Algérie

Algérie-crise : Abderrahmane Hadj Nacer livre une sombre sentence d'espoir



Les gouverneurs de Banques centrales parlent peu. Même longtemps après avoir quitté leur si lourde fonction. Abderrahmane Hadj Nacer, l'un des plus jeunes au poste dans le monde – c'était le temps de la réforme – a écrit. Comme dans une prise de parole publique.

Il en ressort un essai foisonnant. Parfois désarçonnant. Mais qui, au bout, fait système. En ébauchant une réponse à la question: «comment pourrions-nous devenir des hommes libres plutôt que d'éternels rebelles?». La Martingale algérienne, réflexions sur une crise. Aux Editions Barzakh.

Abderrahmane Hadj Nacer s'est mis en danger. Il a mis sa personne, son itinéraire familial dans son exposé. Tonalité parfois stridente. C'est la surprise de la lecture. Sur un horizon Braudélien. Nous avons été bons dans le passé. Nous le saurons à nouveau un jour. A condition… de connecter les institutions au temps long. Cela commence par un catéchisme en quatre axiomes. Pas de développement durable sans conscience de soi, pas de gouvernance efficace sans élites, pas d'économie performante sans démocratie, pas de liberté sans Etat fort. L'essai de Hadj Nacer est bien inspiré dans la reconstruction de soi. Point de départ de tout. A la clé, la stabilité historique de la vallée du M'zab d'où est originaire la famille de l'auteur né à la Casbah. Mais pas seulement. La beauté d'Alger maintient le fil. Puis, une esthétique du Maghreb central égrène une histoire si valorisante. Ou, par exemple, l'irruption de Le Corbusier – «un architecte suisse totalitaire» - sonne en creux «l'inconscience de soi». Une inconscience bien algérienne qui permet de comprendre que les Tunisiens, eux, «n'ont aucune difficulté à s'approprier et à revendiquer Saint Augustin». Et de conclure sur cette matrice anthropologique sans laquelle rien n'est possible : «C'est cette conscience de Soi qui est absente du débat politique en Algérie. Est-ce voulu de la part des dirigeants, s'agit-il de manipulations sur la mémoire ou d'une incapacité à penser le temps ?». Les «élites» est un chapitre douloureux. Et pour le moins grinçant pour sa partie coloniale. Ferhat Abbas et De Gaulle y animent une dialectique improbable de l'impasse de l'élite politique algérienne – «le révolutionnaire n'est pas forcément le plus radical». L'inconsistance des élites économiques est narrée de manière plus convaincante sous la plume de l'ancien gouverneur. «Pour l'heure, il n'existe pas de véritables élites économiques en Algérie et encore moins d'une classe d'entrepreneurs, même si quelques réussites individuelles permettent de faire croire le contraire». Les raisons ? Pas de conscience de classe (entendre bourgeoise). Absence de base sociale. Absence d'alliés à l'extérieur : «il est frappant de voir à quel point les élites algériennes manquent de relais et de soutiens à l'étranger. Elles n'ont pratiquement ni réseaux ni carnets d'adresses».

Corruption ou absence de démocratie ?

«Nombre d'Algériens sont persuadés que c'est la corruption et non l'absence de démocratie qui empêche le décollage économique de l'Algérie». Abderrahmane Hadj Nacer prend son parti de la question. La corruption existe partout dans le monde. Y compris dans les pays qui décollent. Dans de nombreux cas, elle n'empêche ni la croissance, ni la création d'emplois. «Elle est détestable et doit être combattue». Le véritable enjeu est ailleurs. Dans le découplage de l'entreprise du pouvoir politique. Lorsqu'il n'est pas assuré, à la corruption généralisée s'ajoute l'inefficacité de l'économie. L'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie avoue qu'après le trou d'air de 1985-86, l'idée de couper les liaisons qu'il y avait entre ce gisement de productivité qu'était l'entreprise et la gestion du politique était au cÅ“ur du projet «technocratique pur» de l'autonomie des entreprises. Le projet conduisait à la démocratie politique. A l'autonomie de pensée des individus. Le plaidoyer pour la reprise du fil démocratique rompu – rupture commentée à plusieurs endroits de l'essai – ne va pas plus loin. Pas pour l'heure. Car il s'agit déjà de traiter de l'Etat fort. Le pendant de la liberté du citoyen. Et de l'entreprenant. Hadj Nacer tente une explication sur les origines de l'autoritarisme sans autorité de l'Etat algérien. Et sur l'absence de réflexions sur sa mission. Le secteur bancaire «illustre» le trou noir. Avec en prime une comparaison avec le Maroc et la Tunisie, qui renvoient finalement tout le monde dos à dos. Ou presque. «Aujourd'hui, le Maroc dispose de banques très modernes dont la vocation est, d'une part de drainer le maximum d'encaisses dans le pays et au sein de l'émigration et d'autre part de ne pas servir l'émergence d'une classe entrepreneuriale extérieure au Makhzen». Le point de vue sur le dynamisme du capital-risque en Tunisie, qui a fait émerger une performance d'entreprise la plus remarquable au Maghreb, est pondéré en fin d'essai par un post-scriptum chargé d'interrogations. Bouazizi a, entretemps, enfumé toutes les colonnes statistiques.

Les arbitrages algériens délocalisés à l'étranger !

Les idées se bousculent dans le livre signé Abderrahmane Hadj Nacer. Parfois sans trouver d'espace pour éviter le péremptoire. Peut-être y a-t-il d'ailleurs plus d'un livre dans ce texte encyclopédique où la sociologie des mÅ“urs de nouveaux riches cohabite avec une évocation de la musique de Sari ou un plaidoyer – en annexe- pour un fonds souverain algérien ? L'analyse de la disparition de la capacité à arbitrer dans le pays est pugnace. «La nature a horreur du vide. La disparition depuis 1992 de toute tentative d'élaboration d'un processus d'arbitrage, a conduit à la délocalisation de la décision stratégique à l'extérieur du pays». Et Hadj Nacer de préciser «pendant que Carlyle décide qu'Orascom sera le détenteur de la licence de téléphonie mobile, l'arbitrage se résume au partage du reliquat de la rente». Trop dit ou pas assez. Il faudra lire pour savoir. Car comme dans tout essai d'anciens hauts responsable, il existe des révélations dans les «réflexions sur la crise» de Hadj Nacer. Dont une spectaculaire. Mouloud Hamrouche voulait engager le rééchelonnement de la dette extérieure en mars 1991 «pour ne pas laisser ce fardeau à son successeur» qu'il connaissait déjà car il se savait bientôt partant. Ce serait le gouverneur de la Banque d'Algérie d'alors qui l'en aurait dissuadé. «Soit, prends tes responsabilités de toute façon c'est toi qui devras gérer cela avec les autres, je ne peux pas te forcer la main» aurait conclu le chef du gouvernement des réformes au bout de plusieurs heures de discussion. Hadj Nacer, qui distribue quelques volées de bois vert dans son essai, commente cet épisode avec Hamrouche ainsi: «honnêtement, il est très rare de trouver face à soi quelqu'un qui a un comportement d'homme d'Etat…». Le chapitre visait à rappeler la réalité de «la distance critique» entre les deux hommes. Un peu raté.




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