L'arrivée aujourd'hui à Alger du ministre français des Affaires
étrangères semble avoir été dictée par des préoccupations sécuritaires mais
aussi par des projections électoralistes.
Alain Juppé n'est pas venu pour s'enquérir de l'état des relations entre
l'Algérie et la France
parce que c'est un des responsables français qui a toujours regardé de haut les
Algériens. Il doit lui suffire tout autant qu'à Nicolas Sarkozy, d'avoir eu des
promesses solides de la part du président de la République de leur assurer une
bonne part du gâteau quinquennal dont le prix est de 186 milliards de dollars. Mieux
encore, le gage que leur a donné le Premier ministre a été d'une éloquence sans
pareille. Pour rappel, Ahmed Ouyahia a déjeuné le 30
mai dernier à l'ambassade de France à Alger en compagnie de Jean-Pierre
Raffarin « le Monsieur Algérie », Pierre Lellouche, le
ministre délégué chargé du Commerce et l'ambassadeur, Xavier Driencourt. Lecture de premier degré, le Premier ministre
s'est déplacé à une ambassade étrangère pour probablement rassurer ses
locataires de sa bonne foi de faciliter le business français en Algérie. Pourtant,
les usages diplomates entre les Etats n'en prévoient pas autant notamment quand
il s'agit de vendre des potentialités importantes et un marché alléchant. Il
s'est attablé avec des responsables qui n'ont pas le même statut que lui dans
la hiérarchie de l'Etat français.
Et bien qu'aucune information n'a filtré à ce jour sur ce déjeuné
protocolairement inélégant, il était - et est toujours - du devoir du Premier
ministre d'en expliquer les raisons à l'opinion publique. Instruit ou pas par Bouteflika, Ouyahia a franchi un
pas qu'il n'était pas censé franchir précisément vis-à-vis de responsables
français qui n'ont jamais mis la forme pour s'adresser aux Algériens. Il est
évident que beaucoup diront que ce genre d'attitude date d'un autre temps et
qu'il faille tourner la page. Erreur de croire que les Français l'ont fait quand
on voit leur MAE rendre publique une conversation téléphonique qu'il a eue il y
a à peine quelque temps avec son homologue algérien. C'est quand la situation
s'est détériorée en Libye. Juppé avait demandé, avait-il
affirmé, à Mourad Medelci si l'Algérie avait envoyé
ou pas des convois d'armes à Mâamar El Kadhafi. « Le
ministre algérien m'a rassuré en me disant que l'Algérie n'a rien envoyé », a
rapporté crûment le chef de la diplomatie française. Il y aura toujours des
esprits « altruistes » qui inscriront spontanément cette manière de communiquer
dans le chapitre des «règles de la transparence, de la liberté d'expression et
du droit à l'information». Pourtant, il est bien fait état ici d'une
forme d'interrogatoire que seuls des «supérieurs» se permettent d'imposer à des
«subalternes». L'on se permettrait de dire «bien fait», pour les responsables
algériens ! Mais l'arrogance française est tellement provocante…
A l'évocation du nom de Juppé, de Raffarin ou de Lellouche,
des diplomates algériens réagissent rapidement pour rappeler « leur côté anti-algérien
notoire». Ils gardent en tête d'ailleurs l'amer épisode du détournement de
l'Airbus français en 1994 quand ce même Alain Juppé détenait le même
portefeuille dans le gouvernement d'Edouard Balladur. Les diplomates se
rappellent surtout quand le ministre algérien de l'époque, Mohamed Salah Dembri, avait refusé de céder à la pression exercée par
Paris pour laisser décoller l'avion avec tous ses passagers et ses terroristes
vers la France. Les
Français ont fortement douté de la capacité des services de sécurité algériens
à déjouer ce détournement par une bonne maîtrise de la situation. Les Français
avaient sommé les responsables algériens de laisser l'avion quitter Alger.
Propos désobligeants et arrière-pensées électoralistes
Des cadres du MAE algérien affirment qu'Alain Juppé a eu des propos
désobligeants envers leur ministre Dembri. Il se
trouverait encore des esprits qui reportent ces comportements hautains à un
autre passé flambé par des amertumes et des rancÅ“urs. Les exemples sont là pour
prouver que dans un présent «continu», les Français cherchent toujours à
narguer les Algériens. Pour preuve ! Pas plus tard que le 31 mai dernier, tous
les médias se sont fait l'écho d'un texte dont l'objet est la «Maîtrise de
l'immigration professionnelle». Un texte d'une rigueur impitoyable dicté, disent ses signataires, par leur souci «d'adapter
l'immigration légale aux besoins comme aux capacités d'accueil et d'intégration
de la société française». Signé par Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, de
l'Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l'Immigration, et par Xavier
Bertrand, ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé, le texte en question
se réfère à d'autres qui « ne donnent droit à aucune facilité particulière dans
l'examen de la procédure de délivrance d'une autorisation de travail ». L'on
sait que quand la France
parle d'immigration, ce sont les Algériens qui sont visés en premier de par
leur nombre considéré comme le plus élevé parmi l'ensemble des émigrés en
territoire français. L'on rappelle pour l'histoire qu'entre son poste de
ministre de l'Intérieur et celui de président de la République, Sarkozy a fait
voter 6 lois sur l'immigration. « Les textes nous touchent directement », affirment
des diplomates algériens. Le responsable français s'est d'ailleurs déplacé à
Alger avec incontestablement comme arrière-pensée de ratisser large en
prévision des élections présidentielles françaises de 2012. L'occasion est
saisie pour rappeler que l'élection de Sarkozy à l'Elysée a été soutenue par
une dizaine de voix de la droite. Question inévitable : combien y a-t-il
d'Algériens qui ont le droit de voter ? Sarkozy a été le premier responsable à
vouloir échoir les émigrés de leur droit de vote en sachant encore une fois
qu'en comptant avec les binationaux, la communauté algérienne votante est la
plus importante en France. On imaginerait facilement les Algériens voter contre
en 2012. Et comme les gens se passent le mot (consignes de vote), les Algériens
pourraient convaincre dans les mosquées les votants musulmans sur la nécessité
de la chose…
Fin de mission pour Raffarin ?
Le raccourci concernant les visées des lois sur l'immigration est donc
permis même si du côté du Quai d'Orsay, on se force à craindre les flux
migratoires qui se déversent sur les côtes italiennes depuis que les pays du
Sud sont secoués par des révoltes. C'est d'ailleurs l'une des questions qui
fait venir Juppé à Alger. La
Libye perturbe sérieusement Sarkozy qui pensait en découdre
avec El Kadhafi en quelques jours. Les problèmes sécuritaires dans la région et
aux frontières seront en principe à l'ordre du jour des discussions prévues
entre Bouteflika et Juppé. Protocolairement, le
président s'entretiendra avec l'hôte de l'Algérie sur des questions régionales
et internationales avec la Libye
en point de mire. L'on se demande alors si Ouyahia
soulèvera lui, avec Juppé, ces questions de l'immigration ou non. Il est
certain qu'on ne saura rien de la teneur de ces entretiens. A moins que le MAE
français s'empressera de les rendre publics dès son retour à Paris.
Son temps semble précieux
puisqu'il arrive à Alger aujourd'hui très tard le soir et repartira jeudi dans
la journée sur Oran parce qu'elle est jumelée à Bordeaux dont il est maire. Bordeaux
est aux Marocains ce que Marseille et Barbès (Paris) sont aux Algériens. Ils
les considèrent, d'un côté comme d'un autre, comme des provinces de leurs pays
respectifs. D'Alger, le MAE français s'envolera pour le Maroc pour peut-être
joindre l'utile à l'agréable. Il rentrera chez lui convaincu d'avoir fait d'une
pierre deux coups avec les Algériens en leur parlant de sécurité et de
stabilité dans la région. Alger est persuadé d'avoir les capacités d'assurer
les deux à la France
en les alliant étroitement au business et à son électorat émigré.
Paris pense avoir gagné au moins
sur un plan, celui du business puisque Monsieur Algérie a bien défendu les 12
dossiers économiques qui lui tenaient à cÅ“ur. Ce qui permet d'avancer qu'il est
probable qu'il sera signifié incessamment à Raffarin une fin de mission. L'on
s'attend à ce qu'il passe la main à un responsable en poste cette fois-ci. «Sarkozy
y pense sérieusement », dit-on.
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Posté Le : 15/06/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ghania Oukazi
Source : www.lequotidien-oran.com