Photo : pélerinage de azrou n'thor, algérie, 5 août 2016 © Djamel alilat
Chaque année, en août, des milliers de visiteurs se rendent sur les hauteurs du Djurdjura pour honorer une tradition séculaire berbère ou simplement respirer l’air vivifiant des sommets. Reportage.
Du lever du soleil à son coucher, des processions de pèlerins de tous âges partent à l’assaut d’une tête d’aiguille perchée à 1 894 m d’altitude. Tels des fourmis qui avancent en colonne, ils gravissent l’étroit sentier de chèvres qui zigzague entre les rochers et les cèdres aux troncs noueux pour aboutir à un nid d’aigle coiffé d’un mausolée. La légende dit qu’en cet endroit précis un ascète venu dans la région il y a quelques siècles a accompli la prière du midi avant de rendre l’âme. Les villageois des alentours lui auraient alors édifié un mausolée sur ce piton qu’affectionnent aujourd’hui encore les aigles et les vautours du Djurdjura.
On s’y rend chaque année en pèlerinage pour allumer des bougies et prier la montagne sacrée d’intercéder auprès des dieux pour guérir un malade, trouver un mari pour sa fille ou ramener l’émigré qui s’est oublié de l’autre côté de la mer. On y vient aussi, plus simplement, pour respirer l’air vivifiant des sommets et admirer le majestueux panorama qui se déroule à ses pieds. D’ici, on peut contempler, sur 360 degrés, la Kabylie et ses myriades de villages accrochés aux crêtes des montagnes dont ils épousent les contours.
Traditions communes
Festif, convivial et haut en couleur, le fameux pèlerinage d’Azrou n’Thour (« le rocher du zénith ») draine chaque année des milliers de visiteurs. Ce rituel est né de la rencontre de l’islam maghrébin avec les anciennes croyances des Berbères, qui vénéraient les génies protecteurs des sommets des montagnes.
Il en résulte aujourd’hui une tradition relevant à la fois du rite païen, de la fête religieuse, de la randonnée pédestre et de l’attraction touristique. « Chaque année, on vient ici pour la beauté des paysages, la fraîcheur du climat et l’hospitalité des habitants », explique Brahim, arrivé de Béjaïa, à 200 km à l’est d’Alger, avec sa femme et ses deux enfants. Le site est également le lieu d’estivage des bergers de la région qui transhument l’été venu.
La rencontre de plusieurs villages
Trois villages du massif central du Djurdjura – Zoubga, Aït Adella et Aït Atsou – se relaient pour organiser les trois éditions du pèlerinage qui ont lieu les trois premiers week-ends du mois d’août. Nourriture et bénédictions pour tous. Tout visiteur a en effet droit à un couscous garni de viande offert par le village, accompagné d’eau de source fraîche, mais aussi, s’il le souhaite, à des prières.
Si la pitance est assurée par le village, il revient à l’« agraw », l’assemblée des sages et des imams réunie sous une tente, de distribuer à tous ceux qui le sollicitent ses bénédictions. S’il est de bon ton de faire une offrande en nature ou en argent, nul n’est tenu à ce geste que tous, cependant, accomplissent de bonne grâce, faisant du pèlerinage une source de revenus importante pour le village qui l’organise.
Pour un petit hameau comme Zoubga, offrir nourriture, sécurité et assistance à des milliers de visiteurs requiert une logistique. « Nous n’attendons rien de l’État. Nous nous prenons entièrement en charge », souligne Assirem, 21 ans, étudiant en gestion des entreprises et membre du comité d’organisation. Un mois avant l’événement, le comité de village établit les listes des hommes valides chargés d’encadrer l’événement.
Chaque brigade de bénévoles est encadrée par un responsable affecté à une tâche bien définie : le nettoyage des lieux, la cuisine, l’intendance, le service des repas, l’accueil et la sécurité des visiteurs, le transport, l’approvisionnement en eau, l’affichage, l’infirmerie, chaque détail est passé en revue et planifié. On commence également à recueillir les offrandes en huile, semoule, bêtes sacrificielles ou en argent liquide pour le grand repas du pèlerinage, qui est cuisiné et consommé sur le site même.
« Nous placardons des affiches annonçant l’événement à travers toute la Kabylie et même à Alger et dans les grandes villes du pays », poursuit Assirem. C’est l’occasion pour les villageois installés dans les grandes villes ou à l’étranger de revenir au pays, de renouer avec leurs traditions et leurs racines.
Un moment de détente
On vient en général en famille ou en groupes. Les femmes se parent avec grand soin pour se faire belles, car c’est l’occasion idéale pour beaucoup de jeunes célibataires de repérer leur future moitié. Une fois l’ascension du pic accomplie, les familles s’installent à l’ombre protectrice d’un cèdre millénaire pour se reposer et déjeuner tranquillement en profitant des paysages bucoliques qui s’offrent à leur vue.
« Nous tenons beaucoup à nos traditions, explique Dahmane Bouzidi, membre du comité de village depuis dix-neuf ans. Ce pèlerinage nous rassemble et nous permet de garder vivaces nos valeurs de solidarité et d’entraide. »
Pour accueillir ces milliers de personnes à une telle altitude, pas un seul gendarme ni policier. Du stationnement dans les parkings improvisés le long de la piste jusqu’au retour, toute la logistique est assurée par les villageois eux-mêmes. Les organisateurs et les vigiles sont reconnaissables au gilet vert fluorescent qu’ils portent. Ils veillent à chaque instant au bon déroulement de l’événement.
À 71 ans, Boukaouma Chabane, qui a été « amine » (chef du village) pendant cinq ans, est un peu la mémoire vivante de Zoubga. Il conseille aujourd’hui les jeunes qui ont repris le flambeau. « Aussi loin que l’on remonte dans le temps, rappelle-t-il, notre village a toujours été organisé ainsi. » Il est juste passé de « tajjmath », la structure traditionnelle de concertation, au comité de village dûment agréé par les autorités.
Le dernier visiteur parti, la montagne retrouvera son calme et sa sérénité
Servis dans de grands saladiers en plastique ou en inox, les plats de couscous vont défiler de midi jusqu’à la fin de la journée. Sur la grande esplanade des fêtes communes, c’est l’heure des retrouvailles pour les amis et les familles. Dans le brouhaha des conversations et des chants des femmes sous les cèdres, les prières de l’« agraw » pour les malades, les défunts, les absents et les infortunés montent vers un ciel d’un bleu insolent.
Tout en bas du piton rocheux, c’est une véritable foire qui s’est installée. Des vendeurs de souvenirs, de sandwichs, de poterie traditionnelle ou de brocante ont pris possession des lieux. Des bergers proposent de petites randonnées à cheval ou une pause photo sur l’animal contre quelques dinars. Dans quelques heures, le dernier visiteur parti, la montagne retrouvera son calme et sa sérénité. Et Azrou n’Thour sera rendu à ses aigles et à ses pasteurs.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 31/08/2024
Posté par : kabyle15
Ecrit par : Akli Tansaout
Source : jeuneafrique.com - Publié le 30 août 2016