Algérie

Algérie - Anarchie urbanistique: Immersion dans une cité-dortoir cernée par la violence



Algérie - Anarchie urbanistique: Immersion dans une cité-dortoir cernée par la violence




Janvier 2013, Le Président déclare vouloir en finir avec les cités-dortoirs exactement comme il l’avait déjà dit il y a 7 ans. Des centaines de cités-dortoirs ont pourtant été construites depuis, dans l’urgence, générant la même difficulté de vivre ensemble, la même violence. La cité des 1516 Logements AADL de Aïn Melha l’illustre parfaitement.

"Je gare ma voiture à Aïn Naâdja et je prends un taxi clandestin à l’entrée de la cité chaque jour pour aller la chercher", raconte Samir en montrant du doigt quelques voitures garées non loin de son immeuble.

«Toutes ces voitures sont celles de clandestins», précise-t-il en continuant à agiter ses mains.

«Il m’emmène à Aïn Naâdja pour prendre ma voiture, ensuite je reviens à la cité pour chercher ma fille et la déposer à l’école.»

Matin, midi et soir, ce sont les mêmes va-et-vient pour Samir, la trentaine, ingénieur en génie civil. Il habite à la cité des 1516 Logements AADL de Aïn Melha, dans la commune de Gué de Constantine, où il craint de laisser sa voiture dans le parking et de trop s’attarder dehors.

Aïn Melha, architecture du mal-vivre

Depuis deux ans, la violence et les guerres des gangs font rage sur ce site, qui rassemble des milliers de relogés venus de différents coins de la capitale. Près de 10.000 personnes y vivent depuis juillet 2008, date de livraison de cette cité, construite sur une pente de la commune de Gué de Constantine et qui donne une vue imprenable sur le bidonville Meguedem, situé en contrebas.

Des immeubles vert et blanc en labyrinthe, entourés de cités de couleurs différentes, logements sociaux participatifs (LSP) notamment.

A l’intérieur, quelques petits commerces, un stade délaissé, des ordures qui jonchent le sol et une caserne de la Gendarmerie nationale vide et fermée à double tour. Une seule école primaire à proximité, aucun centre de soins, aucun marché, aucun espace de loisirs et pas de poste de police. Une cité-dortoir en bonne et due forme. Comme des centaines d’autres à travers le pays. Celles-là même dont parlait le Président il y a à peine une semaine: «Il faut en finir avec les cités-dortoirs», disait-il lors de la remise du Prix national d’architecture. C’était loin d’être une première! (voir encadré).

Comment «dessine-t-on» la violence?

La vie dans la cité AADL de Aïn Melha est rythmée par le repli sur soi, la méfiance issue de violences à répétition. Des affrontements entre bandes rivales, des bagarres, des casses de voitures, des vols. S’il est clair que le système urbain déteint forcément sur le comportement des uns et des autres au sein de la société, reste à savoir lequel induit l’autre.

Nos villes engendrent-elles de la violence parce qu’elles ont été mal dessinées ou les a-t-on mal dessinées parce que la violence s’est ancrée dans notre mode de pensée? Une équation difficile à résoudre, selon l’architecte Larbi Marhoum, 2e prix national d’architecture 2012: «Il y a une forme de déterminisme vicieux entre la forme urbaine et la vie sociale ; l’un conditionne l’autre. Une forme urbaine fabrique une forme de société.»

Pour le cas Aïn Melha, l’explication est simple.

«Il n’y a pas de mixité sociale, aucun partage de l’espace public censé participer à la pacification, d’abord parce qu’il y a un déficit quantitatif concernant les équipements, mais aussi qualitatif dans le sens où la ville est un système complexe dont le logement n’est qu’une partie de l’équation», explique-t-il encore.

Pour Larbi Marhoum, cette violence s’explique en grande partie par le cadre de vie offert à ces gens, étant donné qu’«un dessin de ville induit nécessairement un dessein de vie».

La difficulté de vivre ensemble

«Ici, on se contente de dormir, on quitte nos maisons très tôt et on y revient le soir. Nos courses, nos affaires, on les règle ailleurs parce qu’il n’y a rien ici, mais surtout parce qu’il règne un climat de terreur dans cette cité», raconte Djamel, cadre dans la Fonction publique, habitant lui aussi à Aïn Melha.

Depuis le début de l’année 2011, des dizaines d’affrontements entre bandes armées de barres de fer, de gourdins, de couteaux de boucher ont eu lieu.

«Chaque deux mois, t’nod (ça explose) à cause d’histoires de guerres de territoires, de trafics, de gestion des parkings de la cité devenus payants», précise Samir qui agite toujours les bras en parlant.

Signe de nervosité.

«On ne va pas se plaindre du cadre de vie, on a où se loger, c’est déjà bien, mais on réclame de la sécurité», insiste-t-il.

Se loger, une obsession bien algérienne qui est peut-être à l’origine de cette violence qui habite l’espace public.

«Nous avons fabriqué, en 50 années de gestion de l’urgence, deux grandes maladies sociales: l’Alzheimer parce que personne n’a d’adresse et de souvenir dans les cités et l’autisme parce que personne ne supporte plus l’autre, sauf par nécessité impérieuse», explique Larbi Marhoum.

A Aïn Melha, où la majorité des familles relogées dans la cité AADL viennent de différents quartiers de la capitale, dont des quartiers difficiles, l’hostilité est très vite perceptible.

Différents groupes se toisent de loin. Samir clique sur son téléphone et montre des photos prises lors des dernières échauffourées. Des voitures cassées, des débris de verre un peu partout sur le sol.

«Ils ont cassé plusieurs voitures. Ce sont des voyous qui vivent dans cet immeuble, ils viennent du quartier Carrière Jaubert, à Bab El Oued. Cet autre immeuble aussi», raconte Samir en s’emportant et montrant du doigt plusieurs immeubles.

«Ils viennent des bidonvilles et se font la guerre», ajoute-t-il avant de s’éclipser.

C’est l’heure de prendre un taxi pour aller chercher sa voiture à Aïn Naâdja, puis sa fille à l’école, la ramener à la maison avant de redéposer sa voiture à Aïn Naâdja et de regagner la cité en taxi…

Fella Bouredji



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