Abdelkader Kacher est professeur des universités en droit international et coordonnateur de l’Ecole doctorale de droit et sciences politiques (Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou). Dans cet entretien, il situe les origines de la pollution industrielle dans notre pays, tout en mettant en exergue le décalage entre le fort dispositif institutionnel et juridique de prévention et de lutte contre la pollution et la réalité du terrain qui fait craindre le pire.
- Des décennies depuis l’arrêt de leur importation et l’Algérie traîne toujours d’importants stocks de produits phytosanitaires à usage agricole périmés. Leur élimination buterait-elle sur un vide juridique ? Notre pays n’est-il pas tenu de se conformer aux engagements internationaux auxquels il est partie prenante?
Avant de vous répondre, il est nécessaire de rappeler, pour plus de visibilité, que l’Algérie a constitué pendant longtemps un champ d’expérimentation de toutes sortes de produits chimiques et/ou de substances chimique dans le long parcours de mise en place d’une base industrielle propre qui pouvait répondre à la demande locale. Or, les entreprises et autres sociétés étrangères visaient avant toute chose le gain et le profit, quitte à mettre en danger la santé publique des populations.
La délocalisation des industries polluantes vers les pays du sud a été l’un des objectifs des pays du Nord. L’Afrique constitue toujours «une décharge» pour ces marchands de la mort. Les conséquences sont inconditionnellement catastrophiques pour la survie de l’homme et des espèces et des espaces vitaux pour des millions de ces damnés de la terre.
Cette délocalisation incontrôlée, non maîtrisée et incontrôlable au sud, vient heureusement pour les peuples d’être remise en cause par l’inflation du chômage et les multiples manifestations sociales enregistrées ici et là au niveau de l’opinion publique dans les pays industrialisés du nord. Notre pays, à l’instar des autres pays du sud, doit maintenir son seuil de vigilance à travers la mise en conformité de son corpus juris aux normes universellement admises dans la gestion des stocks existants et à mettre en place et en renforçant plus sa législation antipollution. Toutefois, cette mise à niveau de notre corpus juris doit trouver une application rigoureuse et un suivi sans relâche. Je dois en outre préciser qu’il existe tout un arsenal juridique relatif à l’approche par précaution des dangers induits par les produits chimiques utilisés dans la chaîne de fabrication alimentaire.
La loi n° 2009-03 du 25/2/2009 relative à la protection du consommateur et à la répression des fraudes, le Décret Exécutif (DE) n° 2010-19 du 12 janvier 2010, modifiant et complétant le DE n° 2003-451 du 1er décembre 2003, définissant les règles de sécurité applicables aux activités portant sur les matières et produits chimiques dangereux ainsi qu’aux récipients de gaz sous pressions, le DE n° 2012-203 du 06/05/2012 relatif aux règles applicables en matière de sécurité des produits, le DE n° 2010-69 du 3/01/2010 fixant les mesures applicables lors de l’importation et l’exportation des produits phytosanitaires à usage agricole, le DE n° 97-254 du 8/7/1997 relatif aux autorisations préalables à la fabrication et à l’importation des produits toxiques ou présentant un risque particulier, l’arrêté du 11/1/2011 portant désignation des membres de la commission des produits phytosanitaires à usage agricole, et enfin l’arrêté interministériel du 1er août 2004, fixant les conditions et modalités d’acquisition sur le marché extérieur des matières et produits chimiques dangereux.
- Au moins 145 sites contaminés par des produits organiques dangereux ont été recensés à travers le pays. Comment procéder à la décontamination de ces sites, vu que notre pays n’a ni les moyens ni la technologie requise dans ce type d’opération?
La coopération internationale dans ce domaine, comme d’ailleurs dans d’autres qui nécessitent une maîtrise technologique de haut niveau, ainsi qu’un savoir-faire mis à l’épreuve est la seule voie possible pour accélérer le processus de décontamination. Le principe de précaution est encore une fois invité dans ce genre de «bêtise» humaine.
- Les engagements et conventions internationaux en matière de gestion des substances dangereuses auxquels a adhéré notre pays ne peuvent-ils pas l’aider à s’en débarrasser à travers l’exportation vers des pays qui ont la technologie et le savoir-faire?
L’Algérie est partie contractante de presque la grande majorité des instruments juridiques internationaux et régionaux dans tous les domaines, y compris le domaine touchant aux risques majeurs et la gestion des substances dangereuses. Comme dans d’autres domaines, (droits de l’homme et libertés fondamentales, santé et autres), le constat est amer. La question récurrente qui reste toujours en instance de réponse de qui de droit est l’effectivité opérationnelle de ces engagements qui, pris au sens de la convention de vienne sur le droit des traités (notre pays est tenu par l’obligation de la norme Pacta sunt servanda). Ainsi, notre pays est partie à plusieurs instruments qui engagent la responsabilité des parties.
Il s’agit entre autres du Décret n° 82-440 du 11 décembre 1982 portant ratification de la convention africaine sur la conservation de la nature et des ressources naturelles, signé à Alger le 15 septembre 1968 ; Décret n° 82-498 du 25 décembre 1982 portant adhésion de l’Algérie à la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, signée à Washington le 3 mars 1973; Décret présidentiel n° 92-355 du 23 septembre 1992 portant adhésion au protocole de Montréal relatif aux substances qui appauvrissent la couche d’ozone, signé à Montréal le 16 septembre 1987 ainsi qu’à ses amendements (Londres 27-29 juin 1990) et Décret présidentiel n° 98-158 du 16 mai 1998 portant adhésion avec réserve de la République algérienne démocratique et populaire, à la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières des déchets dangereux et de leur élimination. Cette illustration des textes qui lient notre pays reflète fidèlement le sens de responsabilité prise par l’Algérie. Mais promulguer et ou adapter notre corpus juridique aux normes universellement admises n’est pas suffisant à lui seul si une effectivité rigoureuse n’est pas observable sur le terrain.
- Le tissu industriel aux activités polluantes, de par l’utilisation ou le rejet de substances chimiques toxiques et dangereuses, ne cesse de s’élargir. Comment assigner les entreprises, notamment étrangères à se conformer au principe pollueur/payeur et aux normes de protection de l’environnement universellement établis?
Les malheurs qui se produisent quotidiennement à travers le monde, de la catastrophe de Tchernobyl aux centrales au japon, sont autant d’avertisseurs et d’avertissements pour nous dans la prise de conscience et la gestion du tissu industriel hérité soit de l’époque de «l’industrie industrialisante» ou de la parenthèse de l’ouverture économique non maîtrisée de «bazars» au temps du bicéphalisme du pouvoir financier des années quatre-vingt-dix. Plusieurs unités et sociétés ont vu le jour d’une façon anarchique. Ce qui a produit un «ogre» industriel menaçant la santé publique, plus, la survie, comme je l’ai souligné plus haut, des espèces.
- Les déchets hospitaliers et les produits alimentaires ou de consommation périmés sont d’autres facteurs de pollution que notre pays a du mal à gérer efficacement…
Au plan juridique, la loi n° 2001-19 du 12 décembre 2001 relative à la gestion, au contrôle et à l’élimination des déchets constitue un outil efficace, mais non suffisant pour l’élimination de toutes sortes de déchets. Cette loi est venue encadrer la prise en charge et la gestion des déchets sous toutes leurs formes. La gestion, le contrôle et l’élimination des déchets reposent sur les principes
suivants : la prévention et la réduction de la production et de la nocivité des déchets à la source ; l’organisation du tri, de la collecte, du transport et du traitement des déchets ; la valorisation des déchets par leur réemploi, leur recyclage ou toute autre action visant à obtenir, à partir de ces déchets, des matériaux réutilisables ou de l’énergie le traitement écologiquement rationnel des déchets ; l’information et la sensibilisation des citoyens sur les risques présentés par les déchets et leur impact sur la santé et l’environnement, ainsi que les mesures prises pour prévenir, réduire ou compenser ces risques.
Le domaine de la santé est un autre cas digne d’intérêt pour ce qu’il présente comme urgence dans son aspect lié à la gestion de ses propres déchets. Notre pays n’a pas à inventer le fil à couper le beurre dans ce domaine. Plusieurs pays nous ont précédés dans la mise en place des outils et instruments de prise en charge (juridiques, technologiques et autres). Plusieurs textes législatifs et réglementaires sont édictés dans notre pays ; reste, au risque de me répéter, la volonté politique et administrative de rendre contraignante l’«âme» de ces lois que tout responsable devra se sentir à des moments de son parcours de gestionnaire «coupable» et comptable devant qui de droit.
Pour réduire la facture humaine et financière conséquente au retard enregistré dans le domaine de la prise en charge des déchets hospitaliers, l’observation rigoureuse de certaines règles de précaution, à l’instar des orientations arrêtées dans l’arrêté ministériel du 30 octobre 2008, fixant le cahier des conditions techniques à l’importation des produits pharmaceutiques et dispositifs médicaux destinés à la médecine humaine, parues au JO (70) du 17/12/2008 réduira substantiellement le risque de revivre le cauchemar des déchets hospitaliers qui demandent des siècles entiers pour reprendre le cycle de formation organique.
- Les côtes algériennes voient transiter une moyenne de 2000 navires pétroliers chargés de dizaines de millions de tonnes d’hydrocarbures. D’où leur exposition à des risques de pollution majeure. Pensez-vous que notre pays a les moyens et les compétences nécessaires pour affronter les conglomérats européens et américains du pétrole en cas de graves atteintes à ses eaux territoriales?
Au sens de la loi sur le littoral, ce dernier englobe l’ensemble des îles et îlots, le plateau continental ainsi qu’une bande de terre d’une largeur minimale de huit cents mètres (800 m), longeant la mer et incluant - les versants de collines et montagnes, visibles de la mer et n’étant pas séparés du rivage par une plaine littorale - les plaines littorales de moins de trois kilomètres (3 km) de profondeur à partir des plus hautes eaux maritimes ; l’intégralité des massifs forestiers ; les terres à vocation agricole ; l’intégralité des zones humides et leurs rivages dont une partie se situe dans le littoral à partir des plus hautes eaux maritimes tel que défini ci-dessus, et enfin les sites présentant un caractère paysager, culturel ou historique.
Les risques de plus en plus grandissants que constituent les conséquences de la pollution des milieux marins, notamment en ce qui concerne la mer méditerranée, sont désignés et décriés quotidiennement par l’opinion publique, et notamment par l’industrie de la pêche et de l’aquaculture, créneau d’avenir pour absorber le taux de chômage en constante augmentation dans tous les pays riverains de cette mer commune. L’Algérie est partie aux multiples instruments internationaux de protection des milieux marins, régionaux et euro-méditerranéens pour préserver la méditerranée de la pollution, en partie provoquée par les produits des hydrocarbures par dégazage coupable et, ou par accident.
Ainsi, conformément à la législation algérienne en vigueur, notamment la loi n° 2002-02 du 5/02/2002 relative à la protection et à la valorisation du littoral, et dans le cadre de l’élaboration des instruments d’aménagement et d’urbanisme concernés, l’Etat et les collectivités territoriales doivent veiller à orienter l’extension des centres urbains existants vers des zones éloignées du littoral et de la côte maritime, à classer dans les documents d’aménagement du littoral comme aires classées et frappées des servitudes de non-aedificandi, les sites présentant un caractère écologique, paysager, culturel et touristique ainsi qu’à encourager et œuvrer pour le transfert, vers des sites appropriés, des installations industrielles existantes dont l’activité est considérée comme préjudiciable à l’environnement côtier.
Au plan institutionnel, notre pays est partie prenante dans les instruments qui engagent la responsabilité des parties, à savoi : Décret n° 63-344 du 11 septembre 1963 portant adhésion à la convention internationale pour la prévention de la pollution des eaux de la mer par les hydrocarbures ; Décret n° 80-14 du 26 janvier 1980 portant adhésion de l’Algérie à la convention pour la protection de la mer méditerranée contre la pollution, faite à Barcelone le 16 février 1976 ; Décret 81-02 du 17 janvier 1981 portant ratification du protocole relatif à la prévention de la pollution de la mer Méditerranée par les opérations d’immersion effectuées par les navires et aéronefs, Décret n° 81-03 du 17 janvier 1981 portant ratification du protocole relatif à la coopération en matière de lutte contre la pollution de la mer Méditerranée par les hydrocarbures et autres substances nuisibles en cas de situation critique, et enfin le décret présidentiel n° 98-123 du 18 avril 1998 ponant ratification du protocole de 1992, modifiant la convention internationale de 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures.
- Nombre de différends importants liés à la pollution marine soulevés auprès des instances internationales n’ont toujours pas abouti. En tant que juriste, pourriez-vous nous dire pourquoi?
Les modes de règlement des différends liés à de tels contentieux trouvent toujours un moyen de contourner les règles définissant leur responsabilité. Il n’est pratiquement pas aisé à faire admettre auprès des instances concernées les demandes des plaignants. Les sociétés et/ou Etats responsables des pollution marine ne reconnaissent pas ou reconnaissent seulement à demi mot la part de responsabilité pour fait internationalement illicite ou ayant causé des dommages directs ou collatéraux aux pays dont une partie de leur espace maritime. Ce sont les techniques propres à la procédure et aux moyens de preuve qui contribuent à l’élasticité et la difficulté à charger les parties polluantes. La maîtrise de ces techniques est presque l’une des boîtes de pandore des spécialistes formés en la matière.
Naima Benouaret
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Posté Le : 14/11/2012
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: D. R. ; texte: Naima Benouaret
Source : El Watan.com du lundi 12 novembre 2012