Algérie

Algérie - Ali Mahmoudi. Directeur général de la Direction générale des forêts: «Les forêts sont au stade de régression»



Algérie - Ali Mahmoudi. Directeur général de la Direction générale des forêts: «Les forêts sont au stade de régression»


A l’occasion de la Journée internationale des forêts, qui coïncide avec le 21 mars de chaque année, le directeur général de la Direction général des forêts (DGF) fait l’état des lieux de nos forêts en dégradation et de l’inventaire du patrimoine qui sera lancé avant la fin de l’année. Ses services préparent aussi la reprise de l’activité de la chasse, prévue au plus tard en octobre prochain.

- Nous célébrerons dans quelques jours la Journée internationale des forêts; quel état des lieux faites-vous aujourd’hui de notre patrimoine forestier?

Selon l’inventaire qui date de 2008 (c’est aussi une question de financement), nous avons une superficie de 4,1 millions d’hectares de formation forestière, dont 1,7 million d’hectares de forêts… C’est un stade de régression.

Il y a eu une régression d’espace. Il ne faut pas non plus oublier la décennie noire où beaucoup de forêts sont parties en fumée, à l’exemple de Tikjda en 2002 où il y a eu des pertes énormes des cèdres millénaires. Les séquelles de la décennie noire sont visibles, notamment à l’Atlas blidéen ou aux montagnes de Zaccar… Aux Aurès, toutefois, des dépérissements de 6.000 ha sont enregistrés à cause de réchauffement climatique.

- Il est évidemment temps de lancer un autre inventaire…

Nous sommes tenus de démarrer les études avant la fin de l’année. Nous sommes en train d’élaborer un cahier des charges dans le cadre du fonds national pour le développement rural. Nous avons eu deux études une pour la révision de l’inventaire et une autre pour la réhabilitation de la nappe alfa. C’est une ressource très importante. La DGF engagera une étude pour revenir à l’industrie de pâte à papier qui était pourtant très développée par le passé.

Nous le savons tous, dans ce domaine, tout est basé sur des études d’aménagement censées nous dicter et nous qualifier les espaces de production, de création ou de récréation. Malheureusement, ces études sont toutes dépassées et déréglées suite à la décennie noire. Nous n’avons pas fait d’études depuis un bon moment.

- Les incendies de forêt viennent aussi aggraver la situation, notamment ceux enregistrés en hors saison. Qu’en est-il justement des enquêtes diligentées?

Malheureusement, nous n’avons pas de réponses par rapport aux enquêtes diligentées par les services de sécurité qui travaillent directement avec le parquet. Nous savons que 70 personnes ont été interpellées dont une quinzaine sont mises sous mandat de dépôt.

Le reste, nous l’ignorons. Pourtant, nous avons signé la reconduction du protocole d’entraide avec la gendarmerie nationale qui nous aide dans tous les secteurs et un programme de formation est prévu dans ce sens. Dans le même cadre, la DGF forme la gendarmerie pour une initiation aux espèces végétales. Des livrets-guides leur ont été conçus dans ce sens. La gendarmerie nous a accompagnés dans un projet de coopération sur la scène de crime après incendies.

Selon les bilans établis en matière d’incendie, les causes inconnues sont de l’ordre de 80%, alors que de l’autre côté de la rive de la méditerranée, ils sont arrivés à inverser la proportion. L’objectif tracé pour nous est d’arriver à desseller les vraies raisons pour attaquer le mal à la racine. Je tiens à signaler qu’une formation dans le cadre du projet de coopération sous l’égide de la FAO sur les études de la scène de crime est programmée.

A dire aussi que pour les années précédentes, nous ne sommes pas dans un scénario catastrophique. Nous avons eu 43.000 ha ravagés par les feux avec Béjaïa en tête, suivie de Tizi Ouzou, Jijel, Tipasa, El Tarf et Skikda comme wilaya les plus touchées. Nous sommes en deçà du bilan des incendies de 2017.

Malheureusement, il y a des gens mal attentionnés en train de guetter la moindre hausse de température pour mettre le feu. Il s’agit de feux criminels. En février, rien que pour la wilaya de Jijel, 19 incendies ont été enregistrés qui ont ravagé 91 ha en deux heures. Au total, 37 départs de feux ont été enregistré au mois de février ayant occasionné 141 ha ravagés. Ce n’est pas normal et j’insiste sur le caractère exceptionnel de ce phénomène.

Les feux ne peuvent pas se déclencher seul. Il y a éventuellement certains qui veulent se venger de la direction des forêts qui est venue les verbaliser. Car beaucoup à qui nous avons arraché des plants. Nos équipes été instruites pour cela. Il y a d’autres qui sont dans les transactions immobilières qui tentent de défricher des terrains forestiers pour ériger des baraques de fortune et ensuite accaparer des lieux.

- Nous avons comme une impression que les forestiers ont moins de prérogatives…

Malheureusement, il s’agit plutôt des enquêtes qui traînent. Il faut dire aussi, qu’avant 1984, les forestiers avaient le droit de faire la transaction avant le procès-verbal. Ils délivrent un PV similaire à celui des services de sécurité. Avec la nouvelle loi, nous sommes tenus de faire la procédure via le parquet. Plus l’affaire prend du temps, plus ces mal attentionnées se disent avoir gain de cause. Notre loi n’est plus dissuasive.

Des peines vraiment insignifiantes sont prononcées. L’administration des forêts ne s’arrête pas au pénal et souvent nous saisissons le Conseil d’État. Car notre objectif est l’évacuation et la remise en état des lieux. Pour ce faire, nous devons réviser notre loi fondamentale régissant le régime général des forêts. Notre ministre s’est engagé pour la révision de ce texte durant 2021. Nous sommes en train de travailler dessus. Nous allons renforcer la partie dissuasion, mais aussi développer la partie participation de la forêt d’une manière durable à l’économie nationale.

- Qu’en est-il de la formation des forestiers? On dit que les forêts sont désertées par les agents des DGF pour plus occuper les bureaux…

Nous avons 5.500 forestiers de corps technique, il est vrai qu’ils passent la plupart de leur temps dans les bureaux, notamment avec les nouvelles missions qui nous ont été confiées. Mais, ils passent aussi leur temps sur le terrain, pour des interventions en cas d’incendie, la récolte du liège et autres charges.

Il est vrai que l’effectif est en deçà de nos attentes par rapport au patrimoine. A l’image de toutes les autres administrations qui ont connu une véritable saignée, 1.220 postes ont été dégelés pour 2019, dont 620 sont déjà recrutés et 600 autres sont dédiés à la formation. Nous devons au minimum doubler nos effectifs. Plusieurs missions nous ont été attribuées dans le cadre de développement rural intégré. C’est pour cette raison que j’insiste sur la nécessité de renforcer les forestiers.

- Justement, évoquant les nouvelles missions, quelles sont aujourd’hui, à votre avis, les garanties de réussite et de maintien dans le temps du barrage vert, sachant que des défaillances ont entaché l’expérience du passé?

Il est vrai que nous voyons de grandes superficies dépérir à cause de la mono-espèce. Il faut savoir aussi que le barrage vert n’est pas constitué seulement du reboisement, mais aussi de forêts naturelles, qui se portent bien, pourvu qu’on intervienne avec des plans de réaménagement, comme la forêt de Beni Melloul (Biskra, Khenchela et Batna) avec 90.000 ha de Pins d’Alep. C’est en 1988 que le barrage vert a été confié à la DGF, et au tout début, il y a eu tâtonnement. Mais depuis l’année 2000, de grands efforts ont été fournis.

Nous ne sommes plus dans le forestier pure et dur et de la mono-espèce. Nous avons pris en charge même le volet économique avec la plantation des arbres fruitiers, création des unités d’élevage, mobilisation d’eau, aménagement et ouverture des pistes.

La vision a complètement évolué. Tout a été fait dans l’aire du barrage vert dans les 10 wilayas concernées. Deux marchés sont confiés au groupement génie-rural, un concernant le plan national de reboisement alors que l’autre est dédié au bassin versant. Le barrage vert devient de plus en plus important, notamment dans le cadre du plan national du climat. Aujourd’hui, nous sommes sollicités par tous les ministères concernés par cet ouvrage.

- Nous assistons toutefois à la dégradation de plusieurs Parc nationaux classés et protégés à cause de l’incivisme de certains. Le Lac noir en est un exemple. Avez-vous lancé des réflexions pour les protéger davantage?

Le Lac noir se trouve à l’intérieur d’Akfadou. Nous sommes en train de voir comment l’ériger en Parc national, puisqu’il été revêtu de ce qualificatif en 1920. La DGF, après la décennie noire, avait décidé de l’ouvrir au grand public. Car il fallait démystifier et aller réoccuper les espaces. Une grande randonnée a été organisée à ce moment-là.

Malheureusement, cela s’est retourné contre nous. Les déchets entourent les lieux de partout, mais l’incivisme n’est pas de notre charge mais plutôt celui des municipalités. Outre le massif d’Akfadou, d’autres études et projets sont en cours pour le classement d’autres lieux en Parc national protégé comme Chélia de Ouled Yaagoub aux Aurès.

S’agissant de la situation des Parcs actuels, je dois dire qu’il existe ceux qui ont fait des efforts comme Theniat El Had qui gère bien le flux des véhicules. Mais cela n’est pas possible. Par exemple, pour celui de Chréa, Djurdjura encore moins celui d’El Kala ouverts de partout particulièrement si ces lieux sont habités. Au parc Gouraya, comme exemple, il est quasiment impossible de trouver un terrain pour le réaménager en parking de voiture.

- Qu’en est-il des préparatifs entamés pour la reprise de la chasse prévue, sauf surprise, en septembre prochain?

La date de la reprise n’est pas encore annoncée, mais vous avez suivi avec nous, en septembre dernier, l’annonce de notre ministre, quant à la reprise des activités cynégétique. La DGF, pendant toute la période de la fermeture de cette activité, à savoir depuis 1993, n’avait pas perdu de temps. Nous nous sommes concentrés à préparer cette chasse par l’élaboration des textes, comme la loi 04-07 du 14 août 2004 qui a donné un certain nombre de textes d’application, notamment la formation et la délivrance de permis de chasse.

Nous avons aussi engagé la réorganisation du mouvement de chasse, puisque les associations, d’environs 600, travaillent en étroite collaboration avec nous. Depuis l’annonce de la reprise de l’activité, de grands chantiers ont été ouverts. Il s’agit de l’installation de Conseil supérieur de la chasse, le 16 janvier 2021.

Nous avons aussi installé deux commissions, une chargée des questions relatives à la gestion, la sauvegarde et le développement du patrimoine cynégétique, et la deuxième est chargée des conditions de la chasse. Elles ont entamé leur travail. Elles sont chargées de faire l’inventaire cynégétique. Une démarche nécessaire pour un plan de chasse pour avoir la licence de chasse régionale. Il s’agit là de données purement scientifiques. Il faut aussi travailler sur l’amodiation de terrain de chasse.

Des associations doivent en effet louer des terrains auprès de notre administration. Et pour cela, il faut une disposition de loi de finance (sauf une question dérogatoire). Toutes les wilayas ont déjà transmis les terrains susceptibles d’être amodiés pour cette activité.

Si nous sommes prêts, nous pouvons parler de la date du 15 septembre, puisque, habituellement, la période la plus importante de la chasse se situe du 15 septembre au 15 janvier. Mais avec le réchauffement climatique, les scientifiques peuvent faire glisser cette période vers le mois d’octobre. Mais les démarches biologiques les plus importantes sont en cours, à savoir l’inventaire cynégétique et l’aménagement et les plans de gestion de ce patrimoine cynégétique.

C’est la partie biologique. Le Conseil supérieur installé est à sa deuxième réunion. Il fait d’ailleurs appel aux spécialistes universitaires pour fixer une technique d’inventaire. A noter aussi que dans le cadre de la formation et le protocole d’entraide avec la Gendarmerie nationale, depuis un peu plus d’un mois, une formation au centre nationale des formations des agents des forêts de Beni Slimane à Médéa a eu lieu. Des forestiers sont en effet formés sur les caractéristiques des armes à feu et les mesures de sécurité pour la chasse.



Photo: Ali Mahmoudi. Directeur général de la Direction générale des forêts

Entretien réalisé par Nassima Oulebsir


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