La ville
accueille actuellement trois grandes manifestations ouvertes au public jusqu'au
20 août prochain. Scénographie parfaite, panorama très complet, accrochage sans
défaut : les Algériens ont bien travaillé. En plein centre-ville, le magnifique
Mama héberge, outre la rétrospective Mesli (Algérie), une exposition de
photographies intitulée «Reflets d'Afrique». Trente photographes présentent
leur travail. Le parcours passe des scènes de la vie quotidienne aux diverses
représentations de soi. Samuel Fosso (Centrafrique), se métamorphose au fil des
images, en reflets bigarrés : il se montre, c'est son cliché le plus connu, en
roi, paré de toute la panoplie traditionnelle des signes du pouvoir ; mais
aussi en pirate armé de son crochet ; mais encore en bourgeoise élégante, toute
de noir vêtue, posant, devant l'objectif, comme pour l'éternité. L'ironie du
regard fait écho à l'oeil tendre et amusé des portraits de la jeune Dora Dhouib
(Tunisie). La diversité des approches est grande : de la photographie
documentaire aux fictions photographiées, l'écart est immense. Que d'émotion
devant le mélancolique portrait de petite fille de Pierrot Men (Madagascar) !
C'est, aux antipodes du désespoir, la vision d'une vie paisible que Vincent
Montocchio (Maurice) offre avec sa sieste au bord de l'océan. On devine la
douceur de l'alizé.
Les artistes du continent sont talentueux et
prolifiques. Il s'agit là de présenter la photographie dans son aspect le plus
général : de la couleur au noir et blanc, du numérique à l'argentique, de
l'impression sur toile au développement papier. La vidéo a également une place
de choix : c'est de l'image animée. Les yeux qui s'emplissent de larmes de Guy
Woutte (Cameroun) disent bien le propos : «We never had choice but we are still
Alive». Moataz Nasr, présent également à la Biennale de Venise, fait voir ce
qui, dans une ville comme Le Caire, mais aussi ailleurs, est l'ordinaire du
passant comme du voyageur : les montagnes de mousse industrielle dont on fait
aussi bien les éponges que les matelas. Comme on fait son lit, on se couche. Le
commissaire de cette exposition, Noureddine Ferroukhi, veut montrer, tout
simplement, ce qui se photographie, en Afrique, jusque dans son intimité et
dans sa fantaisie. L'histoire, qui n'est pas oubliée, concentre de multiples
thématiques, du jazz à la politique, de l'apartheid au combat des femmes. Sasa
Massimba (Zimbabwe) présente la lutte qui fait accéder un peuple à la
démocratie. Patrick Mac Kenzie (Afrique du Sud) s'intéresse, quant à lui, à
Nelson Mandela. L'urbain met Samy Balogy (Congo) et Karim Abdesselem (Algérie)
à l'honneur.
A la Safex, le Palais des expositions abrite
«La modernité dans l'art africain d'aujourd'hui». Cette grande exposition voit
défiler des familles entières, des enfants amusés, des Touaregs en goguette. Ce
ne sont pas seulement ses artistes qui attirent l'attention mais, également,
ses visiteurs car il est bon de découvrir ce qui se fait (de mieux) sans façon.
On regrettera qu'aucun service de navettes gratuites n'ait été mis en place
pour faire bénéficier tous les citadins de la découverte de ces oeuvres de
premier plan.
Une série de grandes toiles de Mustapha
Goudjil (Algérie) décline une silhouette de femme portant une valise. La
meilleure la fait voir sur un fond de casquettes de militaires. Elle évoque les
dictatures qui, sur n'importe quel continent, ont fait la preuve de leur
férocité. «Conflict» est un très grand autoportrait de Nirveda Alleck (Maurice)
qui la présente assise, contemplant pensivement son double, debout. Dans son
triptyque, les personnages sur fond blanc illuminent les toiles. Samba Fall
(Sénégal) présente un travail magnifique, intelligent, ingénieux. Sa critique
de la consommation est radicale. Les dessins en rouge, noir et blanc s'animent
dans des collages qui juxtaposent les chiffres, comme les codes barres, et les
lettres, avec les extraits d'articles de journaux. Trois bonnes fées ont veillé
sur cette «modernité» : Nadira Laggoune, Zoubir Hellal, Noureddine Ferroukhi.
Les installations et la vidéo l'emportent ici
sur la peinture. Ernest Duku (Côte d'Ivoire) accumule les amulettes. Rahim
Sadek (Algérie) montre, dans «la réalité de mon angoisse», une armée d'insectes
géants qui se rapprochent dramatiquement de la mer. Dans l'horreur, la phobie
devient réalité. Ali M'Rovill dit Napalo (Comores) travaille le trompe l'oeil :
le faux bois dissimule la différence des objets qu'il expose dans son
installation et occulte la dissemblance des situations car le baril de pétrole
vaut infiniment plus que la baguette de pain ou la porte sur laquelle une
valise est, proprement, collée. Des plaisanteries fort sérieuses font l'objet
de l'installation de Faten Rouissi (Tunisie). Une série de grandes médailles
disposées en cercle disent l'«art contemporien», comme elle l'écrit, en lettres
d'or, avec beaucoup d'humour. «Dis-moi qui tu fréquentes...» est, chez elle, le
sous-titre de «Facebook». «Ya Mektoub» promet une poche en jean remplie de
louis d'or. Il est, enfin, possible de flotter, imaginairement, dans l'espace
onirique créé par Achilleka Komguen (Cameroun).
A la Safex, le Mama «hors les murs» accueille
en outre «Africaines». Cette exposition conçue par Nadira Laggoune entend
rompre avec les clichés sur le sexe de l'art, sur l'identité ou l'africanité
des artistes. C'est, plutôt, un festival d'images qui, des femmes, et de
l'Afrique, ne saurait être un tour d'horizon. «Africaines» est l'affirmation
d'une présence dans les différences. Dans cette Afrique plurielle, Angèle
Ettoundi Essamba (Cameroun) montre «l'élégance et la grâce» de femmes dont les
voiles n'entravent ni la marche ni les mouvements tant ils sont légers et
aériens. Michèle Magema (Congo) suspend la vision ordinaire. Sa série de
photographies est prise dans un miroir dont les reflets sont, comme les prismes
de notre mémoire, aussi infidèles que flous. Quand on connaît le travail de
couture si typique de l'art décoratif égyptien, on appréciera d'autant plus le
détournement que Susan Hefouna (Egypte) opère avec ses canevas brodés de
constellations signifiantes : djemil (beau) s'inscrit en caractères arabes
comme kalam (paroles) en caractères latins. Combien de langues, en effet,
parle-t-on ? Et pour quelles pensées ? La diversité linguistique est également
une diversité culturelle, et, par là, une richesse.
Larissa Hoops (Kenya) revisite une autre
tradition, celle de la nature morte. Ses tables de fortune (des sacs d'aliments
en font office) recouvertes de wax supportent ce qu'il y a à lire et à manger :
la presse («Residents turn to toxic fruits as hunger bites») voisine avec des
bananes, une orange, une bouteille de «tomato ketchup» Heinz. Que de peaux de
banane à éviter ! «L'Hameçon» est une pièce très originale réalisée avec
beaucoup de brio par une jeune artiste, Fatima Chafaa (Algérie) : de fragiles
libellules aux seins proéminents, faites de papier blanc, sont accrochées à de
longues cannes à pêche. Leur sort ne dépend pas d'elles. Des images de figuiers
de barbarie, dont on sait combien ils sont importants dans la délimitation de
l'espace de la maisonnée dans la campagne algérienne, entourent le dispositif.
Bernie Searle, enfin, est une star de l'art contemporain. Soweto, on le sait, a
connu d'horribles massacres. Avec «L'esprit de 78», Bernie Searle offre une
vidéo dont la délicatesse, la subtilité, la puissance emportent le spectateur
dans une émotion et une ivresse dont il ne sort pas indemne.
Seloua Luste
Boulbina (philosophe, critique d'art)
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Posté Le : 26/07/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Leila Ould Kablia
Source : www.lequotidien-oran.com