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Algérie - " A/S de la fermeture du quotidien Liberté" - UN MÉTIER EXALTANT ET UNE FAMILLE FORMIDABLE: Ma part de… “Liberté”



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Pas évident. Pas évident du tout de se faire à l’idée que le journal pour lequel j’ai donné ma jeunesse va cesser de paraître. Pas évident de trouver les mots pour décrire…

Liberté, ma Liberté, se conjugue désormais au passé. Le journal s’apprêtait pourtant à célébrer ses trente ans d’une existence qui n’a pas été de tout repos. Entre menaces et attentats terroristes durant la décennie noire et pressions politiques de tous ordres, le journal était pris entre le marteau et l’enclume. À l’heure où j’écris ces mots, je ne peux empêcher les larmes de couler sur mes joues. Je vis cette fermeture comme un drame. Non pas que je perds, ainsi que mes collèges, un emploi, un gagne-pain. C’est une tranche de vie qui s’éteint, un monde qui s’écroule. Liberté a été conçu et a constitué, trois décennies durant, un espace d’expression pour toutes les forces vives de la société. Un journal n’appartient ni à ses propriétaires ni à ses journalistes. Il appartient avant tout à ses lecteurs, aux nombreuses voix qu’il porte. Bien au-delà de la notion pompeuse de service public, trop galvaudée, un journal est au service de la société. Hommes politiques, experts, analystes, intellectuels, hommes de culture, sportifs, simples citoyens… tout le monde doit y trouver sa place. Et, en définitive, c’est au lecteur de faire son choix. C’est convaincu de cette façon de faire du journalisme que j’ai rejoint en septembre 1994 Liberté, dont les locaux étaient au 1er étage d’un immeuble du 37, rue Larbi-Ben M’hidi (ex-rue d’Isly). Fraîchement sorti de l’université et encore imberbe en matière de journalisme malgré quelques collaborations épisodiques avec le prestigieux Alger Républicain et Le Journal et un bref passage à la radio nationale, je débarquais donc dans les locaux de Liberté avec la nette détermination de réussir le test auquel je devais être soumis pour pouvoir intégrer le journal. Trois jours après, on m’annonça par le biais de Razik Rmila, journaliste à la rubrique économique, que j’étais retenu et que je devais donc me présenter pour commencer à travailler.

La voie était ouverte pour pouvoir exercer le métier pour lequel j’étais voué. Animé d’une passion débordante, je me devais d’être à la hauteur de la confiance placée en moi par le staff du journal. Mais lorsque vous avez un encadrement comme celui de l’époque avec les vieux briscards qu’étaient Hacene Ouandjeli, directeur de la rédaction, Zoubir Ferroukhi et Mustapha Mohammedi, rédacteurs en chef. Quelle chance, quel honneur et quel privilège d’avoir côtoyé de telles sommités! J’ai tout appris sous leur coupe. C’est avec eux que j’ai appris les rudiments du métier. Ils m’ont surtout inculqué des valeurs et fait naître en moi une passion sans limites pour le journalisme. Le journal, à cette période, était un véritable tremplin à plusieurs journalistes qui venaient de faire leurs premiers pas dans le métier.

Cette passion nous faisait presque oublier que nos vies étaient en sursis. Le terrorisme battait son plein et il n’y avait pas un seul jour où l’on n’a pas compté un ou des morts parmi la corporation. Liberté a payé le prix fort pour sa résistance au fondamentalisme rompant. Hamid Mahiout (journaliste), Zineddine Aliou-Salah (journaliste), Ahmed Benkhelfellah dit Hamidou (chauffeur) et Nordine Serdouk (chargé de la sécurité) sont tombés sous les balles assassines la même année. 1995 fut des plus horribles pour le jeune journaliste que j’étais, moi qui ai eu la chance de côtoyer ces personnes formidables.

Hasard ou simple coïncidence, au moment où j’écris ces mots, je reçois un appel de mon ancien directeur de la rédaction Hacene Ouandjli avec lequel j’ai bossé huit ans. Huit années tellement riches et denses qui me semblent une éternité. Son coup de téléphone déclencha en moi un flot d’émotions qui m’étrangla presque. Mais je ne pouvais réprimer un sanglot à l’évocation d’une période de ma vie intensément poignante. Hacene était une école à lui tout seul. Pas seulement vous y apprenez le journalisme, mais vous apprenez surtout à le faire avec émotion, avec affection, avec vos tripes. Davantage qu’un simple métier que l’on doit exercer pour gagner sa croûte, le journalisme devient, avec lui, un véritable sacerdoce que l’on se doit d’assumer avec beaucoup d’engagement et de détermination.

Nous étions une grappe de journalistes débutants à profiter de cette offrande pour nous améliorer et nous perfectionner, notamment dans certains genres journalistiques, comme le reportage. Hassan Moali, Samia Lokmane, Saïd Rabia, Mustapha Belfodil et bien d’autres doivent s’en souvenir.

Et, à ce propos, je ne peux parler du travail magnifique accompli dans ce cadre sans évoquer notre ancien photographe émérite, je nomme Lazhar Mokhnachi, un féru du reportage qui n’est plus de ce monde. C’est avec lui que j’ai sillonné le territoire national pour raconter, témoigner, rapporter le vécu souvent rude des petites gens, ces oubliés de la machine médiatique, vivant à l’ombre de la société. Et c’est cela qui donne un sens à ce que nous faisons. La plus grande satisfaction que m’a procurée l’exercice du métier à Liberté est celle de servir les autres, d’être à l’écoute des plus faibles, de répercuter les plaintes et complaintes, de donner la parole à ceux qui en sont privés. Et c’est cela que l’Algérie perd aujourd’hui. Avec la disparition de Liberté, c’est un pan de la vie nationale qui s’écroule. La voix des sans-voix, le porte-étendard des libertés, le défenseur des opprimés va s’éteindre dans le fracas d’une politique chaotique qui n’a eu de cesse de ruiner les espoirs d’un lendemain meilleur. Je n’ai plus de voix, mes mains tremblent, ma plume s’affaisse, incapable de rajouter quoi que ce soit sur un parcours pourtant riche et dense et dont je ne garde en tout cas que le meilleur.




Photo: Hamid Saïdani

Hamid SAIDANI


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