Par Ali Yahia Abdennour
Militant des droits de l’homme
Du hold-up constitutionnel au hold-up électoral
Il faut aller à l’essentiel, porter un regard lucide sur la situation du pays, et dire la vérité. A son arrivée au pouvoir le 15 avril 1999, le président Abdelaziz Bouteflika a exprimé avec des trémolos dans la voix sa détermination de veiller à l’Etat de droit, à l’indépendance de la Justice, et de ne tolérer aucun dépassement. Les déclarations n’ont été que des professions de foi, des produits de propagande destinés à l’exportation et non à la consommation interne.
Le hold-up constitutionnel est annoncé en 2007 par Abdelaziz Belkhadem, chef de gouvernement: «Il faut restituer au chef de l’Etat toutes ses prérogatives. Le chef du gouvernement doit s’effacer pour permettre au Président d’être le véritable et unique chef du gouvernement.» La Constitution de 1995 initiée par le président Liamine Zeroual lui limitant la fonction présidentielle à deux mandats, a été amendée en 2008 pour un mandat sans limite, c’est-à-dire un mandat à vie.
Cette Constitution révisée par un homme et pour un homme dont le culte ne peut constituer l’idéal du peuple qui aspire à la démocratie, à la justice, aux droits de l’homme perd sa signification. Le danger est le pouvoir personnel et le culte de la personnalité. Le hold-up électoral permet de poser la question suivante: les élections sont-elles utiles dans un pouvoir où l’alternance n’est pas possible de par la fraude électorale? La question qui était posée aux Algériens en 2014 quand le président A. Bouteflika sollicita un 4e mandat était celle-ci: est-ce que vous croyez qu’il est catasrophique pour le pays de confier un 4e mandat au Président qui est sorti d’une hospitalisation de 90 jours de l’hôpital du Val de Grâce et des Invalides, souffrant d’une maladie grave et durable qui relève de l’article 88 de la Constitution?
Les quatre élections du président Bouteflika à la magistrature suprême n’ont pas dépendu du choix du peuple consacré souverain par la Constitution, mais du choix des décideurs de l’armée, du DRS en particulier, qui lui ont assuré à chaque élection par une fraude électorale massive qui est l’assassinat de la démocratie, une victoire à la Pyrrhus sans risque et sans gloire. Elu et réélu non pas dans les urnes mais par les résultats, le Président fait face à la question de son illégitimité. La voie des urnes est faussée et le suffrage universel qui est le fondement de l’accession au pouvoir parce qu’il garantit la liberté et la sécurité du scrutin est perverti par des élections closes quant à leurs résultats avant d’avoir commencé.
L’élection est un moyen d’expression de la volonté populaire, à condition de lui conférer la crédibilité par l’élimination de la fraude. Au-delà des élections truquées, c’est le problème du Président actuel qui est posé, son aptitude à incarner et diriger le pays.
Comment le président Abdelaziz Bouteflika a exercé son pouvoir
Quand le pouvoir en place est centralisé, contrôle tout et n’est contrôlé par personne, il n’existe pas de droit contre lui, il n’y a ni Etat de droit ni séparation des pouvoirs. Montesquieu a enseigné que «la démocratie reposait sur trois principes nettement séparés: l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Quand les deux derniers se mettent au service du premier, il n’y a pas démocratie mais dictature». L’Algérie a vécu dans un pouvoir dont le soleil est le président Bouteflika et les partis qui le soutiennent avaient pour mission d’en réfléchir les rayons. Le Président imprime sa propre marque à la marche des affaires de l’Etat, et la totalité des grands dossiers relèvent de sa responsabilité.
Il est au-dessus des lois, a tous les droits, viole de façon délibérée, voulue, réfléchie, outrageante la Constitution. Il incarne la verticalité du pouvoir charismatique césariste. Il a fait main basse sur la pays, a imposé une politique néolibérale opposée au libéralisme, a servi les riches toujours plus riches, desservi les pauvres toujours plus nombreux, a redistribué les revenus et les richesses nationales de manière illégale, injustifiée, inacceptable, intolérable, qui ont fait la rupture avec les couches moyennes et populaires de la société.
L’inquiétude, la déception, le découragement, la frustration, le désarroi, la détresse habitent les gens. Une caste monopolise l’Etat et ses bénéfices, le transforme non seulement en instrument de domination politique, mais en source de pouvoir économique. La politique conservatrice du pouvoir a créé une société duale verticalement divisée, qui reproduit comme au temps du colonialisme une véritable hiérarchie sociale stratifiée.
Le FCE (Forum des chefs d’entreprise) s’investit dans la politique, se place au niveau des décideurs qui détiennent la réalité du pouvoir, cherche à asseoir la fortune de ses dirigeants et à conforter leur pouvoir. Tous les dirigeants des institutions de l’Etat expriment leur attachement indéfectible et leur fidélité totale au président Bouteflika.
Dans chacune des deux chambres du Parlement, les députés et les sénateurs en séance de travail se lèvent et acclament en chœur «l’homme providentiel, le guide suprême» dès que le nom du Président est prononcé. On se croirait en Corée du Nord. Le président Bouteflika est le président d’honneur du FLN qui applique le principe que Lassale recommandait à Karl Max: «Le parti se renforce en s’épurant». Purge au sommet et purge à la base. Les secrétaires généraux du FLN ne peuvent prétendre à la longévité politique. S’ils sont bien avisés, ils doivent méditer la leçon apprise par Louis XVIII: «Ce qui bouge trop meurt vite». Le pouvoir a conduit l’Algérie dans l’impasse, alors qu’elle a besoin d’un redressement politique, économique, social et culturel. Il écrase les libertés et les droits humains.
L’Algérie comme un Etat soviétique doit donner l’autorisation de son gouvernement pour une conférence ou un événement culturel. Le Conseil constitutionnel est à genoux, et son président qui ne dispose d’aucun pouvoir n’est qu’un fonctionnaire aux ordres du Président.
Nos libertés, notre dignité, le respect des droits humains fondamentaux nous les défendrons. Le peuple qui lutte pour sa liberté veut un nouveau locataire au palais d’El Mouradia qui assume toutes ses responsabilités. Le président Bouteflika a dominé la vie politique jusqu’à 2005, puis suivant le déclin de sa santé, il l’a abandonné progressivement et s’est effacé depuis 2013.
Le pouvoir glisse des mains du Président qui ne peuvent plus le retenir, le garder, vers sa fratrie, ses clans, qui agissent en son nom. La vacance du pouvoir est ressentie par les institutions et tous les secteurs de la vie publique. L’Algérie s’enfonce dans une crise multidimensionnelle aux conséquences imprévisibles. Le Président malade qui ne dirige plus le pays arrange les clans du pouvoir qui parlent en son nom pour pérenniser un pouvoir qui leur permet d’accaparer les richesses du pays pour acheter des biens à l’étranger. Il est soumis à des forces contradictoires qu’il ne contrôle plus et qui le déstabilisent. Le Conseil des ministres se tient depuis 2013 deux ou trois fois par an, alors que partout dans le monde il se tient une fois par semaine. Il dure 3 à 15 minutes selon l’état de santé du Président. Le dernier Conseil des ministres s’est déroulé dans un silence total durant quelques minutes pour permettre aux photographes de prendre des photos et au Président de tourner de sa main droite quelques pages d’un document.
Puis, le président Bouteflika se retire et le Conseil des ministres, en l’absence du Président, devient Conseil de gouvernement qui étudie le programme du Premier ministre. Ahmed Ouyahia, qui n’est pas au service de l’Algérie mais seulement du président Bouteflika, ne laisse pas le train présidentiel partir sans lui comme conducteur. Il a été nommé Premier ministre d’abord pour gagner les élections locales du 23 novembre 2017, car il est un grand spécialiste de trucage des élections depuis 1997, et ensuite pour gérer l’austérité. La planche à billets va fonctionner à plein régime. L’inflation qui sera bientôt à deux chiffres est un cancer du peuple. La présence de billets de banque en surnombre alors que la production stagne va permettre la montée en flèche des produits de consommation. Sous la présidence Chadli Bendjedid, Boualem Benhamouda, ministre des Finances, a décidé le retrait des billets de 500 DA. Un commerçant qui avait trop de billets de 500 dinars dans des sacs les a mis dans les cloisons des murs de séparation des chambres de sa villa en construction à double cloison. Si la masse monétaire augmente, d’autres détenteurs de billets de 2000 DA les placeront dans les murs de leurs villas et luxueux appartements comme papier peint qui redevient à la mode.
L’armée nationale populaire (ANP)
L’ANP, source du pouvoir, est le reflet de la société dans toutes ses composantes. Elle veille à préserver son rôle prédominant à la tête du pays. Elle détient la réalité du pouvoir. Qui dirige le pays? Le regretté Rachid Mimouni, à qui le peuple a rendu un hommage bien mérité, a déclaré: «Qui dirige le pays? L’armée. Qui a arrêté le processus électoral? L’armée. Qui a proclamé l’Etat d’urgence? L’armée. On peut continuer. Qui a destitué le président Ahmed Ben Bella? L’armée. Qui a obligé le président Liamine Zeroual à écourter son mandat? L’armée. Qui a porté Abdelaziz Bouteflika au pourvoir? L’armée. Devant qui est responsable le président de la République? L’armée qui l’a porté au pouvoir…» Le général de corps d’armée, chef d’état-major de l’armée, Mohamed Lamari, a tracé les lignes rouges avant l’élection présidentielle d’avril 2004, que le Président ne doit pas dépasser sous peine de sanctions. La mainmise du président Bouteflika sur l’armée s’est faite après la mise à la retraite de Mohamed Lamari en 2004, et son remplacement par Gaïd Salah en 2005. L’histoire se répète mais en bégayant.
Le président Bouteflika a mis du temps pour se libérer du DRS qui contrôlait ses activités et celles de ses amis placés aux postes stratégiques de l’Etat. Dans la loi de la jungle que connaît bien Mediène dit «Toufik», l’homme bien armé qui se trouve à un tournant face à un tigre, doit l’éliminer ou se laisser manger. Mediène a écarté le coup d’Etat constitutionnel par l’application de l’article 88 de la Constitution. Il a signé son arrêt de mort politique en s’attaquant à Chakib Khelil, ami d’enfance de Bouteflika. Au niveau de l’Etat coexcistent deux pouvoirs qui parfois s’opposent, celui apparent officiel du chef de l’Etat, et celui occulte de l’armée.
La hiérarchie militaire, le discours de Gaïd Salah, général de corps d’armée, vice-ministre de la Défense, comme les éditoriaux de la revue de l’armée El Djeïch, son organe de presse, ne cessent de rappeler leur loyauté au président Bouteflika. L’armée dit qu’elle est républicaine, mais le Président auquel elle obéit n’a pas ancré dans sa mentalité république, étant pour un pouvoir totalitaire, dictatorial.
Il faut ouvrir un débat avec intelligence et clarté en se limitant à l’essentiel avec l’obligation de vérité, sur le cheminement suivi par l’armée depuis 2005. Des voix qualifiées se sont élevées pour dire leur point de vue. Le devoir et l’honneur des militaires c’est de servir la nation. L’armée appartient à la nation et ne peut s’identifier à un pouvoir. Elle ne peut être marginalisée dans la prise de décision politique, ni devenir une institution de l’Etat comme les autres. Les déclarations de Noureddine Boukrouh qui a tiré la sonnette d’alarme ont donné lieu à de nombreux commentaires et polémiques.
Il faut calmer le jeu. Il a le droit de critiquer, d’exprimer son point de vue sur la situation du pays, et la position de tout organisme national, car le temps politique est lourd comme un orage d’été qui n’éclate pas, mais une étincelle peut déclencher un incendie. Tout peut basculer, le tragique peut frapper à tout moment, il faut l’écarter. Le changement plane, se dessine, il faut éviter qu’il ne se fasse pas par la violence. Proverbe iranien: «Si l’on peut défaire le nœud avec les doigts, pourquoi y mettre les dents?» Il existe dans l’opinion publique, qui est la forme directe de l’expression des citoyens, une volonté de changement de pouvoir et de politique. Il faut donner le pouvoir au peuple, le pouvoir qu’il n’a eu qu’à subir jusqu’à présent, pour éviter la radicalisation politique qui le précipiterait dans l’escalade de la violence. L’avenir s’écrira par le peuple qui œuvre pour l’intérêt général.
En cet été 2017, l’armée se trouve dans le même dilemme qu’en 2013: faire un coup d’Etat constitutionnel ou laisser le pourrissement gagner la rue. Le changement ne se fera pas par la violence, mais par le recours au suffrage universel par des élections crédibles. Ce sera quand la démocratie aura droit de cité dans le pays. L’armée doit garder sa cohésion et son homogénéité. Peut-on dire que dans un pouvoir dictatorial l’armée peut être marginalisée dans la prise de décision politique? Les visiteurs du soir qui se rendent à la Présidence pour diriger le pays en qualité de centre de décision ne peuvent agir sans la participation de l’armée ou sa bienveillance. Le pouvoir au peuple, l’armée à la nation, l’Algérie à tous les Algériens. Il faut méditer l’exemple du Venezuela qui est tombé dans le chaos sous l’effet combiné de la baisse des cours du pétrole, de la corruption et de l’incapacité des dirigeants. Poursuivre avec vigueur et rigueur, persévérance et lucidité, sans jamais se décourager, quels que soient les obstacles, ou se laisser intimider, le combat pour la démocratie est le devoir de chaque Algérien et de chaque Algérienne.
Ali Yahia Abdennour
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 14/09/2017
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Contribution par Ali Yahia Abdennour
Source : elwatan.com du jeudi 14 septembre 2017