Algérie

ALEXANDRE SOLJENITSYNE EST DÉCÉDÉ


L’intellectuel engagé
«A la fin de ma vie, le matériel historique que j’ai collecté, entrera dans les consciences et la mémoire de mes compatriotes», avait-il espéré. L’écrivain russe Alexandre Soljenitsyne, 89 ans, grande figure de la dissidence en URSS et auteur de romans monumentaux sur les camps soviétiques tel L’Archipel du Goulag, est décédé dans la nuit de dimanche à lundi à son domicile à Moscou.L’homme, prix Nobel de littérature est une de ces grandes voix où il est vain de distinguer la part de l’art et celle du combat. Comme Tolstoï en Russie, comme Voltaire ou Hugo en France il appartient à la catégorie des lutteurs, appelés «dissidents», incarnant le refus de la société injuste dans laquelle ils vivaient, une résistance au nom de quelque chose d’imprescriptible. Tolstoï refusait la société d’Ancien Régime, fondée sur l’inégalité et voyait dans le moujik méprisé l’incarnation d’une vie accordée à Dieu. Soljenitsyne personnifia l’intellectuel qui refuse le communisme, athée et totalitaire. «Il est décédé à la suite d’une insuffisance cardiaque aiguë à Moscou», a déclaré son fils Stepan, cité par l’agence de presse Itar-Tass. Soljenitsyne restera à jamais «l’écrivain du Goulag». Celui qui, avec le Varlaam Chalamov des Récits de la Kolyma, a donné des visages et des voix à la misère concentrationnaire, révélant au monde la réalité du système concentrationnaire soviétique dans ses ouvrages.Élève à l’école et à l’université des sciences de Rostov sur le Don, il étudia la littérature, les mathématiques et la doctrine communiste qu’il connaissait bien. Il adhère aux idéaux révolutionnaires de l’époque.Lors de l’invasion allemande en 1941, il se bat comme artilleur. Condamné en 1945 comme traître, à huit ans de détention dans un camp de redressement par le travail pour activités contre-révolutionnaires, le caucasien est condamné à sa sortie à l’exil définitif au Kazakhstan. Tout en enseignant les mathématiques et la physique, il écrit en secret. Si son premier roman Une Journée d’Ivan Denissovitch est paru en 1962 de manière officielle, d’abord dans la revue Novy Mir puis en librairie, grâce à Khrouchtchev, ce ne sera pas le cas des suivants Le Premier cercle et Le Pavillon des cancéreux en 1968, et les premiers tomes de L’Archipel du Goulag en 1974. C’est ce dernier livre, publié, pour défier la censure, en russe à Paris chez son ami Nikita Struve des éditions orthodoxes du Ymca, qui lui vaut d’être aussitôt déchu de la citoyenneté soviétique et expulsé, quatre ans après avoir été couronné du prix Nobel de littérature.Exilé en Suisse puis installé dans le Vermont où il se consacre à son grand cycle historique et romanesque de La Roue rouge, il reçoit, en 1974, Bernard Pivot pour un «Apostrophes» exceptionnel et lui confie: «Bien que la situation en Union soviétique n’offre aucun signe réconfortant, j’ai en moi le sentiment, la conviction, que je reviendrai, vivant, dans ma patrie. Et pourtant, comme vous le voyez, je ne suis pas jeune...» a t-il souligné. Il ne rentra chez lui qu’en 1994 après la chute du mur de Berlin. Depuis, après avoir tenté de jouer un rôle politique dans son pays, il renonce, découragé par ce qu’il tient pour la déliquescence de la civilisation slave.Il se retire dans sa datcha près de Moscou pour se consacrer à ce qu’il sait faire le mieux: écrire.Une langue haute en couleurs, pleine de vigueur, un débit torrentueux, une précision documentaire dans la reconstitution de l’Histoire, un souci obsessionnel du détail juste, tel était le style de cet écrivain pour qui un régime qui écrit «dieu» avec une minuscule et KGB avec des majuscules, ne mérite pas le respect. Il poursuit la rédaction des «noeuds» de La Roue rouge ainsi qu’une oeuvre très controversée sur les juifs et les Russes avant, pendant et après la Révolution sous le titre Deux siècles ensemble.Ainsi, depuis son retour sur sa terre natale, il s’était montré critique envers l’Occident et aussi envers l’évolution de la Russie post-soviétique, appelant à un retour aux valeurs morales traditionnelles.Durant ses vingt années américaines, plus encore que par la suite, il ne pensait qu’à ça: écrire.Travailler et travailler encore, tout à sa passion de la langue et de l’histoire russes. Comme s’il avait engagé une course contre la montre pour accomplir ses différentes missions d’écrivain, avant l’heure fatale.Il avait d’ailleurs choisi l’Amérique en raison de la richesse des bibliothèques universitaires en manuscrits russes, documents et livres sur la Révolution de 1917. Ses fiches et ses feuilles étaient recouvertes d’une fine graphie ne laissant pas un seul espace de libre. «A la fin de ma vie, le matériel historique que j’ai collecté entrera dans les consciences et la mémoire de mes compatriotes», avait-il espéré.
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