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Algérie - DÉBAT: Sciences po peine à produire une élite



Algérie - DÉBAT: Sciences po peine à produire une élite


L’effort intellectuel, notamment en sciences humaines – déconsidérés, parce que gênantes, par un pouvoir politique fruste – n’a pas tardé à céder le pas aux idéologies de toutes sortes”

Dans cette contribution, je me propose de parler de l’université algérienne. D’abord de l’enseignement de la science politique, ma spécialité (enfin !), puis de la situation de l’université d’une manière générale, notamment les maux qui la rongent depuis l’indépendance du pays. Je conclurai avec quelques propositions, aussi franches que concrètes, que je considère comme inéluctables pour réussir une éventuelle réforme de l’université qui soit digne de ce nom.

J’ai commencé à enseigner la science politique il y a quarante ans. C’est-à-dire pendant l’époque du parti unique, puis celle du multipartisme toujours inachevé, puis la décennie du terrorisme jusqu’à l’époque Bouteflika. Pour dire combien ont été nombreuses les époques “géologiques” que j’ai traversées en tant qu’enseignant universitaire!

Il fut un temps où étudier ou enseigner à l’Institut des études politiques constituait un motif de fierté et pour l’étudiant et pour l’enseignant, à l’instar de Sciences Po de Paris à cette époque. Sauf que l’IEP algérien, au même titre que le reste des établissements de l’enseignement supérieur du pays, n’a pas pu s’éviter la direction que prit l’université algérienne, en général, depuis l’indépendance.

En effet, l’effort intellectuel, notamment en sciences humaines – déconsidérés, parce que gênantes, par un pouvoir politique fruste – n’a pas tardé à céder le pas aux idéologies de toutes sortes: un socialisme prétendument spécifique, un communisme primaire visant, en premier lieu, le pouvoir: soviétisme, maoïsme, titisme! Puis vint l’époque d’un islamisme pesant dont nous n’avons pas encore réussi à sortir.

Bien sûr que l’arabisme a été toujours de la partie si bien que beaucoup de travaux de recherche continuent, inutilement, à traiter de problématiques dans le cadre du monde arabe dans son ensemble. Évidemment, qui dit idéologie dit parcœurisme et triche de la part de l’étudiant, relâchement, voire plus, de la part de l’enseignant et recours aux passe-droits de la part de l’administration.

En matière d’acquisition de savoir, on assiste aujourd’hui à un recours “pervers” aux moyens que procurent, désormais, les TIC si bien que le copier-coller est en passe de devenir la règle chez beaucoup de nos étudiants. L’acquisition de savoir elle-même se trouve folklorisée, comme l’attestent, par exemple, les conditions dans lesquelles les mémoires et thèses sont réalisés et l’ambiance – provinciale et aussi festive que dans un mariage – dans lesquelles les soutenances se déroulent, avec presque toujours la mention de musharrif djiddan (très honorable) !

C’est pour ce genre de raisons que la science politique peine à produire une élite authentique pour le pays pour animer les rouages de l’État aussi bien que les partis, associations et débats publics. Évidemment, ceci ne veut nullement légitimer une monopolisation – créatrice de “castes” – de la vie politique au nom d’une prétendue spécialisation, à l’instar de l’ENA, laquelle ne sait que reproduire les formes bureaucratiques. Mais la présence d’une élite ayant des capacités à analyser les faits politiques est autant utile que nécessaire.

Pour rappel, il y a deux problématiques centrales de la science politique: la nature de la gouvernance et les actions de l’État que sont les politiques publiques. Les gens formés à la science politique sont, donc, censés avoir des capacités en matière d’analyse de l’exercice du pouvoir politique et d’évaluation des politiques publiques. Le but de telles capacités est de toujours orienter vers plus de légitimité et vers une meilleure performance du pouvoir politique.

Bien entendu, ce qui vient d’être dit de la science politique s’applique, plus ou moins, aux autres spécialités de l’enseignement supérieur. Force est d’admettre que l’université algérienne a reçu un coup très dur dès l’indépendance déjà lorsque les militaires se sont emparés du pouvoir par la force au détriment du GPRA. D’extraction rurale et manquant de culture politique et de compétences managériales, ces dirigeants voulaient tout régenter selon leurs soucis du moment: le pouvoir total.

Et en contrepartie d’une soumission populaire totale, ces dirigeants donnaient l’impression – sans avoir les moyens de leur politique – de vouloir compenser les privations vécues par les Algériens durant l’ère coloniale où il y avait à peu près 600 étudiants autochtones sur les 6.000 que comptait l’université coloniale. C’est dire, par là-même, à quel point le rapport entre étudiants des deux communautés était inversement proportionnel!

. Contexte socio-historique peu propice

Nonobstant, leur niveau d’instruction modeste, ces dirigeants pensaient pouvoir compenser leurs insuffisances par une utopie de l’homme nouveau. Ils étaient si incapables d’appréhender l’éthique même de l’enseignement supérieur qu’ils n’hésitaient pas à ouvrir la voie à des dérogations et des passe-droits de toutes sortes!

Il faut aussi admettre que l’université algérienne a évolué dans un contexte sociohistorique peu propice à son épanouissement. En outre, les moyens financiers étaient si limités et l’encadrement tellement hétéroclite qu’il laissait beaucoup à désirer. L’arrivée, en grand nombre, d’étudiants chaque année faisait qu’il fallait toujours parer au plus pressé, souvent au détriment des normes infrastructurelles et pédagogiques, voire éthiques.

Au fil du temps, le flux massif d’étudiants, chaque année, à engendré beaucoup de dysfonctionnements à tel point que le souci majeur de l’enseignement supérieur est devenu celui des œuvres universitaires lesquels ont pris le pas sur tout le reste. De réformes en réformes, l’université algérienne s’enlise à chaque fois un peu plus. Certes, au début, elle était très bien considérée à l’étranger.

Même si cette considération était moins due à la sollicitude de nos dirigeants qu’au fait que l’université algérienne, ait pu continuer sur la lancée de l’université coloniale, mais seulement pour un certain temps. D’aucuns persistent à dire que le fléau de l’université algérienne fut l’arabisation, oubliant la situation, plus ou moins problématique, des autres enseignements qui ont toujours été dispensés en langue française.


. En fait, l’arabisation fut un simple corollaire d’un fait plus global, celui de l’algérianisation laquelle s’éloignait de plus en plus des normes universelles à cause de la culture ambiante mais aussi par manque d’encadrement adéquat. Maintenant que notre université en est arrivée là, quelles pourraient être les réformes à envisager?

D’abord, il faut essayer de s’entendre sur les moyens idoines pour gérer les flux annuels d’étudiants. Le nombre de ce flux est devenu si ingérable qu’il y a eu un glissement des préoccupations de l’enseignement supérieur si bien que ce qui compte le plus, aujourd’hui, c’est moins l’acquisition du savoir que la gestion des cohortes à tel point que l’on passe plus de temps pour les examens que pour les études.

Par ailleurs, il me semble que toute volonté sincère de réforme doit commencer par le secteur des œuvres universitaires qui grève le budget de l’enseignement supérieur et qui constitue, en même temps, une source de corruption par excellence.

Étant entendu que l’enseignement supérieur doive demeurer gratuit, la privatisation de ces œuvres est devenue indispensable pour permettre une rationalisation du budget alloué à cet effet. Force est d’admettre qu’une certaine notion de justice sociale basée sur un égalitarisme mal assumé à fini par causer trop de dégâts en termes de deniers publics et empêché la réalisation des résultats escomptés.

L’octroi des bourses devrait ne concerner que ceux qui sont dans le besoin tout en augmentant le montant afin qu’il soit en adéquation avec des œuvres universitaires privatisées. Privatisées, ces œuvres devraient, néanmoins, demeurer sous le contrôle strict et permanent du département ministériel habilité en y associant des représentants d’étudiants élus par leurs pairs. L’objectif étant d’assurer des services de restauration et d’hébergement digne d’une vie estudiantine moderne.

Quant au transport, le ministère ne devrait pas s’en charger d’autant qu’il constitue la voie royale pour le pillage des deniers publics. Une deuxième réforme devrait concerner les unions des étudiants pour mettre fin à l’intrusion de ces organisations qui, sous le couvert de la défense des intérêts des étudiants, sont devenues de véritables lobbies marchandant tout un tas d’intérêts, pédagogiques aussi bien que matériels.

. Bidonvilisation

En second, il y aura lieu de prendre en charge l’aspect infrastructurel: beaucoup d’infrastructures sont, actuellement, dans un état de délabrement avancé. Il y a même une bidonvilisation de certaines infrastructures, notamment celles réalisées en préfabriqué. Des portes et des fenêtres qui ne ferment pas, des plafonds qui dégoulinent par temps pluvieux, des sanitaires dignes de bestiaux, etc.

En troisième position, viendrait une amélioration significative des conditions de travail et d’études, pour l’enseignant et l’étudiant. La situation de l’apprentissage s’améliore depuis quelque temps grâce aux TIC, mais l’étudiant et le professeur ont rarement à leur disposition des espaces (bibliothèques et salles de travail calmes).

Actuellement, peu d’enseignants ont des bureaux; ce qui les oblige à recevoir leurs étudiants dans la salle des prof., dans la cour où même dans un café. Il y a aussi la question des salaires lequel devraient se situer autour de la moyenne de ce qui se fait ailleurs. Pour le volet pédagogique, je me limiterai à insister sur l’aspect déontologique qui laisse beaucoup à désirer. Il est temps de mettre fin à tout un tas de dysfonctionnements, certes causés par les différentes catégories de la population universitaire, mais dont l’administration reste le premier responsable.

Il y a un autre problème, c’est celui de la création d’établissements universitaires partout; parfois même pour des raisons régionalistes. Mais ce qui cause problème c’est surtout le localisme induit, source de clanisme et d’oligarchies locales. Notre université, au lieu de contribuer à la cohésion nationale, s’est trouvée fermée, du fait du zonage, à la diversification de sa population estudiantine. Aujourd’hui, quasiment les mêmes départements sont recopiés partout, avec peu d’égard et pour la vocation de l’étudiant et pour la disponibilité de l’encadrement nécessaire!

Enfin, il faut relever cette absurdité incroyable, voire ce crime, qui oblige le nouvel étudiant d’étudier en français après avoir fait tout son cursus pré-universitaire en arabe! Un étudiant qui voudrait faire médecine ou informatique, par exemple, avec la note requise au baccalauréat, se trouve obligé d’étudier en français! C’est-à-dire bien obligé à refaire ses cours de français en même temps que l’apprentissage de la spécialité.

Pour conclure, il est temps de permettre à des universités étrangères de s’installer dans notre pays. Car c’est pratiquement le seul moyen de tirer notre université nationale vers le haut. D’aucuns diront qu’une telle proposition aboutira à la création d’un enseignement supérieur à deux vitesses, voire plus.

Cependant, tout en reconnaissant que la différence entre les universités est un fait courant partout, il faudra réfléchir aux voies et moyens pour en limiter l’ampleur. Mais pour opérer les réformes qui s’imposent, il nous faudra une élite gouvernante courageuse. Et pour que cette élite soit courageuse il faut qu’elle soit légitime au double sens, politique et managérial. Ce qui, malheureusement est loin d’être le cas aujourd’hui!



Par Mohamed HENNAD
Politologue et ancien enseignant
des sciences politiques


Déclassée socialement et mal classée sur l’échiquier international, l’université algérienne est plongée dans un profond malaise jusqu’à perdre sa vocation. Des universitaires, chacun dans sa discipline, décryptent l’état des lieux et ouvrent des pistes pouvant redonner à l’université algérienne sa place de choix.


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