Un ouvrage qui renoue avec la littérature dite «algérianiste».
Les auteurs utilisent parfois certaines recettes qui peuvent tromper le lecteur le plus aguerri, pour pouvoir le contaminer avec une idéologie désuète. Quand le récit est fluide, servi par un style chatoyant, la muraille critique peut s'effondrer et la vigilance s'estomper. Le lecteur muré dans son mirador littéraire se trouve submergé par une horde de clichés et de lieux communs qui viennent à bout de toutes ses résistances jusqu'à le faire douter de ses convictions. Ce prélude était nécessaire avant de plonger dans le pavé de 456 pages intitulé, «Alger sans Mozart». Un roman écrit à quatre mains par le duo Michel Canesi-Jamil Rahmani, tous les deux médecins spécialistes.
Profitant donc du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie, les voix nostalgiques retrouvent droit au chapitre pour remettre au goût du jour les vieilles lamentations des tenants de l'Algérie française. Les deux auteurs ont sûrement lu toute la multitude de textes publiés par les voyageurs, venus au XIXe siècle en Algérie. Ceci leur a permis de tirer la quintessence des stéréotypes pour l'emblaver dans ce terreau fertile qu'est «Alger sans Mozart».
Dès l'entame du roman, le duo de choc attaque fort. Louise, l'héroïne du roman qui symbolise la France, et sa s'ur Christine, en visite au mausolée de Yemma Gouraya à Béjaïa, se font apostropher par une femme de couleur (elle devient négresse sous la plume du duo). On est déjà dans le récit de voyage colonial, saturé par les théories raciales en vogue sous la troisième République. Elle leur prédit un sort peu enviable et des destins tragiques : «Toi (s'adressant à Louise), grâce à Dieu, tu vas rester là, tu vas te marier ici, tu seras heureuse et puis malheureuse, très malheureuse, plus que tout le monde, mais tu ne pourras jamais partir, sauf pour mourir. Cette terre, ta vie lui appartient !».
C'est le cliché fondateur du roman où l'on stigmatise les pratiques superstitieuses des autochtones. A partir de cet instant, tout se décide, l'avenir vient de s'écrire. Louise, qui fréquente l'université, rencontre Kader, un étudiant en médecine proche du FLN. Ils deviennent amoureux l'un de l'autre et il la pousse même à travailler pour la résistance algérienne en transportant des médicaments. Elle s'étonne de son engagement, elle, fille de pionniers alsaciens qui ont exploité des générations d'Algériens. Pour pimenter l'intrigue, son beau-frère, Gérard, intègre les groupes de choc de l'OAS. De toutes les façons, elle n'a jamais aimé le mari de sa s'ur.
Par contre, elle était proche de son neveu Paul. Et, justement, cette proximité avec un neveu qui a presque son âge, la trouble et lui donne des sentiments difficiles à exprimer, entre le désir du c'ur et la désapprobation sociale. Louise devient un personnage tragique pris au carrefour de plusieurs dilemmes. Mais au risque de se brouiller avec sa famille, elle prend le parti de rejoindre Kader en Suisse. Ce dernier a été exfiltré d'Algérie pour poursuivre ses études de médecine. On prépare déjà l'après indépendance. Louise se retrouve sans rien à cause de ses choix. Sa famille repart en France, son neveu Paul meurt dans un accident, son beau-frère aussi, abattu par l'armée française sur les barricades d'Alger.
L'euphorie de l'indépendance aidant, le couple qu'elle forme avec Kader devient à la mode sur la place d'Alger. Ils rencontrent les personnages les plus illustres de la politique nationale et les révolutionnaires en vue comme le «Tché». Mais dans ce déroulement heureux, quelques couacs surgissent. Les atavismes reprennent le dessus sur une modernité supposée, surtout quand la belle-famille devient envahissante et désobligeante. Tout cela du point de vue de Louise.
Kader n'est qu'un fantôme qu'on charge de tous les maux sans qu'il ait droit à la parole. Le couple, version européenne, s'enlise parce qu'il n'est pas centré sur lui-même et finit par se séparer. Kader ne supporte plus les disputes et la stérilité de son épouse. D'autres personnages viennent soulager Louise du poids de la narration. Le lecteur découvre un autre neveu de Louise, un certain Marc, de retour en Algérie. Cinéaste égoïste, odieux envers tous, imbu de sa personne, mal dans sa peau, manipulateur, quelqu'un qu'on n'aimerait ni rencontrer ni avoir dans son entourage. Il va s'allier avec Sofiane pour écrire un scénario sur la vie tumultueuse de Louise. Ce Sofiane est un voisin de Louise qu'elle a pris en sympathie. Très curieux de nature, il a soif de tout. Elle va lui transmettre tout ce qu'elle sait sans oublier de lui raconter sa vie.
En chargeant Sofiane de soutirer à Louise ses secrets d'alcôve, Marc dispose ainsi de la biographie de sa tante et le tournage du film commence à Tanger. Sofiane découvre l'univers peu reluisant des plateaux cinéma et se brouille avec Marc, qui a tenté de le séduire. Pour se défendre, Sofiane allait commettre l'irréparable. Enfin, juste pour ne pas oublier les clichés qui saturent le roman, on peut relever celui de la relation entre Louise et Sofiane, où l'on voit celle-ci faire accéder Sofiane à la civilisation en lui apprenant à bien parler, à bien se tenir en société et à goûter à la musique raffinée. Canesi et Rahmani ont réussi à remettre au goût du jour une idéologie désuète qui ressuscite la mouvance des auteurs algérianistes, laudateurs pathologiques du colonialisme.Slimane Aït Sidhoum
Canesi & Rahmani, «Alger sans Mozart», roman. Editions Naïve, 2012.
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Posté Le : 29/12/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : El Watan
Source : www.elwatan.com