Algérie

Algérie - Des millions de bouteilles de bière larguées dans la nature par an: Marché juteux cherche désespérément une industrie de recyclage!



Algérie - Des millions de bouteilles de bière larguées dans la nature par an: Marché juteux cherche désespérément une industrie de recyclage!




25 à 30 millions de bouteilles de verre vides sont larguées dans la nature annuellement, soit quelque 72.000 tonnes par an de déchets qui viennent agresser les sites de nos villes et villages. Outre les désagréments créés pour la nature et la santé humaine, le vrai gâchis est aussi d’ordre économique. En effet, en l’absence d’une véritable industrie de récupération et de recyclage des déchets en verre, c’est tout un marché juteux qui file ainsi entre les mains des entrepreneurs locaux. Un marché estimé par des experts à près de 9 milliards de dinars par an.

Longue de quelque 1.200 km, la côte algérienne forme une véritable mosaïque naturelle: plages sablonneuses bordées de végétation, criques rocheuses, estuaires, fleuves côtiers, vallées, îlots… Mais le paysage est beaucoup moins harmonieux lorsqu’on prête attention aux grandes quantités d’ordures et de déchets solides qui assaillent nos plages, forêts, oueds, rivières ou encore les abords des routes. Que contiennent ces déchets qui «pourrissent» le cadre de vie du citoyen? La liste est longue: un cocktail «détonant» de mégots, tessons de bouteilles, sachets et bouteilles en plastique ou en verre, canettes vides… laissées sur place ou jetées dans la nature, tout au long de l’année.

Outre les incendies de forêt, les graves atteintes à la santé humaine et à l’environnement dans son ensemble, la saturation des oueds et des cours d’eau, ainsi que des canaux d’évacuation des eaux usées, ces déchets entraînent de lourdes pertes économiques. En termes relatifs, l’exemple des déchets en verre est des plus éloquents. Que l’on en juge: rien que pour la filière de la bière, un travail de recherche exhaustif, fruit d’enquêtes de terrain menées à travers les grandes villes algériennes où sont enregistrés les plus forts taux de consommation, un groupe de scientifiques de l’Association nationale pour la protection de l’environnement et la lutte contre la pollution (ANPEP) avancent des chiffres qui donnent le tournis: au minimum, 25 à 30 millions de bouteilles de verre vides, l’équivalent de 72.000 tonnes/an, sont, chaque jour que Dieu fait, larguées en pleine nature. Les auteurs de ces actes, la plupart des quelque 5 millions amoureux de la bière que compte l’Algérie. En l’absence d’une industrie de récupération/recyclage, l’économie nationale subit, par conséquent, un préjudice financier de plus de 8,64 milliards de dinars/an.

Pour les opérateurs économiques intervenant dans la filière des boissons alcoolisées, ces chiffres sont loin de refléter la réalité. Interrogés, nombre d’entre eux ont livré des indicateurs à même de permettre de cerner les dégâts induits par ce qui s’apparente à un véritable désastre économique, longtemps passé sous silence: l’Algérie compte environ 7 millions de consommateurs — entre réguliers et occasionnels — de bière, avec une consommation moyenne oscillant entre 6 et 10 canettes ou bouteilles/jour, assure un spécialiste du domaine et propriétaire d’un célèbre établissement classé à Annaba.

Dans cette wilaya, pour ne citer que cet exemple, plus de 3.000 caisses de 24 unités/jour sont vendues sur le marché local. Au total, 72.000 bouteilles vides dont 12.00 dans le seul chef-lieu de wilaya, jonchent les abords des routes, sont enfouies sur les plages, déposées aux pieds des immeubles, des écoles, flottent à la surface des eaux des oueds, du littoral, des ports ou abandonnées le long des chemins forestiers… et ce, en toute impunité et dans l’indifférence la plus totale. Face à ce phénomène, car ce n’est pas une spécificité annabie mais elle touche la quasi-totalité des grandes cités algériennes, le citoyen reste impuissant et les pouvoirs publics curieusement placides.

A quand la mise sur pied d’une verrerie de recyclage?

H’maïda Loucif est l’un des industriels qui appellent à une prise de conscience face à ce phénomène ravageur. Outre les atteintes à l’environnement et aux désagréments et les dangers permanents auxquels est exposé le citoyen, le véritable enjeu, selon lui, réside dans les pertes en devises subies par le Trésor public. D’autant, tient à souligner ce limonadier basé à Sidi Kaci (El Tarf), que «1.000 bouteilles de verre dans la nature, c’est l’équivalent de 89 à 100 euros, soit 8 DA/unité, qui sont perdus. Ces bouteilles ne sont pas fabriquées en Algérie. Elles proviennent de France, Belgique, Allemagne, Portugal, Turquie, Egypte et de Tunisie.

Cette situation problématique nous interpelle, même si, nous, en tant que limonadiers, utilisons des bouteilles retournables mais identiques à celles destinées à la bière avec ou sans alcool». Et d’ajouter: «Des solutions durables telles que la mise sur pied de verrerie pour le recyclage ou la promotion, dans le cadre des dispositifs d’emploi existants (CNAC, Ansej, Anjem), de micro-entreprises de récupération/exportation, peuvent être envisagées. Les débouchés sur le marché international existent. Ainsi, ce problème est susceptible d’être en grande partie réglé au triple plan économique, environnementale et sanitaire.»

Pour leur part, les propriétaires des établissements classés et non classés, contactés, ont tous pointé du doigt les dépositaires ainsi que les services de contrôle: «En commercialisant de la bière fraîche, les dépositaires encouragent directement leurs clients à se livrer à ces pratiques. Le client préfère consommer sa bière fraîche en cours de route, c’est-à-dire dans sa voiture. Et pour se débarrasser de ces encombrantes bouteilles vides, il n’hésite pas à les jeter par la fenêtre. pour celui moins privilégié (sans voiture) il consommera sa biére dans la nature, à l’abri des regards, et bien sûr y laissera ses bouteilles. Pourtant, l’utilisation d’appareils frigorifiques est, depuis une quinzaine d’années, strictement interdite par la loi», s’indignent-ils, ajoutant au passage: «Les dépositaires en font fi et les services de contrôle du commerce ferment les yeux. Pourquoi ne pas prendre le taureau par les cornes et interdire aux dépositaires la vente de bière fraîche. Ainsi, le problème pourrait être définitivement réglé. De plus, pour mieux vendre leur produit, les brasseurs leur offrent des réfrigérateurs.»

Enivrante problématique!

Selon nos interlocuteurs, 90% de la production nationale de bière, soit 400.000 à 500.000 hectolitres, sont destinés aux dépositaires, les établissements classés et non classés se partageant le reste (10%). Bon nombre de dépositaires interpellés (ils sont une vingtaine à Annaba, plus d’un millier sur le territoire national) estiment que «le réquisitoire dressé à notre encontre par les établissements peut s’expliquer. Pour eux, l’enjeu est de taille et concerne en premier lieu leur chiffre d’affaires».

Et nos interlocuteurs de détailler: «Ils achètent la bouteille de bière au prix de gros, soit 40 DA, pour la revendre à leurs clients à 400 ou 500 DA ?. La marge bénéficiaire engrangée est ainsi loin d’être négligeable. La protection de l’environnement, ils n’en ont cure. Quant à l’incivisme de nos clients, nous n’y sommes pour rien. Nous sommes des commerçants. Faire la morale n’est pas de notre ressort.»

Ces clients, passionnés des griseries en plein air, reconnaissent-ils les désagréments induits par leurs actes irresponsables? Certains d’entre eux, rencontrés au Cap de garde — phare de Annaba —, là où le visiteur est agressé par la vue du nombre impressionnant de cadavres de bouteilles, se défendent. «Ma bière, je préfère l’acheter chez les dépositaires et la savourer en plein air. En cause, qu’ils soient classés ou non classés, les établissements appliquent des prix qui donnent le vertige: une seule bouteille à 500 DA, alors qu’à ce prix, je peux en avoir 5 à 6 auprès du dépositaire», nous dira F.

Maâlem, un jeune étudiant, étendu, pour se soustraire aux regards indiscrets, à même l’imposante falaise donnant sur la mer dont la couleur azur est nuancée par le vert que renvoient ces bouteilles. Kamel Z., architecte installé à son compte, abondera dans le même sens, ajoutant: «Traqués sans cesse par les services de sécurité, nous avons dû nous rabattre sur la consommation de notre bière en voiture et à des heures tardives. On évite d’y toucher devant nos parents ou nos enfants, car consommer de l’alcool est assimilé à l’abus, aboutissant à l’ivresse et à ses excès. Et si on se débarrasse des bouteilles en les jetant par-dessus bord, à même le sol, c’est parce que nos n’avons pas d’autre choix. La pratique de la consigne n’existant plus de nos jours et les poubelles mises en place par la commune étant trop exiguës.»

Du côté des fabricants, les plus concernés par cette enivrante problématique, c’est motus et bouche cousue. «Je suis désolé, je ne peux faire aucune déclaration. La nature de notre activité peut lui conférer un caractère sensible et faire ainsi obstacle à la communication de toute information», tranche Rachid Chetioui, premier responsable d’Albav (El Tarf), filiale du puissant Groupe Castel Algérie, numéro un sur le marché de la bière dans notre pays. On apprendra, tout de même, que la production réalisée par les deux unités (Annaba et Oran) se situerait respectivement à 1.600 et 1.000 hl/j de bière (canettes et bouteilles), soit 60 à 65 % de parts de marché.

Et si le brasseur a opté pour la bouteille retournable au niveau de son usine d’Oran, à Annaba, on lui reproche, en revanche, d’être à l’origine de la défiguration, surtout l’été où la consommation atteint son pic, des sites touristiques les plus fréquentés par les familles et prisés par les touristes nationaux et étrangers.

A ce reproche, une explication, d’après N. G., patron d’une micro-entreprise de récupération de déchets solides: «Albav a toujours décliné toutes les offres de reprise de bouteilles, pourtant issues de sa propre usine, que nombre de mes semblables et moi lui avons maintes fois proposées». Et d’expliquer: «Ce niet, les responsables de l’usine l’ont toujours justifié par le coût élevé et la technologie complexe que requiert le procédé de lavage et de stérilisation des bouteilles usagées. Pour eux, le prix de revient d’une bouteille récupérée et réutilisée dépasse de très loin celui d’une bouteille importée.»

Naima Benouaret



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