Pour le professeur de sciences politiques Ahmed Rouadjia, «l’urgence est de revoir de fond en comble la culture politique dominante fondée sur le népotisme, l’accès à la rente, les privilèges...»
- La scène politique s’agite à l’approche des élections législatives d’avril 2017. D’après vous, qu’est-ce qui caractérise le climat politique national?
Nous assistons à la répétition du même scénario sous de formes nouvelles pour sauver les apparences d’une légalité quasi absente. Il existe dans le régime politique algérien une tendance à cultiver une légalité de manière excessive et pathologique obsédante pour donner le change.
Pour montrer à l’opinion nationale mais surtout à l’étranger que c’est un régime qui organise des élections, qui se réfère au droit et à la représentation démocratique qui est en réalité totalement inexistante. Les élections à venir sont un rendez-vous pour reproduire les mêmes pratiques et les mêmes représentations de pouvoir. Une reproduction de l’ancien sous une forme nouvelle, trompeuse, qui consiste à faire croire au changement et au nouveau.
Le paradoxe est que le régime politique cultive le droit formel mais qu’il le viole allègrement. Les exemples sont légion. Généralisation de l’arbitraire, dysfonctionnement de l’administration, refus quasi systématique d’un débat national démocratique, manque de respect pour l’opposition que le régime lui-même a sécrété, recours systématique à la diabolisation et la persécution pour faire taire les opposants, instrumentalisation de la justice à des fins politiques, corruption tentaculaire et généralisée et refus des réformes.
Je veux ici parler surtout de la réforme de la justice conduite par l’illustre professeur Mohand Issad, que je connais bien. Il est mort ulcéré par l’impossibilité de l’application de sa réforme. Il s’est heurté à une bureaucratie, à une mafia qui s’est opposée à cette réforme. Et je dois dire sans démagogie que Bouteflika avait la volonté de le faire, mais il s’est heurté à des forces occultes et plus puissantes que le président qu’il était.
- Malgré ce tableau sombre, l’opposition dans sa variété décide de prendre part aux élections...
Avec sa participation, l’opposition donne une caution forte au régime. Elle joue le jeu parce qu’il y a des intérêts financiers énormes, le prestige du pouvoir. Nous n’avons pas encore de véritables partis fondés sur une conviction et un projet national. Une opposition qui n’est pas capable de mettre le hola à la corruption et à l’arbitraire sous toutes ses formes. C’est une opposition enfantée par le régime.
- Votre jugement est dur à l’égard de ces partis. Ont-ils vraiment le choix?
J’établis un constat objectif et implacable. Les partis sont le produit d’un système politique global. Je ne condamne pas les partis politiques ni ne leur accorde de circonstances atténuantes. Il s’agit de l’urgence de revoir de fond en comble la culture politique dominante, fondée sur le népotisme, l’accès à la rente, les privilèges. Une culture politique totalement pervertie. Aucune force politique n’a d’emprise sur la société. Nous sommes tous pris dans un engrenage dont il est très difficile de se désengager.
- L’Etat est-il aussi gangrené
C’est encore pire. Nous sommes en présence d’un Etat court-circuité par des forces. L’Etat est parasité par des réseaux d’intérêt divers que lui-même a suscités et qui le dépassent aujourd’hui, il n’arrive plus à les contrôler. Les institutions de l’Etat sont impuissantes face au poids des réseaux.
C’est le danger qui guette le pays. On observe quotidiennement l’affaissement de l’Etat devant la puissance de ces forces occultes qui, visiblement, ne reculent devant rien. Le régime est pris au piège d’un processus historique dont l’origine remonte au lendemain de l’indépendance. La responsabilité n’est pas individuelle, mais collective et surtout d’ordre structurel.
- Comment se sortir de cet enfermement?
Il faut une mobilisation citoyenne permanente et de manière pacifique. Une lutte de tous les jours engagée par tous et essentiellement par la société civile. Des millions d’Algériens aspirent légitimement au changement. Les décideurs doivent savoir que les gens qui aiment leur pays sont ceux qui se révoltent de manière à forcer les hommes politiques à réviser leurs jugements.
Il devient de plus en plus impossible de continuer à fonctionner et à gérer le pays de la même manière. Le pays regorge de compétences, dans tous les domaines, qui sont marginalisées en raison de leurs opinions politiques.
- De nouveau, le discours alarmiste évoquant des menaces extérieures et des complots contre le pays refait surface.Qu’est-ce que cela vous inspire?
Je suis fondé à dire que la menace ne vient pas de l’extérieur, mais des responsables, de leurs comportements, de leurs décisions et de leurs politiques. Les Algériennes et les Algériens sont dans leur majorité attachés à la patrie. Ce sont les décideurs qui donneraient des prétextes à des puissances étrangères pour interférer dans nos affaires ou fomenter une quelconque révolte. Ce serait de la responsabilité de certains décideurs.
Les menaces internes sont beaucoup plus dangereuses. Elles viennent de la mauvaise et calamiteuse gestion politique et économique des affaires du pays. Recourir à ce type de discours sur la menace extérieure est signe d’un régime qui vit dans une tension permanente. C’est une politique pénible. Les hommes du régime ont des sommeils et des nuits agités. Non seulement ils ne sont pas heureux, mais ils rendent leur peuple malheureux.
Entretien par Hacen Ouali
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 28/12/2016
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: El Watan ; texte: Entretien par Hacen Ouali
Source : elwatan.com du mercredi 28 décembre 2016