Algérie

Algérie - Contribution par le Docteur Ahmed Benbitour: Recherche de solutions au conflit dans la vallée du M’zab



Algérie - Contribution  par le Docteur Ahmed Benbitour: Recherche de solutions au conflit dans la vallée du M’zab




Par le docteur Ahmed Benbitour

Avertissement

J’avais reçu, durant l’été 2014, un groupe de citoyens de la vallée du M’zab, qui ont sollicité ma contribution pour un projet de sortie de crise dans cette région.

Voici le texte du travail que j’ai réalisé en août 2014, que je propose aujourd’hui, sans modification, à tous ceux qui ont la volonté et l’engagement réels pour collaborer à la mise en œuvre d’une solution juste et durable :

En cette époque d’interventions étrangères belliqueuses, sous le fallacieux prétexte de la protection des minorités, le drame vécu depuis plus d’une année par la région du M’zab présage de faits plus graves pouvant mettre en péril la sécurité nationale et la souveraineté de l’Algérie sur l’ensemble de son territoire si rien n’est entrepris pour lui apporter les solutions radicales et courageuses qu’il faut.

Si des actions ont été à chaque fois menées par l’Etat pour ramener l’ordre et apaiser les esprits, force est de constater que ces interventions ne l’ont été qu’a posteriori pour éteindre les foyers d’incendie, sans par la suite analyser les faits, essayer de remonter aux origines du mal afin d’en extirper définitivement les racines et prévenir ainsi sa répétition.

La région du M’zab est une zone charnière stratégique entre le Grand Sud et le nord du pays, elle est de surcroît habitée par des populations dont les spécificités cultuelles excitent les forces du mal qui, à notre époque, ne se gênent plus ouvertement pour s’y immiscer et attiser le feu de la fitna afin de disloquer, au nom de croyances rétrogrades et obscures, l’harmonie qui a toujours régné entre les habitants de cette wilaya même aux temps les plus sombres de la nuit coloniale.

C’est dans ce sens qu’une action doit être entreprise par l’Etat ainsi que par les élites de la société civile, dont le premier travail commence par la sélection des parties de la société civile et des personnalités détenant une expertise pratique pour convenir du programme de solutions et négocier avec l’Etat la mise en place du cadre institutionnel crédible, tel que développé dans cette contribution.

1. Définition factuelle du problème

Il s’agit de participer à la recherche de solutions au conflit entre des groupes d’individus dans la vallée du M’zab ; lequel conflit a dégénéré en violence occasionnant des dommages aux personnes (morts et blessés) et aux biens (destruction de maisons et de locaux commerciaux). De même, la mise en œuvre des solutions pour régler et prévenir définitivement ce type de conflit à l’avenir.

2. Qui sont les partenaires dans le règlement du problème ainsi défini ?

La souveraineté de l’Etat implique sa responsabilité. C’est donc à l’Etat qu’incombe, en premier lieu, le devoir et la responsabilité de protéger les personnes et les biens, sur chaque partie du territoire national.

Mais, lorsque les citoyens souffrent douloureusement des conséquences des troubles sociaux et que l’Etat est défaillant, ou parce qu’il n’est pas disposé, ou bien qu’il n’est pas capable de mettre un terme à ces souffrances ou à les éviter, la responsabilité de la société civile et des personnalités doit, au nom de l’intérêt national, prendre le pas sur cette défaillance et le laissez-faire de l’Etat.

Il s’agit alors pour la société civile et les personnalités de s’engager et de prendre sur eux la responsabilité d’une action en faveur des personnes et des biens.


3. Cette responsabilité couvre les dimensions suivantes :

• la responsabilité de faire d’abord cesser les actes de violence,

• la responsabilité de panser les blessures,

• la responsabilité de protéger les personnes et les biens,

• la responsabilité de prévenir,

• la responsabilité de reconstruire,

• la responsabilité de développer.

Il s’agit donc de faire cesser, panser, protéger, prévenir, reconstruire et développer, tel est le contenu des programmes d’actions à mettre en œuvre.

La souveraineté de l’Etat implique également, pour ses dirigeants, de garantir le respect de la dignité et des droits fondamentaux de toute personne vivant sur son territoire.

L’inaction ou l’action stérile de ceux qui en ont la responsabilité devient politiquement coûteuse pour l’Etat.

La société civile et les personnalités se trouvent alors face à un dilemme : assister, presqu’en complice, aux souffrances des populations, ou, intervenir sans garantie de succès, afin de mettre un terme à ces drames et éliminer ces souffrances.

D’où l’urgente et impérieuse nécessité de définir un cadre institutionnel crédible à toute action future et une expertise pratique destinée à la compréhension du phénomène des violences, qui endeuillent la vallée du M’zab quotidiennement, ainsi que la mise en œuvre des solutions.

S’il revient à la société civile et aux personnalités de fournir l’expertise pratique, le cadre institutionnel doit recevoir l’accord de l’Etat.

3.1. Faire d’abord cesser les actes de violence

Il s’agit de parvenir rapidement, sur le terrain de la confrontation, à une cessation immédiate et sans condition des hostilités.

Ce but ne pourra être atteint que grâce à l’existence du cadre institutionnel préalablement défini et adopté par l’Etat, de même, la crédibilité des personnalités qui devront engager le dialogue avec toutes les parties concernées par les événements. Egalement, l’assurance qu’il sera nécessaire de donner aux citoyens quant à la matérialisation effective et efficace des décisions qui seront prises à l’issue d’un dialogue sérieux, profond et sans complaisance envers aucune des parties en conflit.

3.2. Panser les blessures

Il s’agit de restaurer une cohésion, une coexistence et une harmonie entre des populations de la vallée du M’zab aujourd’hui, irréductiblement opposées.

Des actions multiples doivent être engagées : réconforter une famille endeuillée par la perte de l’un des siens ; prendre efficacement en charge les soins d’un blessé ; apporter une assistance à des personnes qui se trouvent dans une situation de précarité et de souffrance psychique extrême ; les assister dans leurs démarches administratives afin d’obtenir les indemnités auxquelles elles ont droit en tant que victimes ; saisir les autorités concernées afin d’attribuer un logement à ceux dont les domiciles ont souffert au point d’être inhabitables ; les orienter vers des associations caritatives qui peuvent les aider au plan matériel (vêtements, affaires scolaires, médicaments...) ; les aider à trouver un emploi ; les soutenir psychologiquement.

Ces actions, qui sont loin d’être exhaustives, nécessitent des entités administratives et sociales performantes ainsi que des ressources financières en quantité suffisante.

3.3. Protéger les biens et les personnes

La protection peut passer par des mesures contraignantes pour la population, qui relèvent de la souveraineté de l’Etat. L’embrasement de la situation peut nécessiter la mise en œuvre de l’état d’urgence et du couvre-feu dans les régions concernées, si nécessaire. Dans ce cas, l’Etat doit passer de l’exercice de la souveraineté de contrôle à celui de la souveraineté de responsabilité. Les populations doivent évoluer d’une culture de la violence à une culture de la paix ; en particulier, passer de la polémique des accusations réciproques, souvent synonyme de paralysie, à l’action dans le respect du droit ainsi que la volonté de proposer une solution durable par le développement humain.

3.4. Prévenir

Prévenir : c’est éliminer à la fois les causes profondes et les causes directes des troubles. C’est aussi combler l’écart entre le soutien en paroles uniquement et la prévention. C’est enfin la volonté concrète de prévenir efficacement.

Un traitement équitable dans les relations de l’Etat avec les citoyens de cette région et l’égalité des chances pour toutes les personnes dans les deux groupes en conflit constituent un fondement solide pour la prévention des violences.

D’autres actions s’imposent, telles la responsabilisation totalement assumée par tous, par l’Etat autant que par les citoyens, la bonne gouvernance matérialisée quotidiennement sur les lieux par les représentations décentralisées de l’Etat, la protection des droits des gens par les autorités en charge de l’application des lois et des règlements, la promotion du développement économique et social par un plan particulier spécial et spécifique à la région, ainsi que la répartition équitable des ressources entre les citoyens.

3.5. Reconstruire

C’est fournir une assistance à tous les niveaux afin de faciliter la reprise des activités, la reconstruction de ce qui a été détruit et la réconciliation entre les parties en conflit. Le sommet de l’iceberg, c’est la violence apparente qui endeuille la région ; la face cachée de l’iceberg, ce sont des comportements rétrogrades dans les communautés. Le défi est d’inventer un mode de vivre-ensemble nouveau où seront reconnus, par les deux parties en conflit, des comportements dignes qui ne sont pas acceptés aujourd’hui.

3.6. Développer

C’est mettre en œuvre un programme à long terme de paix, de justice et de prospérité. C’est en particulier, et à l’instar des autres régions du pays, le lancement d’un pôle régional d’investissement et de développement, par la mise en place de tous les instruments nécessaires à l’investissement : fonds d’investissements, banques d’affaires, bureaux d’études…

Le tout démarrera par une monographie de la région pour y définir les secteurs prioritaires.

Cette stratégie de développement économique sera complétée par la mise en place d’une véritable politique sociale moderne à même de mobiliser tous les citoyens de la vallée autour d’une approche axée sur la lutte contre la pauvreté, la préservation de l’environnement et la justice sociale. Cette politique sociale n’est pas la charité. Elle consiste en une stratégie globale contre la marginalisation en encourageant la participation des couches actuellement défavorisées à l’essor économique.

Elle passe par un investissement massif dans la santé, l’éducation, les autres services sociaux, afin de libérer le gisement de créativité et de participation économique de parties importantes de citoyens de la région, complètement marginalisés aujourd’hui.

Cette stratégie débouchera sur l’assurance pour tous les citoyens de la région d’un niveau de vie de bonne facture, fruit d’un pouvoir d’achat conséquent grâce à une rémunération salariale en adéquation avec le coût de la vie d’une part et l’effort de chacun d’autre part.

Ahmed Benbitour



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