Algérie

Algérie - Ali Yahia Abdenour (97 ans), avocat, défenseur des droits de l’homme «C’est la démocratie qui sauvera l’Algérie»



Algérie - Ali Yahia Abdenour (97 ans), avocat, défenseur des droits de l’homme «C’est la démocratie qui sauvera l’Algérie»


«Libérez la liberté, la liberté fera le reste» Victor Hugo

Ali Yahia Abdennour fête ses 97 ans aujourd’hui. Un parcours parsemé de convictions et de luttes. Que Dieu lui prête vie.

Le principe de la liberté de la presse n’est pas moins essentiel, n’est pas moins sacré que le principe du suffrage universel. Quand l’histoire d’un dirigeant est finie, il ne faut pas forcer le destin en ajoutant un chapitre.

L’abstention à l’élection vaut désaveu. Le boycott est une arme politique, tels sont les maîtres mots par lesquels notre avocat a entamé la longue discussion qui nous a réunis.

Homme de rupture, homme de compromis, ou les deux? Habitué des prétoires, ou homme rompu aux arcanes politiques? Le doyen des avocats, ardent défenseur des droits de l’homme, toujours là lorsque les libertés sont mises à mal, Ali Yahia Abdennour s’est fait aussi des ennemis.

Mais le vieux routier des barreaux ne laisse jamais indifférent. Si on loue souvent sa constance en sachant garder le cap, malgré les vents contraires, on lui reproche également de s’être «acoquiné» avec des parties qui ont failli mettre en péril la République, slogan de mise à l’époque sanglante. L’ennui avec lui, c’est quand on entreprend de parler de lui, il faut vraiment patienter, tendre patiemment l’oreille pour attraper quelques confidences sur sa personnalité faite de militance depuis presque trois quarts de siècle.

Mais le hic est que Abdennour n’aime pas parler de lui, mais de ses idées, qu’il assène vaille que vaille, ici et là pour que son appel (cri ?) soit entendu. Dévoué, lutteur acharné, il jouit d’une notoriété que nul ne peut lui contester, mais surtout d’une autorité morale, mise au service des causes qui lui sont chères, à la tête desquelles son obstination à en découdre avec le «système» qu’il n’a jamais cessé de dénoncer.

«Le pouvoir ne se soumet pas aux normes juridiques nationales et internationales qui fondent un Etat de droit. La démocratie est contrôle du pouvoir et pouvoir de contrôle. Les deux principes fondamentaux de la démocratie, à savoir l’autodétermination du peuple et l’alternance politique ont été confisqués. La dégradation politique et morale des institutions est due à l’absence d’alternance, qui permet de maintenir au pouvoir les mêmes clans et les mêmes intérêts durant une longue période. Les Constitutions peu appliquées sont révisées et surtout usées avant d’avoir servi. Elles ont été bafouées quotidiennement et dans de nombreux domaines».

Un militant inflexible

«L’Algérie a eu une demi-dizaine de Constitutions, la premère, suspendue en 1965, les autres revisées en 56 ans d’indépendance pour avoir leur respect et les règles du jeu qu’elles impliquent. L’ Algérien ne peut avoir des droits s’il n’est pas élévé d’abord à la dignité politique de citoyen. Le plus grave n’est pas d’être un sujet, mais d’être appelé ‘‘citoyen’’. Aujourd’hui, une nation de sujets est prête à devenir une nation de citoyens».

Né le 18 janvier 1921 au village Taka, à Michelet, Abdennour y a fait des études jusqu’au certificat d’études qu’il décrocha en 1934. Il passe au collège de Tizi Ouzou, où il obtient le brevet élémentaire. Par dérision et vu les conditions difficiles de l’époque, on l’appelait le brevet alimentaire, «car il pouvait nous ouvrir les portes du travail».

Son père, Amokrane, instituteur qui a pris sa retraite en 1930 et qui enseignait à Bordj Ménaïel, l’accompagna et l’encouragea dans cette trajectoire. Au déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, Abdennour est instituteur à Souama, près de Azazga, avant d’être muté à Médéa, où il gagne des grades dans sa carrière. Il est mobilisé en février 1943 à Blida, puis affecté à Kenitra, au Maroc. Il débarque avec la 2e DB le 15 aôut 1944 à St-Tropez. Avec ses camarades, ils font la jonction avec les Américains, mais lors de cette opération, il est blessé et transféré à l’hôpital de Toulouse. Il rentre en Algérie, à la veille du 8 Mai 1945. Il est nommé instituteur à Miliana en 1946.

Un droit de l’hommiste convaincu

C’est là qu’il fit la connaissance de Gharsi junior, fils du leader du PPA, qui le fait adhérer au parti. A Affreville, il connaîtra Hocine Cherchalli, membre influent du parti, qu’il remplacera dans cette ville. Lors des élections à l’Assemblée algérienne en 1948, la famille est mobilisée pour la campagne de Salhi de Azazga, notamment son frère Saïd, pharmacien à Belcourt, et Rachid, lycéen. Après les élections et les remous qui s’ensuivirent, Rachid était recherché. D’ailleurs, juste après, il partit en France pour intégrer la Fédération de France du parti et s’illustra, avec Benaï et Aït Hamouda, comme l’un des principaux acteurs de la crise dite «berbériste» de 1949. Abdenour poursuivra son combat de militant à Miliana, où le déclenchement de la lutte armée le surprendra en 1954.

Il finira par intégrer l’UGTA après la mort de Aïssat Idir.

«Tout ce qui s’est fait dans cette organisation c’était sous ma responsabilité».

Arrêté le 7 janvier 1957, quelques jours avant la Bataille d’Alger, il passera 15 jours à la DST de Bouzaréah, puis à la Sécurité militaire, avant d’être dirigé au camp de concentration de Berrouaghia. Il est transféré à Paul Cazelles, puis à Bossuet, dans l’ancien camp qui regroupait 2.000 Algériens considérés comme «irrécupérables». Fin novembre 1960, il est expulsé d’Algérie. Il part en France, puis rejoint Tunis, où il tient le secrétariat de l’UGTA.

A l’indépendance, il est élu député de Tizi Ouzou à l’Assemblée nationale constituante. Il est membre fondateur du FFS et conseiller de Mohand Ouelhadj. Il n’est pas en odeur de sainteté avec Aït Ahmed et s’oppose à Ben Bella, lorsque celui-ci signe un accord avec Da L’Hocine. Le 10 juillet 1965, il est nommé par Boumediène ministre des Travaux publics. Une année après, on lui confie le portefeuille de l’Agriculture, où il ne fera pas de vieux os.

«Boumediène m’avait fait appel pour la réforme agraire, le groupe de Oujda, représenté par Kaïd Ahmed et Medeghri, était foncièrement contre cette réforme. De violentes discussions ont eu lieu au Conseil des ministres, en septembre 1967. Un mois après, j’ai démissionné».

De tous les procès dans lesquels il a plaidé, Abdennour reste marqué par l’affaire du FIS, où, faut-il le signaler, il a tenu le haut du pavé. Il a connu Boudiaf en tant que militant avec Omar Oussedik.

«Lorsque la crise enflait en 1991, je suis parti avec Hassan (Khatib), ancien chef de la Wilaya IV, au Maroc où nous avons été accueillis par son oncle, Dr Abdelkrim Khatib, président de parti et homme influent, qui nous a accompagnés à Kenitra, chez Boudiaf, qui n’a cessé de marteler qu’il ne rentrerait en Algérie que lorsqu’il y aura la démocratie».

Quand il est rentré, je l’ai rencontré le 18 février 1992. On a longuement discuté des événements, je lui ai dit de ne pas laisser les leaders du FIS à Blida car ce ne sont pas des militaires, sinon la situation va s’aggraver.

Il m’a répondu, cela ne relève pas de moi mais des décideurs, j’ai conclu qu’il était un décidé. C’était mon dernier contact avec lui. Quand, quelques jours après, j’ai évoqué les camps de concentration dans le Sud, dans une conférence en Espagne, ce qui était une réalité, Boudiaf avait répondu ‘‘celui qui en a parlé, est le premier à y figurer’’.

Abdenour a accueilli cette sentence avec humour, il poursuivra son combat en allant prêcher sous d’autres chapelles. St Egidio ? «Abbassi était contre, car, selon lui, il n’était pas question d’aller négocier dans une église, Benhadj m’avait dit, ramenez la paix quitte à négocier avec le diable. La paix, voilà ce qui importe !» «La plateforme du contrat national du 13 janvier 1995 a été rendue nécessaire devant l’impasse politique qui a fermé la porte à toute solution à la crise. Elle a permis la réunion de 7 partis politiques et de la LADDH à Rome pour chercher une solution pacifique. Il y a une solution de rechange à celle de la violence et du tout-sécuritaire. La plateforme ouvre la voie au pluralisme politique, syndical et culturel, au multipartisme, à l’alternance au pouvoir, au respect des droits de l’homme, à la défense des libertés collectives et individuelles, à la liberté d’expression, au refus de la violence pour prendre ou garder le pouvoir».

Pour Abdenour, c’était la seule alternative pour sauver ce qui restait à sauver.

«Les signataires de l’appel ont ouvert un espace de liberté dans un climat politique fait d’intolérance et de haine, alimenté par la terreur, la culture de l’exclusion, une répression qui n’a pas respecté les règles d’un Etat de droit». Violence, terreur, intolérance, des mots assez durs auxquels notre interlocuteur ajoute «la fraude électorale bien intégrée dans les mœurs politiques du pays, les pratiques qui faussent le scrutin et le libre choix des électeurs sont permanentes».

Seule la démocratie...

«La seule constante de la pratique politique que le pouvoir maîtrise parfaitement est la fraude électorale. Les élections préfabriquées ne mènent pas à la démocratie et à l’alternance, mais à la normalisation autoritaire de la société. Il faut restituer au peuple le droit de voter librement, abolir la fraude qui déforme le suffrage universel et la vérité électorale.»

Pour l’ardent défenseur des droits de l’homme, la corruption est une autre plaie qui vient se greffer à ces tares.

«La corruption est inséparable de l’exercice du pouvoir. Elle est à tous les niveaux et dans tous les domaines. Un contrôle rigoureux permettrait de mettre à jour de nombreux scandales politico-financiers. Un dirigeant qui est en grâce avec les décideurs ne peut être poursuivi quand il est en délicatesse avec la justice pour malversation, ni jeté en pâture à l’opinion politique».

Pour Abdennour, la paix et les droits de l’homme sont les deux aspects indissociables de la vie humaine.

«La paix sans la vérité et la justice n’est qu’impunité. La réconciliation nationale, qui devait être un grand projet politique, est réduite à sa dimension politique. Elle a sacrifié les impératifs de vérité et de justice. L’amnistie n’est pas une solution sécuritaire, il faut lui apporter une solution politique. Les morts sans sépulture? Des vivants sans existence. Ils n’ont que la mémoire collective comme sépulture. Aucune affaire des disparus n’a été élucidée.»

Pour l’avocat qu’il est, l’Algérie, selon lui, n’a pas évolué durant ces dernières décennies où l’économie a été gérée avec une incroyable légèreté.

«Les grands indicateurs économiques sont au rouge, la politique néo conservatrice, ultra-libérale ne peut qu’aboutir à une société duale, verticalement divisée entre, d’une part, les nantis qui vivent bien, et, d’autre part, la majorité du peuple exaspéré par les conditions de vie qui lui sont réservées. L’Algérie est l’exemple d’une profonde injustice sociale. Nos enfants qui ont choisi la liberté-harraga n’ont trouvé que la mort et la prison. La presse, qui en fait état quotidiennement, est aussi un baromètre de la société. La liberté de la presse est une conquête fragile qui doit être cultivée, renforcée», suggère le vieil homme qui, à 97 ans, continue, comme à ses plus beaux jours, de lutter pour ses idées, de lutter pour les autres... même si son combat solidaire apparaît trop solitaire et que sa santé décline…


Parcours:

Né le 18 janvier 1921 à Michelet, Ali Yahia Abdennour a été instituteur, militant du PPA et du FLN. Détenu durant de longues années, il est nommé ministre à l’avènement du régime de Boumediène. ll finira par démissionner. Avocat, il fera de la défense des droits de l’homme son sacerdoce.

Pour lui, «il n’y aura pas de réforme de la justice tant que le pouvoir est concentré aux mains d’une seule personne. Il faut non pas un changement dans le régime mais un changement de régime», clame-t-il.

Pour lui, les restrictions imposées par le pouvoir à tous les niveaux peuvent engendrer des réactions populaires imprévisibles. Abdenour, au nom de la LADDH, a été l’un des principaux animateurs du Contrat de Rome.

A 97 ans, il continue d’activer en se soumettant à l’écriture de ses mémoires. A son actif, deux livres phares: Raison et déraison d’une guerre, L’Harmattan 2000, et La Dignité humaine, Inas 2006.' Le dernier en date, paru récemment est Mon Testament pour les libertés.


Hamid Tahri


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