D 'après
l'extrait de naissance d'Albert Camus, dont copie est en notre possession,
tirée de l'ouvrage de Chantal Warion (1), l'illustre prix Nobel de littérature
est certes enregistré dans la commune de Mondovi, mais il est né à Saint Paul,
une colonie agricole, située à 10
km du chef lieu communal, attenante à un autre centre
colonial du nom de Chapeau de gendarme ; les deux lieux furent rebaptisés, au
lendemain de l'indépendance, et portent depuis le nom de Chbaita Mokhtar,
wilaya de Tarf.
Considérer Albert
Camus comme natif de Mondovi, c'est, me semble-t-il, prendre le risque de
dresser un portrait lacunaire, d'autant qu'il s'agit de quêter sur ses origines..
La deuxième
lacune se rapporte, d'après les informations en ma possession, en tant
qu'enfant de ce village, au fait établi qu'Albert Camus n'avait jamais
fréquenté l'école de Mondovi, contrairement à ce qui est avancé par différents
articles de presse. Cette information est du reste corroborée par une
correspondance, écrite de la main de l'écrivain, annonçant sa venue pour le
mois de février 58, afin de répondre en personne à l'invitation qui lui était
faite de visiter Mondovi. Et Camus de préciser : «où je suis né sans le
connaître ; lors de la mobilisation d'Août 1914, j'avais 9 mois».
D'ailleurs, la
couverture de l'événement par la presse fait état de «l'école Bachir El BrahimI
de Dréan fréquentée par l'élève Camus», raison pour laquelle une réception des
autorités locales, en présence de l'ambassadeur de France, fut organisée en ce
lieu le 23 janvier 2012… Or, il se trouve qu'à cette époque l'école en question
était réservée aux filles, jusqu'aux premières années de l'indépendance de
l'Algérie, et non celle des garçons… Cette assertion de la presse semble tenir
la route, puisque la réception s'est tenue à l'école de filles et non, comme le
veut la coutume, au siège de l'APC (mairie).
La troisième
anomalie se rapporte à la plaque commémorative posée dans la maison visitée par
la délégation, accompagnant son excellence l'ambassadeur de France, où était
prétendument né Albert Camus. Comme évoqué, il ne s'agit pas du lieu de
naissance du futur prix Nobel, mais de la maison où avait vécu pendant quelques
mois Mme Camus, avant de partir avec ses deux enfants à Alger, suite au décès
de son mari dans la bataille de la
Marne en 1914.
Aux dernières
nouvelles, la plaque dévoilée à la mémoire d'Albert Camus a disparu, au
lendemain de la commémoration officielle par les autorités locale et
l'ambassadeur de France...
Comme quatrième
situation incompréhensible, une plaque commémorative est également dévoilée au
chef lieu de Wilaya à El Tarf, à 63
Km de Mondovi (Dréan) et à peu près à la même distance
de Saint Paul (Chbaita Mokhtar) où Albert Camus a vu le jour. Pourquoi ce choix
pour le moins étrange ? A la limite, n'était-il pas plus pertinent de poser
cette plaque commémorative à Annaba, ancien chef lieu d'arrondissement du temps
où Camus était né, distante du lieu de naissance de 14 km seulement. A Annaba,
peut-être aurait-il pu accompagner dans sa profonde solitude un autre
personnage haut en couleur, en l'occurrence Saint Augustin, longtemps ignorée
lui aussi par son pays, n'était l'intervention du Chef de l'Etat en personne en
2000 pour réhabiliter son nom et sa mémoire…
Comme cinquième
élément, Albert Camus est à son tour réhabilité à titre posthume par son pays,
initiative louable s'il en est pour rendre justice à l'homme et à son Å“uvre,
dans l'intérêt bien compris de l'Algérie et des terres de naissance et
d'adoption d'un des plus grands penseurs du siècle dernier. N'aurait-il pas été
plus judicieux, afin d'éviter ces tribulations à répétition, de rebaptiser la
rue qui portait le nom du prix Nobel de 1958 à 1962 ? Rappelons que le nom
d'Albert Camus fut remplacé par ceux de Feddaoui Messaoud, dans une section de
la rue et dans la deuxième par Belfoul Ahmed ; deux illustres martyrs de la
révolution, auxquels on pourrait donner à l'un le nom du nouveau village situé
dans les terres Boufara, d'autant que cette nouvelle agglomération est appelée
communément El Karia (village) et au second attacher son nom à l'extension de
Dréan, dans le nouveau quartier de Djenen Echouk, en cours de réalisation…
Maintenant que le
coup est parti, un musée dédié à ce grand homme, où seraient exposées ses
Å“uvres, sa vie, des témoignages matériels et des conférences ésotériques,
assurées par des spécialistes et universitaires, ne ferait-il pas de Mondovi
(pardon ! Dréan) un haut lieu de littérature en vue de susciter les vocations
des futurs talents ?
ALBERT CAMUS, UN
COMPATRIOTE ET UN ALGERIEN A TOUT CRIN
C'est dans une
ambiance de spéculation des terres, de pétitions des colons et de
contre-pétition des indigènes, d'expropriation et de vÅ“ux réitérés d'extension
du village de Mondovi, au profit des enfants des colons (Cf. la suite dans le
prochain numéro), que naquit Albert Camus, le 7 novembre (enregistré le 8) 1913
; fils de Sintès Catherine, ménagère âgée de 31 ans et de Camus Lucien Auguste,
caviste âgé de 28 ans, demeurant tous deux à Saint Paul; une ferme d'où ils
déménageront, juste après la naissance de leur second enfant, pour améliorer
leur sort à Mondovi, chef lieu communal.
Albert Camus est
l'objet, depuis des décennies dans son pays de naissance, des pires avanies
dont les limites de l'espace accordées par le journal ne me permettent pas
d'aller plus loin. J'espère avoir la possibilité de revenir sur le sujet à une
prochaine occasion pour exprimer d'autres points de vue sur ce célébrissime
concitoyen, à la fois journaliste, écrivain, philosophe, artiste, intellectuel,
humaniste… Il me plaît de citer cette phrase du philosophe de l'absurde :
«…l'homme vivant dans un monde dont il ne comprend pas le sens, dont il ignore
tout, jusqu'à sa raison d'être…».
Albert Camus, le
philosophe de la prescience, ne fait-il pas par-là la démonstration qu'il est
de ce point de vue notre contemporain ? Un Algérien à tout crin, vivant encore
parmi nous, et qui ne comprend pas (comme nous tous d'ailleurs) ce qui arrive à
cette terre, à ce pays… Nous non plus, nous ne comprenons trop pourquoi son
pays refusa jusque-là de reconnaître, d'honorer et de s'approprier le fabuleux
destin de cet humaniste doublé d'un homme à l'exceptionnel talent. Albert Camus
n'a-t-il pas partagé avec nous une terre de naissance, une portion de vie et
une grande révolte anti colonialiste, exprimée avec force et courage au
lendemain des massacres de Sétif, Guelma, Kherrata ? Pourtant, ces prises de
position politiques contre l'oppression coloniale des Algériens valurent à cet
immense artiste de voir certaines de ses Å“uvres interdites, censurées, voire
ridiculisées, au point de devoir choisir l'exil salutaire pour échapper à la
vindicte des colons menaçants et décidés à lui faire la peau. Ironie du sort,
il n'échappera pas non plus à l'anathème (pour une phrase), de la part d'une
certaine Algérie, détentrice de la «légitimité révolutionnaire», qui refusera
obstinément d'honorer l'enfant sorti des entrailles de cette terre et avec lui
une immense Å“uvre universelle, récompensée par le prestigieux prix Nobel de
littérature en 1957…
Tout ça pour un
quiproquo sur lequel Albert Camus s'expliquera longuement mais en vain, comme
si l'appel aux intellectuels français et du monde entier, adressé à l'Onu en
1958 en signe de protestation contre la guerre d'Algérie, n'était pas une
preuve suffisante de son engagement anti colonialiste…
Que veut dire
quiproquo ? (littéralement «quoi dire quoi»). N'est-ce
pas le synonyme du mot «malentendu» ? Dont Albert Camus l'«incompris» en fera
le titre d'une pièce en trois actes, tant il était affecté par l'absurde
incompréhension des hommes, dont fut toujours l'objet ce grand génie de la
littérature universelle.
N'est-ce pas
aussi le lot des grands hommes de ne pas être compris de tout le monde ? A
l'instar d'un autre compatriote Ferhat Abbas, victime de la même méprise
qu'Albert Camus, pour une phrase sur la «nation», prononcée dans le feu de son
action politique…
*Journaliste,
écrivain
(1) Ouvrage de
Chantal Warion, native de Mondovi, intitulé : «destins croisés à Mondovi»
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Posté Le : 23/02/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kamel Khelifa*
Source : www.lequotidien-oran.com