Algérie

Alger-Paris : business as usual ?



Entre la lettre de félicitations du président Abdelaziz Bouteflika, dont la teneur va au-delà des missives d'usage après une élection présidentielle, et les commentaires acides et dubitatifs de la presse algérienne après l'élection de Nicolas Sarkozy, le contraste est très lisible. Tandis que la lettre chaleureuse d'Abdelaziz Bouteflika au nouveau Chef de l'Etat français paraît ménager l'avenir, les commentaires de journaux sondent déjà ces lendemains et pas du tout en rose. Ce contraste n'est guère surprenant. Si l'Algérie officielle, qui en général préfère la droite en France, joue la carte du réalisme, la presse, elle, reflète assez bien l'état de l'opinion algérienne qui aurait préféré l'élection de Ségolène Royal. Mais ce n'est pas la presse qui fait la politique de l'Algérie et dans ce cas de figure, elle se contente de renvoyer l'image, rude, autoritaire voire bushienne, que Sarkozy a donné de lui-même au cours de ces longues années de campagne pour l'Elysée. Dans l'Algérie officielle, la traditionnelle suspicion à l'égard des socialistes français reste de mise et l'élection de Nicolas Sarkozy, à défaut d'être une bénédiction, est sans doute préférée à celle de Mme Royal. Dans sa lettre à Sarkozy, le Chef de l'Etat dit pouvoir compter sur lui « pour impulser ensemble les relations algéro-françaises et leur conférer une ampleur et une profondeur correspondant aux ambitions que nos deux pays se sont assignés ». Vaste programme qui n'est pas sans rappeler les ambitions d'une relation privilégiée et d'un « partenariat d'exception » voulues, dès 2003, avec Jacques Chirac. Or, si ce projet n'a pas abouti avec un Jacques Chirac, le nouveau Chef de l'Etat français est, sur certains registres, beaucoup moins ouvert que le président partant. Sur le « traité d'amitié » qu'officiellement personne n'a décidé d'enterrer, les prises de positions du candidat Sarkozy, flattant l'extrême droite et même les anciens de l'OAS, ne font que l'éloigner. On peut douter que ce projet soit, à court voire à moyen terme, remis sur le tapis. En matière de relations entre Etats, qui ne sont pas mauvaises, tout indique qu'on ne sera pas dans la vision ambitieuse de Chirac-Bouteflika qui a échoué sur les questions d'appréciations de l'histoire coloniale. On entre dans cette fameuse «realpolitik», qui n'a jamais déserté les relations entre les deux pays, malgré la fameuse loi du 23 février et les discours, jugés abrupts à Paris, de Bouteflika sur le génocide colonial. Mais cette « realpolitik » pourrait être bousculée si le nouveau président, joignant les promesses électoralistes à l'acte gouvernemental, entrait dans une nouvelle version de la glorification du colonialisme ou s'il poussait le bouchon jusqu'à réhabiliter les tueurs de l'OAS. Même si la politique en général et la politique étrangère reste du domaine réservé du Chef de l'Etat algérien, une telle évolution serait perçue comme une provocation au sein de l'opinion algérienne et cela ne sera pas sans conséquence au niveau des relations entre les Etats. On peut ajouter que l'opinion algérienne est sensible à la manière dont les « cousins indigènes » de France sont traités même si l'Etat algérien s'abstient de s'exprimer sur le sujet. Mais, dans les relations d'Etat, les questions mémorielles restent importantes et pourraient entraver la vision purement « business » de l'avenir des relations algéro-françaises exprimée par le candidat Sarkozy et qui, au fond, ne déplaît pas au pouvoir algérien. L'on se rappelle qu'il a proposé une sorte de « troc » dans le domaine énergétique par un transfert de la technologie nucléaire civile contre un partenariat dans l'exploitation des champs gaziers. La proposition, vague, de Sarkozy se voulait un substitut économique au traité d'amitié. Mais dans ce domaine, le champ est déjà ouvert, dans les limites de la loi sur les hydrocarbures. En outre, dans le domaine du nucléaire civil, il existe d'autres concurrents qui ne se posent pas en sorte de « garant » du bon usage du nucléaire par l'Algérie. En fait, si le traité d'amitié est bien du passé et que le « business » - qui a toujours existé - prendra plus de poids, cela reste tributaire de la manière dont Sarkozy gèrera les questions mémorielles. Et dans ce domaine, il a, vu d'Alger, le défaut d'être sur la trame du « révisionnisme colonial ». D'autres termes de friction existent comme la question de circulation des personnes. Sur la question du Sahara Occidental, Alger a, d'une certaine manière, appris à faire avec le soutien de Paris au Maroc. La limite dans ce domaine est qu'Alger refuse que des « pressions amicales » viennent l'inciter à changer de position. Si ces points de friction sont gérés de manière acceptable, les relations entre Alger et Paris, à défaut de l'aspect flamboyant dont Bouteflika et Chirac voulaient les parer, ce sera « business as usual ».


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