Algérie

Alger et ses ordures



Au lendemain de la prise d'ALGER, les premières patrouilles qui l'arpentèrent furent surprises par les tas d'immondices encombrant certaines rues et places en particulier dans la Casbah où certaines ruelles dégageaient une odeur pestilentielle.
Pourtant il existait bien un service de collectes d'ordures, des ânes équipés d'un chouari, qui, de temps à autres, évacuaient les détritus dans des terrains vagues environnants.
Les autorités françaises, tout en conservant ce système, l'améliorèrent au fil des ans.
Les ânes, et ce jusqu'en 1962, furent toujours utilisés dans la Casbah, la topographie des lieux ne permettant point une quelconque mécanisation.
Les percements, par le Génie Militaire de différents axes à travers la ville et les nouvelles constructions d'édifices le long des nouvelles voies créées permirent d'améliorer la collecte des ordures grâce à des tombereaux tractés par un ou deux chevaux.
Auguste ROBINET, alias MUSETTE, dans l'une de ses nouvelles avait fait de CAGAYOUS " un fonctionnaire municipal " conducteur de tombereau des ordures.
Avec la mécanisation, des camions poubelles remplacèrent petit à petit les tombereaux qui survécurent jusque dans les années 50.
Plusieurs dépôts d'ordures firent aménagés en particulier au ravin de la Femme Sauvage et au-delà de Fort L'Empereur mais ils s'avérèrent vite saturés.
La municipalité d'Alger, très préoccupée par cet épineux problème, chercha en vain des solutions.
Certains érudits soumirent des propositions plus ou moins farfelues telles que l'incinération des ordures dans la carrière de BAB-EL-OUED ou leur immersion dans la baie d'Alger, lorsqu'une opportunité se présenta dans les années 1920.

Les maraîchers de FORT DE L'EAU, ces descendants des pionniers mahonnais qui avaient créé le village et dont les terres cultivables avaient été rapportées après le dessèchement des marais de la MITIDJA, étaient preneurs.
Les C.F.R.A., à partir de 1898, exploitaient une ligne de chemin ' de fer sur route partant de sa gare de BAB-EL-OUED et reliant AIN-TAYA en passant par FORT DE L'EAU et CAP MATIFOU.
Cette ligne, à voie unique, était fréquentée par des trains de voyageurs, surnommés " le bou youyou ", mais aussi par des convois de . marchandises dont le principal produit transporté était des barriques de vin.
Au lendemain de la Grande Guerre, les transports automobiles .de passagers s'étaient développés d'une façon anarchique, mettant en ' difficulté financière les compagnies de chemin de fer dont les tarifs étaient le double de ceux pratiqués par les sociétés d'autocars.
Un accord fut conclu entre la ville d'ALGER et les maraîchers ,"qui acceptaient de récupérer gratuitement les ordures ménagères à condition qu'elles soient livrées sur place.
La ligne des C.F.R.A. se vit amputée de son transport de `voyageurs ainsi que du tronçon FORT DE L'EAU / AIN TAYA et ne servit plus qu'à l'acheminement des ordures.
Le " bou youyou " rebaptisé " le train des gadoues ", sur son parcours, de la gare des C.F.R.A. de BAB-EL-OUED où étaient chargées les ordures, parfumait les quais du port, traversait MAISON CARREE où il concurrençait l'oued HARRACH... et enfin le village de FORT DE L'EAU, station balnéaire fréquentée par les Algérois.

Les ordures étaient transportées sur wagons plats à ridelles, tecouverts d'un simple filet à grosses mailles, laissant parfois échapper une partie de son chargement au passage des aiguillages.
Le déchargement de la cargaison se faisait tout simplement le long de la voie ferrée au plus près des maraîchers destinataires.
Chaque maraîcher eut sur son exploitation une montagne d'ordures sur laquelle s'ébattaient un troupeau de cochons, plus sales les
que les autres, et qui permettaient la confection de la fameuse gadoue qui fertilisait les sols.
Et c'est ainsi que les primeurs de FORT DE L'EAU, exportés en métropole faisaient le bonheur des fins gourmets...
Les cochons, engraissés à faible coût, achevaient leur vie aux abattoirs d'ALGER et se retrouvaient ensuite chez les charcutiers.
Quant au maraîchers de FORT DE L'EAU, devenus éleveurs de cochons par obligation, ils virent leurs revenus augmenter plus que sensiblement sans trop d'effort.
Le " train des gadoues " fonctionna jusqu'en 1948 puis laissa place à des camions, la. caisse, équipée de ridelle de 2 mètres de haut, l'étanchéité de la partie supérieure était assurée par un filet, qui acheminaient toujours les ordures de la ville d'Alger en 1962.
FORT DE L'EAU avait une spécialité culinaire qui avait largement dépassé les frontières de la commune : la charcuterie mahonnaise.
Les cochons des gadoues en étaient-ils l'élément de base ? Tous les charcutiers de FORT DE L'EAU vous juraient le contraire, prétendant faire élever leurs cochons à l'ancienne dans des fermes, dont ils se gardaient bien de dévoiler le lieu, par crainte de concurrence...
En 1962, à l'indépendance de l'Algérie, les maraîchers quittèrent FORT DE L'EAU, abandonnant leurs tas d'ordures et leurs cochons.
Un indigène du village se chargea de les récupérer et les vendit aux abattoirs d'Alger, ce qui lui permit de se faire construire un vaste hammam qu'il exploita.
Les tas d'ordures orphelins ne produisirent plus de gadoue et les jardins maraîchers devinrent bien tristes malgré un épandage très soutenu d'engrais chimique qui ne profita qu'à son fabricant, la société de BAYER.
Les ouvriers agricoles indigènes qui, à l'époque des européens, travaillaient chez les maraîchers se plaisaient à dire " que les mahonnais avaient emporté avec eux le secret de la culture " .
De quatre récoltes de pommes de terre par an, on n'en faisait plus qu'une, et encore on ne récoltait que des billes...
Pour remédier à cette situation, on fit appel à des ingénieurs agronomes des pays de l'est qui préconisèrent la culture intensive sous serre.
FORT DE L'EAU, où l'arrachage de la vigne avait libéré quelques 1.500 hectares, se couvrit en grande partie de serres mais ne produisit que quelques paniers de légumes, les norias, tombées en panne par manque d'entretien, rendant l'arrosage aléatoire, ce qui fit dire à certains anciens ouvriers agricoles "que les mahonnais en partant avaient aussi emporté avec eux l'eau ".
Deux années plus tard, les serres, laissées à l'abandon, étaient envahies d'herbes et, dans les anciennes vignes, les plans de tomates et de courgettes, étouffés par la vinaigrette, n'arrivèrent jamais à maturité.
Et c'est ainsi que s'acheva la culture maraîchère de FORT DE L'EAU, les constructions envahissant petit à petit les jardins qui ne sont, aujourd'hui, plus qu'un lointain souvenir du passé.

Pierre CARATERO




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