différentes disciplines.
«On y a mis le Barrage vert puis plusieurs projets de développement de l’élevage, des programmes de restauration, de mise en valeur, de lutte contre la pauvreté et la désertification», assure Brahim Bouchareb.
Selon lui, ces terres steppiques sont, plus que jamais, soumises aux phénomènes de désertification et de perte de productivité en raison de l’accroissement démographique sans précédent que connaît le pays.
Selon le spécialiste, l’introduction de la mécanisation en agriculture dans les années 1970 a généré de grands dommages sur les sols steppiques qui sont naturellement peu épais et donc très vulnérables.
Expliquant que les labours répétitifs sur des sols peu profonds ont généré de multiples conséquences comme la diminution des surfaces des parcours naturelles pour en faire une céréaliculture très peu productive et un affleurement en surface des dalles rocheuses rendant les sols incultes et non propices ni aux cultures ni à une végétation naturelle.
- Triple menace
Ainsi, les anciens parcours à Alfa laissent place à des terres marginales avec peu ou sans couvert végétal, accélérant le phénomène de désertification et rendant encore plus difficile la vie des éleveurs et agro-pasteurs vivant exclusivement de l’activité de l’élevage.
Si la désertification touche aujourd’hui, pour des raisons anthropiques, quelques 46% des terres arides du globe, les changements climatiques actuels n’arrangent pas la situation.
En effet, selon M. Bouchareb, les précipitations sont de plus en plus faibles et les saisons sèches de plus en plus fréquentes et étalées dans le temps, ce qui n’aide pas l’herbe à se reconstituer. Et le peu de territoires encore productifs sont, selon lui, très convoités par les troupeaux et subissent à leur tour une surcharge pastorale accélérant encore leur dégradation.
En effet, si nos steppes ont régressé en surface mais surtout en couverture végétale, en contre partie, le nombre de têtes ovines a quintuplé depuis les années 1970 passant de 4 à 5 millions de têtes à plus de 23 millions aujourd’hui.
Cela génère, selon lui, une pression sur les parcours hautement sollicités par un élevage extensif hautement tributaire des pluviosités fluctuantes et de l’herbe.
En résumé: tout est impliqué et rien n’arrange les choses. La steppe est confrontée à une triple menace : changement climatique, pratiques anthropozoïques (sur-pâturage), et mauvaise gestion.
A noter que les régions les plus touchées par le phénomène de la désertification sont les steppes les plus australes (les plus au Sud) en perte de productivité et mitoyennes avec le Sahara ce qui accélère le degré d’ensablement. Alors que le barrage vert a toujours été présenté comme étant l’unique rempart contre le phénomène de désertification, M. Bouchareb assure qu’il n’en est rien.
A cet effet, il explique: «Nous pouvons tous constater aujourd’hui l’engouement autour des opérations de reboisement des terres dégradées du Nord mais l’urgence aujourd’hui est plutôt de freiner et arrêter le phénomène d’ensablement venant du Sud et avançant progressivement sur les terres arables du Nord.»
Selon lui, le pays fera face à un problème de sécurité agricole si on laisse s’installer une désertification qui frappe aux portes des bassins céréaliers de l’Algérie, à savoir Sétif, Constantine ou encore El Bordj.
Ces régions mitoyennes avec les zones steppiques risquent, selon M. Bouchareb, dans un avenir très proche, d’être affectées par les mêmes phénomènes de dégradation des parcours steppiques. Ce dernier recommande donc de concentrer l’effort dans des opérations de «reverdissement» en faveur des zones désertifiées, et ce, en choisissant les espèces validées par les chercheurs.
«L’idéal est de choisir les espèces et les techniques adaptées dans le but de freiner le sable au Sud de la steppe, et ce, grâce à des techniques de fixation de dunes et de fixation biologique en plantant massivement dans ces régions afin de diminuer ou espérer arrêter la désertification», suggère-t-il.
Toujours selon le chercheur, l’homme peut booster la résilience de la steppe en la plaçant sur une trajectoire productive nouvelle puisant dans ses propres capacités à s’auto restaurer mais aussi s’appuyer sur toutes les techniques de réhabilitation et d’exploitation des ressources encore peu ou pas utilisées chez nous, comme l’aménagement intégral de l’espace, la préservation des terres productives et la création de nouvelles alternatives de production au profit des populations steppiques en quête de stabilité de leurs systèmes de productions.
Sofia Ouahib
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Posté Le : 26/03/2021
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Sofia Ouahib
Source : elwatan.com du jeudi 25 mars 2021